L'année sabbatique et l'année jubilaire
Beaucoup de peuples anciens laissaient de temps en temps leurs terres en jachère. Comme toujours dans la Bible cette coutume reçoit une explication théologique. Dieu seul est propriétaire de la Terre qu'il donne à son peuple.
Celui-ci ne sera vue son métayer, son locataire, et certaines prescriptions de la Loi seront là pour le lui rappeler périodiquement. Parmi celles-ci les dispositions concernant l'année sabbatique et l'année jubilaire sont les plus significatives: « La Terre m'appartient et vous n'êtes pour moi vue des étrangers et des hôtes » (Lévitique, chap. 25, vers. 23 ). ce passage est un texte-clef pour comprendre la législation ici évoquée.
Ce qui e été dit du Sabbat hebdomadaire est valable pour l'année sabbatique. Dans cette interruption imposée de l'activité humaine, il y a un rappel de ses limites, une invitation au respect de la nature, ici de la terre et de la végétation, de l'humanité sans doute, mais aussi des animaux, une sorte d'aération, de respiration psychologique. Elle permet à l'homme de prendre de la distance par rapport à ses activités et à ses réalisations afin de ne jamais perdre de vue sa dépendance vis-à-vis de Dieu et tout ce qui le dépasse (Exode, chap. 23, vers. 10-11 ). En effet à l'issue de l'année sabbatique, le Deutéronome (chap. 31, vers. 1013) prescrit une lecture solennelle et publique de la Tara, ce qui montre bien qu'il faut considérer l'activité spirituelle comme le fruit et l'aboutissement de cette année de loisirs.
La libération des esclaves (hébreux) Le produit spontané de cette septième année est abandonné aux domestiques, aux étrangers. Mers comme le fait de laisser les champs en jachère toute une année risquait de provoquer la famine, Dieu promet que la moisson de la sixième année sera suffisante pour trois ans : c'est un appel à la confiance en la Providence.
Cette année sabbatique est aussi une année de rémission, de libération :l'esclave hébreu doit être libéré (Exode, chap. 21, vers. 2-6). La tolérance de l'esclavage pouvait amener un groupe entier de la société à une existence d'exploité. C'est ce qui s'est passé partout dans l'antiquité et encore de nos jours là où subsiste l'esclavage sous une forme quelconque. La loi du Sinaï prévoit sa libération automatique après six ans au plus, s'il ne s'y refuse pas lui-même, et son maître lui assure des moyens suffisants de subsistance.
L'année jubilaire - tous les cinquante ans - dérive elle aussi de la notion du Sabbat.
Elle est en elle-même une année sabbatique, la dernière d'un cycle de 7 années sabbatiques. Elle constitue l'apogée de la « pyramide du repos ».
Tout peut alors recommencer pour tous
Ce cycle introduit dans la société hébraïque la notion de retour, de compensation et de recommencement. Aucun état social, aucune condition, aucune activité, aucune aliénation ne peuvent être définitives. Le travail a ses limites, l'esclavage ses bornes, les prêts et les dettes, les ventes et les achats, leur annulation et leur rémission. Comme pour l'année sabbatique, il faut laisser reposer les champs mais de plus il faut restituer à leur ancien propriétaire ou à ses héritiers tous les terrains, toutes les maisons, bref tous les biens immeubles qui ont pu être aliénés au cours des années précédentes. Les relations entre débiteur et créancier sont ainsi privées de leurs conséquences funestes. L'inévitable dégradation sociale du débiteur ne peut être que de durée limitée.
Saint Thomas voit dans ces dispositions un des aspects les plus intéressants de la Loi du Sinaï, car ces dispositions évitaient l'accaparement progressif de la terre par quelques-uns. On sait combien ce phénomène sociologique et économique est à l'origine de situations dramatiques dans beaucoup de pays sous-développés, Même si ce programme d'équilibre fut très imparfaitement observé et réalisé, il semble bien qu'Israël ne connut guère de crise sociale résultant de la propriété terrienne.
Le jubilé développait ainsi la notion de patrimoine national et communautaire et s'opposait à la naissance d'une grande propriété aux dépens des petits propriétaires. Il corrigeait en même temps les hasards et les aléas de l'existence. Le propriétaire obligé par la malchance à céder ses terres ne se voyait pas exposé pour toujours à la misère. La famille retrouvait son patrimoine et pouvait espérer, en l'exploitant, retrouver l'aisance. Les paysans hébreux apprenaient ainsi que l'idéal de l'existence humaine n'est pas dans l'accroissement indéfini ou dans la sauvegarde jalouse de la propriété, mais dans l'ouverture aux autres et dans la fidélité à Dieu, dussent-elles s'accompagner de sacrifices matériels très lourds.
Même si tout cela n'a jamais été pleinement ni universellement observé en Israël, les idées sous-jacentes à cette législation n'en demeurent pas moins étonnantes et dignes d'éclairer les problèmes économiques et sociaux les plus ardus et les plus contemporains.
C'est en outre l'amorce sociologique et historique de l'idée de rachat et de rédemption qui prendra bien d'autres dimensions tant dans la pensée juive que chrétienne.
En ce temps-là, la Bible No 14 pages III-IV.