Arbre et fête de Noël
L'attrait de l'arbre de Noël
Je dois commencer par reconnaître candidement combien longtemps je suis demeuré sensible à l'attrait des arbres de Noël, dont ma plus tendre enfance m'a laissé un souvenir d'enchantement. Cette disposition a d'ailleurs survécu à plusieurs égards au cours de nos propres fêtes, dont tout le monde convenait qu'elles étaient les mieux réussies et les plus soucieuses d'esprit chrétien de notre ville." Mais « lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, je me suis défait de ce qui tenait de l'enfant ». C'est ainsi que le joli scintillement du sapin m'a conduit à songer à un autre arbre, d'irrésistible charme, celui dont les initiations du Serpent firent voir à Eve qu'il était bon à manger, «agréable à la vue» et «désirable pour rendre intelligent ». Or, malgré tous ces aspects excellents, il devait suffire que, pour de profondes raisons divines, l'arbre fût « défendu ». Désormais, la question qui s'est imposée à moi n'a donc pu être que de savoir si les sapins de Noël tombaient, eux aussi, sous une exclusion divine.
Tout dans mon coeur me portait à ne pas le supposer, et, surtout à ne pas le désirer. Mais l'affaire s'étant, pour la seconde fois, élevée dans l'église jusqu'au plan de la conscience, j'avais pour seul devoir de me montrer désormais purement objectif.
Adaptation chrétienne aux fêtes païennes
Je fus ainsi conduit à me rappeler que dès 1894 j'eusse dû être frappé davantage en constatant l'absence totale d'arbres de Noël dans la plus grande et réputée des églises du monde, celle de Spurgeon. J'eusse dû être frappé encore bien davantage en constatant aussi que d'une manière quasi générale, ni en Grande-Bretagne, ni en Amérique, jamais les églises n'avaient comme telles, de sapins de Noël pour les millions d'enfants de leurs écoles du dimanche. J'eusse également dû me souvenir qu'importés en France par une princesse allemande, il n'y a guère qu'un siècle, les arbres de Noël y rencontrèrent au début une très ferme opposition dans les milieux évangéliques. On objectait notamment alors que les temps de la plus héroïque ferveur les avaient ignorés, et qu'il n'était aucunement dans le programme des églises de procurer au public une distraction dérivé des coutumes païennes, même en agissant avec la seule et pure intention de commémorer ainsi un grand fait chrétien.
Bon gré mal gré, je dus donc finalement me rendre à l'évidence qu'il y avait derrière cette coutume une de ces déformations qui, aux jours de décadence spirituelle marquèrent l'interpénétration d'un christianisme paganisé et d'un paganisme affaibli par l'action de l'Evangile. Alors qu'à l'origine, et pendant plusieurs siècles, la célébration des fêtes actuelles avait, pour des raisons de clairvoyance spirituelle très fortes, été résolument rejetée, l'esprit d'apostasie amena finalement une adaptation chrétienne aux fêtes païennes.
C'est ainsi que, malgré la tradition d'alors et les évidences qui voulaient que Jésus ne fût pas né aux temps froids, les Saturnales burlesques et impures du solstice d'hiver se muèrent en Noël. Sous des formes variées, ces fêtes étaient célébrées dans toutes les provinces du paganisme antique. Parmi ces formes apparaît l'arbre sacré offrant des vertus magiques à qui l'honorait de sa crainte et de son admiration. Il est absolument acquis que l'arbre de Noël est une survivance nordique et germanique de cette forme, et qu'il demeurerait à toujours inconnu dans son présent usage chrétien s'il n'y avait jamais eu du paganisme.
Ainsi peuvent s'expliquer les critiques assez retentissantes récemment opposées au protestantisme actuel par le catholicisme officiel, par le communisme et jusque par le Führer, le Duce et le Caudillo eux-mêmes, quant à l'adoption d'une coutume notoirement paganisante pour perpétuer le souvenir d'un grand événement chrétien.
L'insuffisance symbolique
Ici d'ailleurs, le catholicisme serre de beaucoup plus près la réalité évangélique avec ses crèches. Si naïves que celles-ci puissent paraître en leur insuffisance, elles n'ont, dans leur principe, rien qui choque le sens historique, la raison ou la spiritualité. Chez l'homme de goût et de réflexion elles ont généralement la préférence comme heureux symbole sur le sapin, dont la transformation artificielle heurte le sens de la nature et celui des vraisemblances.
Je vois donc très bien maintenant que l'insuffisance symbolique de l'arbre de Noël vient surtout de ce qu'il est non seulement sans aucune espèce de rapport historique avec la scène de la nativité, mais aussi sans aucune possibilité d'analogie. Depuis longtemps, la pression de l'opinion défavorable aux arbres m'avait fait renoncer à utiliser publiquement les innocents clichés, nécessairement fort nombreux, qui s'efforcent de tirer de certains aspects du sapin des leçons liées à l'incarnation. Car tout cela était, pour la partie adverse aux arbres, réputé forcé, indigent et puéril et on n'eût pu se faire faute de nous l'objecter.
St-Nicolas et Père Noël faussent l'image de Dieu
Mais ce qui est bien plus sérieux et toujours selon la même vue adverse, l'image fêtée laissait à l'enfant, si impressionnable, une notion latente aussi différente du véritable don de Dieu que celle que pouvait lui donner, de la sainte majesté divine elle-même et de la valeur incomparable de ses biens célestes, le rôle de St-Nicolas ou celui du Père Noël. Comme nous ne pouvons évidemment imaginer que le Dieu saintement jaloux des 10 commandements soit maintenant devenu indifférent à la manière dont on pourrait chercher à l'honorer en dépeignant sa personne ou en représentant sa pensée, nous nous trouvons ici en face de l'un des noeuds essentiels de toute la question. Bien que les spectacles firent accourir la foule au temps des apôtres, nous ne voyons jamais aucun d'entre eux, même le novateur le plus hardi, recourant à la facilité de ces procédés pour répandre la Bonne Nouvelle, dont la toute simple diffusion produisit cependant des résultats immenses, desquels nous bénéficions encore. Or, il est devenu patent que plus les églises et les oeuvres voient baisser leur influence en profondeur et plus elles donnent d'ampleur aux manifestations religieuses spectaculaires.
Témoignage atténué
Cependant, les nombrables récits de pure imagination mis à part, les fruits réels du témoignage forcément atténué rendu à l'Evangile dans les fêtes de Noël sont singulièrement disproportionnés à l'effort investi. On peut se l'expliquer en constatant que les organisateurs sont bien obligés de présenter au public deux attraits qui se contrarient, celui de l'image faussée qui absorbe et celui de la vérité pure qui s'estompe. Aussi ai-je eu dans mon ministère le grand regret de ne connaître qu'un seul cas dans lequel un message, d'ailleurs étranger au sujet de l'arbre, a été le point de départ d'une vie chrétienne, dont, pour des raisons complexes, les résultats n'ont malheureusement pas été uniquement encourageants. Une distribution judicieuse d'Evangiles effectué avec l'effort et les fonds requis pour la vingtaine d'arbres de notre histoire n'eût-elle pas à elle seule, pu produire bien davantage?...
D'autre part notre effort, déjà si coûteux, vers plus de conformité à l'esprit du christianisme primitif, ne pourrait sans grand dommage, encourir le reproche d'inconsistance, non plus que notre juste souci de pouvoir toujours rendre compte de toutes nos pratiques.
Enfin toute effervescence ou tout malaise occasionné par cette affaire nuirait inévitablement à l'heureuse atmosphère d'église que nous apprécions tant. Et tout cela sans parler de la propre, certaine et prééminente pensée de notre Maître touchant cette forme de témoignage.
Caractère familial de la fête
Si toutefois des amis croyaient devoir célébrer officieusement, pour la joie de leurs enfants, la nativité, le meilleur semblerait être de conserver à cette célébration le caractère de fête de famille qu'elle a toujours eu dans les milieux évangéliques anglo-saxons, et qu'elle avait dans la tradition française. On ne pourrait alors que souhaiter que fût dissociée de la fête l'image étrangère de l'arbre, quitte à reporter l'innocent plaisir de celle-ci à un autre moment de l'année ou dans un cadre où l'équivoque serait impossible.
Instruire nos enfants
Il y aurait en tout cas un bon avantage pédagogique à ce que nos enfants fussent tout franchement instruits de l'origine et du caractère des arbres de Noël. Ainsi pourraient-ils être aidés de bonne heure à voir bien clair sur ce qu'ont d'étranges à l'esprit de l'Evangile les commémorations mondaines de la nativité par le commerce et par les lieux de plaisir, comme par des organismes plus ou moins officiels dont l'inévitable absence de discernement peut aller jusqu'à permettre l'arbre de Noël des singes du Zoo de Vincennes.
Il serait également bon que nos enfants connussent la pensée protestante originelle sur ce que Calvin lui-même appelait des « abominations énormes» et que les Puritains, ce fleuron moral et spirituel du protestantisme, jugeaient avec la même implacable sévérité. Ces guides illustres n'agissaient pas ici par simple rigidité systématique ou par absence du sens de l'humain. Ils ne s'alarmaient que parce qu'ils discernaient de loin les périls de déviation encourus par l'entreprise capitale à laquelle ils s'étaient voués à corps perdu.
Ainsi instruits de ces choses, nos enfants verraient évidemment s'évanouir le charme de quelques illusions: Mais par contre, ils découvriraient, pour leur sécurité de toujours, combien est subtil et dangereux le dessein certain du séducteur de faire que d'autres choses, et même la crèche, puissent supplanter la croix dans l'intérêt, dans le témoignage et dans la gratitude du chrétien.
Robert Dubarry (1943)
* II s'agit de l'église évangélique baptiste de Nîmes (France)
Les sous-titres on été ajoutés par la rédaction de « La Bonne Nouvelle»
La Bonne Nouvelle 5/95
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