Le corps réduit en cendres

 

 


Ce titre propose d'abord l'aspect destructeur et régénérateur du feu qui tient une place importante dans l'Ancien et le Nouveau Testaments. A cause de son pouvoir destructeur, le feu est considéré comme le symbole de la colère de Dieu (Héb. 12 :29, Es. 26 : 11) et pour sa force purificatrice comme un moyen de punition éternelle (Ps. 50 : 3 ; II Pierre 3 : 7 ; Apoc. 19 : 20). Il symbolise aussi la puissance de Dieu (Deut. 5 : 24) d'où le buisson ardent où Dieu apparut à Moïse (Ex. 3:2). Le feu guida aussi le peuple d'Israël à travers le désert (Ex. . 13 :21). Et afin de mettre en lumière la présence de Dieu «un feu perpétuel brûlera sur l'autel sans jamais s'éteindre. » (Lév. 6 : 6) Dans le Nouveau Testament, souvenons-nous des langues de feu de la Pentecôte.

 

Cette action purificatrice et destructrice du feu paraît justifier en partie les innombrables crématoires (crématoriums) régionaux, aujourd'hui en fonction en France. L'incinération des morts n'est qu'un des nombreux rites destinés à « évacuer », à « épurer », les corps décédés. Elle a une valeur symbolique très différente suivant les religions et les pays.

 

Ce qui a favorisé le développement de la crémation en occident, c'est l'individualisme, l'érosion des croyances religieuses, la vie planifiée des grandes cités qui a éloigné l'homme de la terre et de la nature, de ses racines et des traditions.

Nous n'aborderons dans ce témoignage que la crémation dans notre pays avec ses aspects pratiques et religieux. Quels sont les arguments avancés par les crématistes pour justifier l'incinération des morts ?

En premier lieu, l'horreur de la pourriture. La décomposition du corps est un terrible outrage pour toute la famille du défunt, c'est donc un devoir de piété envers les survivants et les morts que de les incinérer.

L'incinération est aussi une mesure écologique et hygiénique. Elle évite les manipulations septiques d'un corps en dégénérescence. Elle écarte la pollution du sol, de l'eau, de l'air. Nous vivons dans une société qui prône la civilisation du propre. Ainsi, la crémation associée à l'embaumement se présente vraiment comme une conduite funéraire en parfait accord avec la salubrité publique. Le slogan, en exergue sur la couverture de la Flamme (journal de la fédération française de crémation) l'exprime parfaitement bien. « Garder le sol pour les vivants », non pas pour les morts qui encombrent et s'entassent dans de vastes cimetières saturés et inesthétiques.

 

Une autre série d'arguments d'ordre économique contribue à l'extension de la crémation. Pas besoin de concession au cimetière, d'où gain de place, un petit colombarium suffit, on peut même emporter l'urne funéraire chez soi comme un bibelot que l'on dispose sur la cheminée ou dans une vitrine. La combustion du corps dans un four au fuel ou électrique ne dépense pas plus d'énergie qu'une machine à laver qui tourne pendant 40 minutes. Pas de cercueil luxueux mais en bois léger. Tous ces services pour 3 000 à 5 000 francs ! (F. F.)

 

Les nouveaux ensembles funéraires regroupent toutes les commodités : chapelle, salle de recueillement avec musique, chants et liturgie spéciale pour ce type d'obsèques. Parfois de magnifiques jardins crématoires pour disperser les cendres entourent ces athénées superbes (cimetière-parc intercommunal de Joncherolles, de Menton, le jardin du souvenir au Château de Grammont à Montpellier).

Voilà enfin des funérailles modernes, propres, commodes, peu coûteuses avec cérémonie religieuse sur place et à la carte !

 

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La seconde mort

Mais quelles tristes et sinistres funérailles ce jour d'avril 1993 où mon père fut incinéré dans un de ces complexes mortuaires. En arrivant, je fus conduit dans une chambre froide où, cercueil ouvert, mon père dormait, apaisé, comme hors du temps dans sa chemise blanche et son costume sombre qu'il portait pour les grandes fêtes familiales. Peu après on l'emmena à la chapelle où je l'avais précédé. A la fin du culte, les employés des services funèbres invitèrent la famille et l'assistance à se rendre sur un vaste balcon qui s'ouvrait sur le four crématoire. On nous avait placés sur ce plateau pour mettre en spectacle la mort de mon père.

Il mourait donc une deuxième fois dans un décor hallucinant. Le chariot roulant qui le transportait arriva à notre hauteur. La porte du four s'ouvrit, le ronflement des brûleurs rompit le silence, les flammes empourpraient déjà les hautes parois de briques, lorsque le cercueil lâché sur une glissière bascula dans le feu. Dans cet enfer, l'infirmière qui, pendant les derniers mois avait soigné mon père, fut prise d'un malaise. Cet instant restera à jamais comme une brûlure dans ma mémoire. Je pleure cette seconde mort de mon père parce qu'elle était tellement inutile, absurde, tellement inhumaine.

Il convient maintenant d'aller au-delà du discours officiel des crématistes qui en veulent au corps humain jusqu'à sa destruction totale. Dans notre société, la crémation est une conduite fondamentalement exterminatrice. Pour ses partisans, on ne peut réduire au silence ceux qui croient à la vie éternelle et à la résurrection que par l'anéantissement parfait du corps.

 

Le four crématoire électrique brûle plus vite que le fuel et pour éliminer encore plus rapidement et sans résidus, on pense déjà au laser.

C'est en 1963 que le pape Jean XXIII a levé l'interdiction de la crémation, à condition qu'elle ne constitue pas une manifestation d'incroyance. On sait que pendant longtemps, l'incinération fut une pratique exclusivement maçonnique appuyé sur la négation d'une vie après la mort.

 

Dans les Ecritures et la tradition chrétienne, la mort et les rites funéraires nous révèlent l'importance du corps du défunt qui est indissociable de la personne.

L'individualisme biologique est une découverte récente. Nous apprenons par la Bible qu'il existe aussi une individualité spirituelle qui dépasse la mort. Le christianisme est une des rares religions qui établit l'éternité de la personne en tant qu'individu, tandis que d'autres religions enseignent qu'après la mort, l'individu dans sa spécificité s'efface dans l'infini de Dieu comme une goutte d'eau dans l'océan.

 

Même mort, le corps est toujours encore reconnu comme étant la personne que l'on avait aimée ou simplement côtoyée pendant son séjour terrestre. Pensons à la parabole du riche et du pauvre Lazare qui se retrouvent au Royaume des morts (Luc 16 : 19 à 31).

 

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Le corps a une histoire

Jésus-Christ lui-même, n'a-t-il pas magnifié son corps en pensant à sa mort prochaine lorsqu'une femme répandit sur lui un parfum de grand prix? A ses disciples indignés, n'a-t-il pas répondu : « En répandant ce parfum sur mon cotas, elle a préparé mon ensevelissement» (Mat. 26 : 1 2) ?

 

Déjà, dans l'Ancien Testament, être enseveli avec les siens, avec le désir que ses propres os reposent à côté de ceux de ses ancêtres, était une bénédiction ; au contraire. la destruction ou la désagrégation volontaire du corps étaient une malédiction qui entraînait la dépersonnalisation et le néant.

Dans le Nouveau Testament, si l'on insiste davantage sur la prépondérance de l'Esprit, on veille cependant sur le corps dont on prend le plus grand soin.

 

«Les disciples de Jean-Baptiste vinrent prendre le cadavre et 1>ensevelirent;, puis ils allèrent avertir Jésus. » (Mat. 14 : 12) « Des hommes pieux ensevelirent Etienne et firent sur lui de grandes lamentations. » (Actes 8 : 2)

Pour Jésus, ce n'est pas la mort qui met fin à la vie humaine puisqu'il a ressuscité Lazare.

La résurrection de Lazare devrait inciter les chrétiens à ne jamais exploiter la mort humaine à quelque fin que ce soit. Notre vie et notre mort appartiennent à Dieu, elles n'ont pas à servir d'autres buts.

Une fois conçue, la vie n'a pas de fin. Dieu est venu sur terre, il s'est incarné en Jésus-Christ, son Fils, qui lui-même s'est offert pour nous donner la vie éternelle ou la mort éternelle si nous refusons de le reconnaître. Jésus dit à Marthe (dans Jean 11 : 25-26) : «Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ».

 

Pour la Bible, une fois commencée, la vie continue éternellement, il n'y a pas de rupture entre la vie terrestre et la vie céleste. « Il faut en effet que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité et que ce corps mortel revête l'immortalité. » dit Paul aux Corinthiens II Cor. 15 : 53)

Ici aussi il y a continuité entre la vie terrestre et céleste, le corps vivant ou mort rendant toute atteinte corporelle impossible et même aberrante.

Même mort, le corps a une Histoire et constitue le trait d'union entre la vie sur terre et la vie éternelle, il y a continuité et c'est pour cela que le corps humain devrait être inviolable comme c'est le cas pour le judaïsme et l'islam.

 

Entre la banalisation et l'insignifiance d'un corps que l'on réduit en cendres, choisissons pour notre bien, le respect et la dignité du corps promis à la vie éternelle.

Il y a très longtemps déjà, mon pasteur me disait : « Ma conviction est que notre corps doit s'en aller en l'état, sans le brûler ou l'exploiter. Je suis pour respecter cette création merveilleuse et, même si je sais que le corps est poussière, je veux honorer jusqu'au bout cette maison d'argile dans laquelle et avec laquelle je sers le Seigneur. »

Frédéric FENSCH médecin

« LE TÉMOIN », « De la loi naturelle et spirituelle »

La Bonne Nouvelle 2/97

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