TRAVAILLER, CHOMER OU FETER LE JOUR DU SEIGNEUR: LES ATTITUDES ONT BEAUCOUP VARIE SELON LES EPOQUES
Alors que les Suisses se prononcent sur une révision de la loi du travail, notamment sur l'ouverture des commerces six dimanches par an, et que la pression sur les employés s'accentue partout en Francophonie, L'Avènement vous propose un historique sur le Jour du Seigneur.
IL FAUDRA UN EDIT DE CONSTANTIN EN 321 POUR IMPOSER DEFINITIVEMENT LE RESPECT D'UN JOUR OFFICIEL DE REPOS PAR HONNEUR AU... SOLEIL
Qu'on l'appelle jour du Seigneur, premier jour de la semaine ou tout simplement dimanche, ce jour évoque une réalité sociale différente des autres. Même si, de plus en plus, on lui adjoint le samedi et qu'on parle de manière quasi sacrée de son week-end, le dimanche reste le seul jour hebdomadaire parfois considéré comme hors du temps. La mise en question de sa légitimité pour rythmer la semaine de travail renvoie de fait à ses racines les plus profondes et son sens le plus intime. Que cache-t-il, ce sacré dimanche? Petit détour biblico-historique.
Sous l'ancienne alliance, les Juifs respectaient le sabbat en souvenir du repos créateur de Dieu le septième jour (Gen. 2, 3 et Ex. 20, 11) et en souvenir de l'exode, comme un signe de libération (Deut. 5, 15). Cette originalité dans le monde antique a sans doute contribué à renforcer l'identité de ce petit peuple parfois bien secoué (Ez. 20, 12 ss). A l'époque royale, c'est le jour où l'on peut rencontrer les prophètes, un jour de fête où le marché est interdit. Mais, déjà à cette époque, il suscite des controverses (Néh. 13). Notons encore que pour les Juifs, le sabbat prend une connotation messianique en relation avec une promesse de libération (Es. 61, 1-2 et Luc 4, 18-19) -, il est également signe préfigurant le repos éternel attendu. Il devient alors jour de bénédiction pour les fidèles, même si à l'époque du Temple, il y a culte tous les jours.
Bien plus tard, les premiers chrétiens seront eux aussi divisés entre judéo-chrétiens désirant continuer à respecter la Loi de Moïse (Ex. 31, 12 ss) et pagano-chrétiens progressistes. Les traces de ce débat concernent avant tout des questions comme la circoncision ou les viandes sacrifiées. Cependant, on peut voir dans Rom. 14, 5 ou Col. 2, 16 des allusions à d'anciennes coutumes juives ou à des influences syncrétistes qui pratiquent des rites magiques en des jours particuliers. Mais ces passages ne traitent pas en premier du repos dominical. Cette question n'est nulle part développée en tant que telle dans le Nouveau Testament. Quelques brèves mentions des premières réunions proprement chrétiennes (Act. 2, 42, 46 ou 1 Cor. 11, 18, 20, 33) font penser que les disciples de la première heure se rencontraient régulièrement, mais pas un jour fixe. Les allusions au «premier jour de la semaine» que l'on trouve en 1 Cor. 16, 2 ou Act. 20, 7 peuvent désigner un samedi soir ou un dimanche soir. Cette expression est intéressante, parce qu'on la retrouve dans les évangiles pour désigner le jour de la découverte du tombeau vide (Mc. 16, 2). C'est donc la fête de la résurrection qui donne l'impulsion décisive en ce qui concerne le dimanche, même si les chrétiens ont repris à leur compte le «jour du soleil» (Sonntag, sunday), d'origine romaine et païenne, pour marquer l'importance du Christ, Soleil véritable qui éclaire tout l'univers.
Pour Jésus, le sabbat est avant tout un jour de libération. Il n'hésite guère à soigner ou exorciser ce jour-là (Mc. 2, 23-3, 6). Il se proclame même maître du sabbat (Mat. 12, 8) et déclare qu'il ne faut pas observer ce jour de manière légaliste (Mc. 2,27). Relevons au passage que, dans ce dernier verset, Jésus reprend une parole d'un rabbin qui replace l'homme au centre du sabbat: «Le sabbat est fait en fonction de l'homme ... ». Jésus n'hésitera donc pas à s'ériger contre les pharisiens qui avaient fait de cette fête hebdomadaire un lieu de contrainte et de tyrannie.
Les premiers siècles de l'ère chrétienne verront coexister sabbats et dimanches, plus ou moins harmonieusement, mais ces jours n'étaient pas chômés. Les chrétiens qui se réunissaient matin et soir consacraient la journée à leurs tâches quotidiennes. Il faudra un édit de Constantin en 321 pour imposer définitivement le respect d'un jour officiel de repos par honneur au... soleil. L'Eglise appuiera bien entendu cette décision en la légitimant d'une autre manière. A cette époque, les pères de l'Eglise ont combattu pour que le dimanche ne soit pas simplement la reprise du sabbat, malgré leur parenté indéniable. Ils ont donc condamné l'aspect festif et joyeux du judaïsme pour souligner l'austérité et l'abstinence de tout péché ce jour-là. La célébration dominicale deviendra petit à petit obligatoire, même si son application laisse à désirer pendant tout le Moyen-Age.
La Réforme a eu pour effet de supprimer beaucoup de fêtes religieuses. Un décret de 1536 interdira même de chômer les fêtes autres que le dimanche. Calvin offrira alors une interprétation spirituelle du dimanche. Selon lui, il faut l'observer comme figure du repos éternel (les fidèles doivent se reposer de leurs propres oeuvres afin de laisser Dieu besogner en eux). Il souligne également la nécessité d'avoir un jour en commun pour célébrer Dieu ainsi qu'un relâche pour les ouvriers (1RC II, VIII, §28).
Au XIXe siècle, le développement de l'industrie et la montée des idées libérales et socialistes, portera un sérieux coup aux positions jugées conservatrices des églises. Des mouvements de défense de dimanche ont alors avant tout puisé leurs idées dans des motifs profanes liés au travail. D'autres vagues, liées aux réveils spirituels, ont également revendiqué le respect d'un jour sacré. Celles-ci ont fait beaucoup de bruit, malgré le manque d'uniformité dans les légitimations données et la difficulté de trouver des bases suffisamment solides à cette institution d'après le Nouveau Testament.
Une prise de position contemporaine dans ce domaine ne peut faire l'impasse de l'histoire. Elle doit prendre en compte les différents aspects bibliques, historiques, sociaux, économiques et symboliques, non pour élaborer de stériles affirmations doctrinales, mais pour comprendre les enjeux du débat. Comme le relève très justement une petite brochure éditée à ce sujet par la commission sociale de l'Eglise évangélique réformée vaudoise, Le travail dominical: «L'ordre de s'arrêter de travailler ouvre un espace de liberté et non de contrainte. Il n'a rien à voir avec une argumentation fondée sur le conformisme social, qui justifierait le repos du dimanche par une tradition à respecter. Il signifie à l'homme qu'il a la possibilité d'organiser sa vie différemment. ( ... ) Le repos dominical a une valeur symbolique pour l'humanité entière. Il invite à s'interroger sur le sens et la finalité du travail quotidien. Sa portée interpellatrice est donc universelle».
Notons encore qu'en ces temps où les préoccupations économiques dictent bien souvent notre mode de vie, il peut être bon d'en fixer une limite, si fragile soit-elle, qui nous appelle à réfléchir sur le sens de notre propre engagement dans l'existence ainsi que notre attitude vis-à-vis d'une société de consommation immodérée.
Jean-Christophe Emery
VOTRE DIMANCHE
Le florilège de textes bibliques mentionnés ci-dessous montre la diversité du développement et de la reprise du problème du sabbat dans la conception chrétienne. Il n'est donc pas aisé de justifier une prise de position avec les seuls arguments bibliques pour appui. A vous de choisir:
1 Le choix du dimanche, influencé tardivement par l'anti-judaïsme de l'Eglise de Rome, devrait être abandonné au profit du respect du samedi (Ex. 20, 10).
2 Vous pensez que le non-respect du sabbat exige la peine de mort ( Ex. 31, 14).
3 Vous êtes d'avis que tous les jours sont sacrés et décidez de faire des dimanches permanents (Act. 2, 46).
4 La seule réunion légitime est celle du samedi soir, car pour les Juifs, un jour commence au coucher du soleil de la veille (Act. 20, 7).
5 Comme certains chrétiens de la fin du 1er siècle, vous pensez que seul le dimanche est véritablement le Jour du Seigneur (Jn. 20, 19; Apoc. 1, 10).
6 Vous avez opté pour la solution la plus simple: abolir tout simplement le dimanche ou le sabbat (Mc, 2, 27; Gal. 4, 8 ss).
AVENEMENT Décembre 1996 No 102