L'ETAT, L'EGLISE ET LA LIBERTE RELIGIEUSE
Quelques considérations
La célébration d'événements historiques marquants est souvent l'occasion de réaffirmer ou d'actualiser des analyses, des principes ou des enseignements qu'ils ont suscités ou enrichis.
La Révocation de l'Edit de Nantes n'échappe pas à la règle et il est bon qu'aujourd'hui nous nous interrogions sur la liberté religieuse, liberté humaine fondamentale dont les protestants français furent privés en 1685.
Il est évidemment périlleux d'aborder le thème de la liberté religieuse dans un article de quelques pages. Nous nous bornerons ainsi à quelques considérations. Mais aussi simples soient-elles, des considérations relatives à la liberté religieuse ne revêtent un minimum de cohérence et de validité que si elles sont restituées à leur contexte naturel et logique qui est celui des relations entre l'Etat et l'Eglise ou plus exactement les Eglises.
L'ETAT
Qu'est-ce que l'Etat? Un instrument au service de la classe dominante de la société, comme le prétendent les marxistes? Une institution humaine rationnelle, selon les théories chères aux adeptes du droit naturel ? Le lieu qu'investissent les vainqueurs de la course au pouvoir, ainsi que l'affirme Machiavel ? Ou encore, le principal acteur de la réalisation du mythe prométhéen ? Sans doute un peu de tout cela, mais les chrétiens savent (ou devraient réapprendre !) que l'Etat existe d'abord parce que les hommes ne sont pas fondamentalement bons. Autrement dit, l'Etat est consubstantiellement lié à la condition humaine.Une société sans Etat (au moins sous une forme embryonnaire) est totalement inconcevable.
« Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rom. 3, 23). Ce passage des Ecritures souligne l'universalité du mal ; le suivant : « Les pensées de l'homme sont mauvaises dés sa jeunesse » (Gen. 8, 2 1), insiste sur sa présence, indépendamment de toute influence du milieu socio-culturel. L'enseignement de l'Ancien et du Nouveau Testament est évidemment diamétralement opposé à celui de Jean-Jacques Rousseau ("homme naît bon, la société le corrompt) et de ses millions de disciples qui diffusent sans relâche le mythe du bon sauvage et cet autre, selon lequel c'est la société (capitaliste et libérale avant tout) qui est responsable de tous les maux qui assaillent l'humanité. Le prononcé biblique sur la nature humaine n'a bientôt plus d'avocats, excepté... la réalité!
Une histoire achevée depuis des siècles, une terreur et une violence permanentes, donc l'impossibilité de toute vie, tel serait le résultat du règne exclusif des penchants mauvais de l'homme. Pour que les hommes et la société ne sombrent pas dans l'anéantissement, Dieu a institué des freins à l'actualisation des penchants mauvais de la nature humaine. Ces freins, produits de Sa grâce commune, viennent renforcer la conscience, l'angoisse existentielle (entendue ici au sens d'intuition universelle que la Transcendance pourrait porter un jugement sur les actions humaines et même leurs mobiles), les intérêts matériels et psychiques, trois obstacles internes qui, en chaque individu, entravent à des degrés divers le passage de l'état latent à l'état effectif des inclinations vers le mal. Ces freins sont constitués par la famille, le travail... et l'Etat. Dieu a institué l'Etat pour rendre la vie sociale possible. « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C'est pourquoi celui qui s'oppose à l'autorité résiste à l'ordre qui Dieu a établi... Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien ». (Rom. 1 3, 1 -7). Pris isolément, ce texte pourrait servir de justification à n'importe quelles forme et perversion du pouvoir étatique. Mais ce n'est pas la pensée chrétienne, loin de là, puisque les Ecritures, de la façon la plus radicale, établissent la conditionnalité de l'obéissance au pouvoir étatique en affirmant : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes » (Actes 5, 29). C'est donc bien le principe du pouvoir étatique qui est légitimé, et non n'importe quelle forme de son exercice. La conception biblique de l'Etat garantit simultanément contre l'anarchie et contre le totalitarisme.
La première fonction de l'Etat est de protéger les hommes contre leurs violences réciproques et contre les agressions extérieures. De nombreux auteurs l'ont reconnu. Citons Puffendorf, célèbre théoricien du droit naturel : « Pour se garantir des maux que les hommes prennent plaisir à se faire mutuellement, par un effet de leur malice naturelle, il a fallu chercher le souverain préservatif... par l'établissement ... du pouvoir souverain ». Si l'Etat existe parce que les pulsions de l'homme sont universellement orientées vers le mal, pour cette même raison il n'atteint jamais la perfection. Relativement à sa fonction répressive et à ses autres fonctions, l'Etat a un statut ambigu, parce que ceux qui détiennent le pouvoir sont de même nature que ceux qui le subissent. C'est l'explication de l'imperfection radicale de tout Etat, de la perversité pathologique de certains d'entre eux, de sa tendance irrésistible à accroître son pouvoir et à dominer la société en lui imposant une idéologie ou en faisant prévaloir des intérêts spécifiques.
L'EGLISE
Il est essentiel de distinguer ici entre l'Eglise-Corps de Christ, d'une part, et les Eglises-institutions et diverses communautés religieuses, d'autre part.
L'Eglise-Corps de Christ est, au delà des confessions et même parfois en l'absence de confession, l'Eglise invisible connue de Dieu seul et constituée par tous ceux qui, par une attitude de foi et de repentance, reconnaissent en Jésus-Christ le Fils de Dieu, Sauveur et Seigneur, mort sur la Croix pour les péchés de tous les hommes et ressuscité pour leur justification.
Les Eglises-institutions, les diverses communautés religieuses et même les sectes (pas toutes !) sont les manifestations temporelles et historiques en même temps que l'enveloppe de l'Eglise invisible. Cette enveloppe (les Eglises et communautés visibles) est composée à la fois de « ce qui est bon » et de « ce qui est mauvais » (Matthieu 13, 4 8) du « bon grain et de l'ivraie » (Matthieu 13, 30-43). C'est une société pluraliste formée de tous ceux qui se disent croyants, quel que soit le bien-fondé de leur affirmation.
Ces distinctions ont été remarquablement décrites par Pierre Courthial, dans les Nos 22 et 23 de la revue Ichthus.
Formellement, ce n'est pas l'Eglise-Corps de Christ, mais tous ceux qui se disent croyants, c'est-à-dire les membres des Eglises-institutions et des diverses communautés religieuses qui peuvent être titulaires de la liberté religieuse.
LA LIBERTE RELIGIEUSE
Le concept de liberté est vague, controversé, riche de sens divers, parfois proches, mais souvent aux antipodes les uns des autres.
Au sens le plus vulgaire, la liberté est latitude de faire n'importe quoi, n'importe quand, n'importe comment. La liberté est aussi réalisation de soi ou de ses potentialités.
Dans la conception marxienne, la liberté est affranchissement de l'aliénation imputable à la domination d'une classe sociale sur l'autre et à l'insuffisant degré de développement des forces productives.
Au sens métaphysique, la liberté peut être, entre autres significations, faculté de suivre sa conscience, autonomie de l'être « intérieur » envers les circonstances « extérieures ». En ce sens, un chrétien russe peut rester libre au cours de ses stages successifs dans le Goulag.
Selon les Ecritures, la vraie liberté est affranchissement à l'égard du péché dans son double aspect. Le premier : la séparation d'avec Dieu et l'hostilité à son endroit qui affectent tout être humain dès sa naissance, voire dès sa conception (perpétuation du péché originel qui est prétention d'autonomie de l'homme relativement à son Créateur). Le second : les manifestations naturelles, inévitables et ponctuelles qui en dérivent. « Quiconque se livre au péché est esclave du péché » affirme le Christ, avant de poursuivre : « Si le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres » (Jean 8, 34 et 36). Tout le Nouveau Testament insiste sur le fait que seul Jésus-Christ apporte la liberté véritable. « C'est pour la liberté que Christ vous a affranchis » (Galates 5, 1). « Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté » (II Cor. 3, 17).
Mais cette liberté de valeur inestimable, pas plus que celles évoquées plus haut, ne saurait se confondre avec la liberté religieuse. La liberté religieuse fait partie des classiques libertés personnelles ou individuelles dont la pierre angulaire réside dans les notions d'indépendance et d'absence de contrainte. Quel que soit le prisme au travers duquel elle sont appréhendées, les libertés personnelles, donc la liberté religieuse, se définissent négativement : contre autrui, contre la société, contre l'Etat. En anglais, on désigne cette liberté par les mots « freedom from » opposés à « liberty to » comparable à nos droits modernes définis positivement (droit au travail, droit à la santé, etc.).
Raymond Aron donne une excellente définition globale de la liberté personnelle lorsqu'il écrit : « Si nous écartons le sens philosophique ou métaphysique de la liberté, celle-ci se définit, analytiquement, par la garantie donnée à chacun de nous qu'il pourra faire ou ne pas faire ceci ou cela sans qu'un autre l'empêche de faire ce qu'il veut faire ou l'oblige à faire ce qu'il ne veut pas faire. Liberté d'expression, liberté religieuse, en bref les libertés personnelles rentrent dans cette définition. Celle-ci, il est vrai, implique des interdictions, autrement dit des lois : pour que A ne contraigne pas B à se rendre à l'Eglise le dimanche, il faut qu'une loi interdise d'exercer cette contrainte. De même pour que le croyant soit libre de pratiquer sa foi, il faut qu'une loi interdise aux particuliers ou à la police d'empêcher physiquement, ou par la menace de sanction, la célébration du culte ».
La liberté religieuse est partie intégrante des libertés personnelles. C'est encore l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui en donne la meilleure définition : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».
C'est bien ce type de liberté,et non un autre, même de qualité supérieure, que les chrétiens et les adeptes de toutes les religions utilisent et opposent à l'Etat et à sa société lorsque se manifestent librement le discours et la praxis (la parole et les actes) commandés par leur foi.
ETAT, EGLISE ET LIBERTE RELIGIEUSE
Le contenu et l'ampleur de la liberté religieuse sont avant tout déterminés, pour chaque pays, par les relations existant entre l'Etat et l'Eglise, ou plus exactement, les Eglises.
Tous les pays connaissent un mode ou une structure de relations entre l'Etat et les Eglises. Il ne peut en être autrement, puisque l'Etat et les Eglises se rencontrent et agissent dans des sphères communes, et qu'au surplus, les secondes sont soumises à la législation du premier, comme toutes les personnes et tous les groupements sociaux (entreprises, associations culturelles diverses, partis politiques, etc.) relevant de la juridiction de l'Etat.
Référées à l'Etat, et dans l'hypothèse la moins conflictuelle,les Eglises sont propriétaires de biens et exercent une activité communautaire, devant par là même revêtir un statut juridique.
Mais il y a évidemment plus. Relativement à la société et à l'Etat, les Eglises ne sont jamais neutres. La religion, au sens le plus large du terme, étant un phénomène humain fondamental, les Eglises influencent inévitablement la société par le contenu et l'intensité de leurs discours.
Toutes les Eglises-institutions ont un corps de doctrine, font référence à des dogmes ou à une Révélation de Dieu. Elles en tirent une conception de Dieu, de l'homme, de la société et de leurs relations réciproques.
Ces conceptions fondamentales peuvent :
- susciter à des degrés divers l'hostilité, l'indifférence ou l'approbation des courants dominants de la culture et de la société, et partant,s'opposer ou rejoindre la législation actuelle ou en devenir de l'Etat.
- émaner d'Eglises-institutions majoritaires, voire monolithiques, ou d'Eglises qui entrent en concurrence et/ou en collaboration avec d'autres Eglises-institutions dans le cadre du pluralisme religieux.
- être le fait d'Eglises fortement structurées et hiérarchisées, à organisation transnationale, ou au contraire appartenir à des Eglises peu structurées
- être celles d'Eglises « historiques » fortement imbriquées dans la culture du pays, ou d'Eglises «nouvelles» issues d'un mouvement de Réveil ou d'une scission récente.
- ressortir à des Eglises imposant de manière contraignante leur credo à leurs membres, ou relever d'Eglises se bornant à proposer un chemin de vie à leurs adhérents.
- émaner d'une Eglise faisant du prosélytisme, invitant ainsi des croyants d'autres confessions ou des non-croyants à la rejoindre, ou au contraire appartenir à une Eglise vivant repliée sur elle-même, sans contact avec l'extérieur.
- animer une Eglise de professants (à laquelle on appartient par une décision libre et volontaire), ou multitudiniste (à laquelle on appartient généralement par la naissance).
- constituer le fond commun (partiellement) de deux ou trois Eglises numériquement importantes (catholicisme et protestantisme), ou diviser une multitude d'Eglises atomisées.
- servir de fondement à une Eglise fortement imprégnée par le principe « extra ecclesiam nulla salus » (pas de salut hors de l'Eglise) ou caractériser une Eglise proclamant que c'est la foi en Jésus-Christ qui sauve et non l'appartenance confessionnelle, quelle qu'elle soit.
Cette esquisse de typologie révèle une telle diversité de situations et tant de sphères, relevant simultanément de l'ordre du pouvoir temporel des Etats et de l'ordre des prérogatives spirituelles des Eglises, qu'il n'est pas étonnant qu'en chaque pays les relations entre l'Etat et les Eglises fassent l'objet d'une réglementation étatique.
Fondamentalement, les relations entre l'Etat et les Eglises peuvent se ramener à trois modèles : la théocratie, le gallicanisme et le libéralisme.
LA THEOCRATIE
La théocratie est le régime dans lequel les lois de l'Etat sont calquées sur les dogmes de la seule religion reconnue. La théocratie est logiquement exclusive et monolithique, jamais plurielle. La liberté religieuse n'y est accordée qu'au clergé et aux adeptes de la religion officielle. Encore est-il très problématique de parler de liberté, puisque les croyants n'ont généralement pas la faculté de changer de religion et qu'enfreindre les lois religieuses équivaut à enfreindre les lois étatiques. L'institution de la théocratie peut aller jusqu'à la soumission de l'Etat au clergé. L'Israël de l'Ancien Testament, épisodiquement, et plusieurs Etats arabes contemporains sont des Etats théocratiques. Au Koweït, par exemple, «l'islam est la religion de l'Etat et la jurisprudence islamique est la source principale de sa législation » (art 2 de la Constitution). En chrétienté, plusieurs Etats confessionnels catholiques se sont rapprochés de la théocratie. En Espagne, par exemple, un concordat de 1953 spécifiait que dans toutes les écoles l'enseignement devait être adapté aux principes du dogme et de la morale catholiques. Dans ce même pays, la liberté du culte a été réservée à la seule religion catholique jusqu'en 1967.
L'Iran constitue aujourd'hui un parfait exemple de théocratie. On assiste d'ailleurs dans l'ensemble du monde musulman à des tentatives (parfois couronnées de succès) de restauration ou de renforcement de la théocratie. Par delà la logique, l'histoire démontre que les théocraties intégrales sont toujours totalitaires.
Contrairement à ce que pensent ou désirent certains chrétiens, agacés par la très grande liberté des moeurs qui règne aujourd'hui dans le monde occidental, le christianisme biblique ne peut en aucun cas justifier la théocratie. « Mon Royaume n'est pas de ce monde » (Jean 18, 3 6) affirme le Fils de Dieu pour mieux souligner que les hommes ne parviendront jamais à l'instaurer ici-bas par leurs propres efforts. De plus, la première fonction de la loi de Dieu est d'être le pédagogue conduisant à Christ (Galates 3, 24) en révélant à tous les hommes qu'ils sont incapables de la respecter vraiment. Comment serait-il dès lors possible d'identifier les lois étatiques aux commandements de Dieu sans engendrer d'insupportables tensions chez un grand nombre d'individus, les hommes étant tous foncièrement impuissants à suivre intégralement les lois de Dieu, sauf à être recréés par lui, et encore, le chrétien n'atteignant la perfection que dans l'au-delà (Jacques 3, 2 ; 1 Jean 1, 8) ? Enfin le Christ a prédit qu'en toute société les chrétiens seront minoritaires (Matthieu 7, 14). Comment une minorité pourrait-elle imposer son credo moral à une majorité sans recourir à la force, démarche à laquelle les chrétiens ne devraient pas recourir. Les protestations ne sont bien entendu pas interdites ! et les chrétiens ont certainement le devoir de peser sur le droit de leur société en utilisant les instruments de la démocratie.
Tous ces développements ne visent évidemment pas à apporter une caution à l'anarchie, loin de là, mais tendent simplement à démontrer que les lois du Dieu de Jésus-Christ sont tellement grandioses et exigeantes pour l'homme naturel, qu'aucun Etat ne pourra jamais les imposer. Par contre, pour le bien-être du peuple, l'Etat fera bien de s'en inspirer, ce qu'ont fait de nombreux Etats d'Europe occidentale. Sous peine de ne pas être respectées par le grand nombre, les lois étatiques doivent être à la portée de « l'homme naturel moyen ». Au total, la théocratie. ne saurait trouver sa justification que dans une religion différente du christianisme biblique. Les théocraties ne sont favorables ni à la liberté religieuse, ni aux chrétiens.
LE GALLICANISME
Le gallicanisme est la situation dans laquelle l'Etat contrôle, avec une intensité variable, les Eglises. Le modèle a prévalu en France sous Louis XIV et durant le XIXe siècle, comme ce fut aussi le cas en Allemagne et en Suisse, avec les fameux épisodes du Kultur-kampf. Aujourd'hui, tous les pays communistes sont gallicans, surveillant et persécutant à des degrés divers toutes les confessions chrétiennes, mais aussi les Juifs et parfois les musulmans. Le contrôle de l'Etat peut aller jusqu'à la surveillance policière des cultes, et dans les cas extrêmes, aboutir à la mort de ceux qui, au nom de leur conscience, refusent de céder aux pressions de l'Etat, comme ce fut le cas pour ce prêtre albanais fusillé sur le champ pour avoir été surpris en train de baptiser un enfant ; comme ce fut aussi le cas pour le soldat soviétique Mosseïev, torturé à mort pour avoir parlé de sa foi en Jésus-Christ dans les casernes de l'armée rouge.
Le gallicanisme est souvent le fait de pays totalitaires idéocratiques ou de pays désireux de restreindre les prérogatives d'Eglises qu'ils jugent (parfois à tort, parfois à raison) envahissantes au point de dépasser leurs sphères d'activité naturelles. Aujourd'hui, il subsiste des vestiges de gallicanisme jusque dans certains pays protestants, comme la Norvège, où l'Etat nomme toujours les évêques luthériens. En Norvège, d'aucuns hésitent à franchir le pas qui conduirait à une séparation complète entre l'Eglise et l'Etat parce que la minorité « libérale »(sur le plan théologique) et la vaste majorité des citoyens qui ne sont pas des luthériens actifs perdraient leurs pouvoirs dans l'Eglise ! Le gouvernement suédois a lui aussi connu de telles hésitations.
Le gallicanisme qui tend à contrôler les Eglises au-delà des limites légitimes de l'ordre public, restreint toujours la liberté religieuse, puisque dans ses formes les plus douces, il conserve à l'Etat le droit inadmissible de nommer les évêques de l'Eglise.
LE LIBERALISME
Dans les relations entre l'Etat et les Eglises, le libéralisme est le régime qui laisse les secondes totalement libres de s'organiser et de déployer leurs activités comme elles l'entendent, avec pour seule restriction le respect du droit commun. C'est la séparation entre l'Eglise et l'Etat, l'une des ultimes retombées de la théorie augustinienne des deux Cités,le modèle préféré de la plupart des grands défenseurs de la liberté religieuse.
Les Etats-Unis constituent le berceau, et simultanément le pays phare de la liberté religieuse. Ils sont les premiers à avoir connu la séparation de l'Eglise et de l'Etat en même temps que l'absence de toute Eglise officielle.
Cette remarquable institution est ancrée dans le 1er Amendement de la Constitution américaine. Aux Etats-Unis, la séparation entre l'Eglise et l'Etat, et tout autant l'absence d'Eglises officielles, n'ont pas freiné la vitalité des Eglises, et c'est le moins qu'on puisse dire. En France, qui pourtant vit sous le régime de la séparation depuis 1905, le dynamisme des Eglises ne s'inscrit pas à la même hauteur qu'aux Etats-Unis. Ces deux exemples soulignent la complexité du réel, mais n'atténuent en rien la constatation irréfutable que la séparation intégrale entre l'Eglise et l'Etat est très logiquement le régime le plus propice à la liberté religieuse.
La pleine séparation de l'Eglise et de l'Etat, caractérisée au niveau des structures gouvernementales par l'absence d'un ministère des cultes ou des affaires religieuses (ce qui n'est pas le cas des pays communistes de l'Est qui, par ailleurs, défendent le principe de la séparation !) va toujours de pair avec une entière liberté religieuse reconnue aux adeptes de toutes les religions.
La séparation intégrale de l'Eglise et de l'Etat est au surplus le seul régime véritablement équitable. Il empêche le très regrettable phénomène de la solidarité contrainte que l'on rencontre en l'occurrence chaque fois qu'un non-croyant ou un membre d'une Eglise ou d'une communauté non reconnues par l'Etat, finance, par le biais de ses impôts, le culte,les Facultés de théologie ainsi que les autres activités des Eglises officielles. Un tel système, dont subsistent des vestiges dans de nombreux pays occidentaux, au nombre desquels figurent la Suisse, et la République Fédérale d'Allemagne, est aussi injuste qu'inutile. Philosophiquement et même politiquement, aucun argument rationnel ne justifie les privilèges accordés par l'Etat à une ou plusieurs confessions au détriment d'autres.
La séparation intégrale de l'Eglise et de l'Etat, condition nécessaire et presque suffisante de la liberté religieuse, débouche logiquement sur un pluralisme théologique, confessionnel, philosophique et politique étendu. Les hommes étant ce qu'ils sont, le pluralisme est toujours le corollaire obligé de la liberté qui constitue le terreau idéal de l'émergence de pensées divergentes et contradictoires. Si le pluralisme est le corollaire de la liberté, l'inverse est vrai aussi. Pas de liberté sans pluralisme. Les sociétés monolithiques et homogènes dans le domaine religieux ou politique sont toujours intolérantes à l'égard des minorités. Jusque dans ce siècle, il était très inconfortable d'être protestant en Espagne... comme d'être catholique en Suède (un peu moins, il est vrai).
Le pluralisme est une des principales sources historiques de la liberté. Emile Poulat, du CNRS, écrit justement que les libertés individuelles sont un produit de la dissociation du christianisme, qu'elles ont été élaborées contre les dogmes catholiques et que seuls parmi les chrétiens,ceux qu'on appellera les sectaires et les indépendantistes, ont revendiqué la liberté religieuse.
Ce sont les pays pluralistes sur le plan confessionnel qui, les premiers, ont connu une liberté religieuse et politique digne de ce nom (Etats-Unis, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Suisse).
C'est le pluralisme dont elle était l'auteur, qui a permis à la primitive Eglise de jouir de ses premiers temps de liberté. L'Edit de Milan de 313 a consacré la liberté religieuse en tant que conséquence inéluctable d'un pluralisme très marqué : « Il convient à la tranquillité dont jouit l'Empire que la liberté soit complète pour tous nos sujets d'avoir le Dieu qu'ils ont choisi et qu'aucun culte ne soit privé des honneurs qui lui sont dus ». Les grands zélateurs de l'unité visible et organique des Eglises-institutions feraient bien de se souvenir que les divisions confessionnelles (de même, d'ailleurs, que les divisions politiques !) comportent autant d'avantages que d'inconvénients... sinon davantage. Une Eglise-institution unifiée, unique et monolithique ne pourrait être que totalitaire. Le parti unique finit toujours par piétiner les fleurs de la liberté !
La liberté religieuse est indissociable du pluralisme pour une autre raison. Elle est indivisible et soumise au principe d'égalité, sinon elle n'est plus la liberté religieuse. Cela signifie que si les baptistes en sont titulaires, les catholiques, les mormons et les adeptes de la secte Moon doivent également en jouir. Dans leur optique, les modernes théories des droits de l'homme considèrent à juste titre la liberté religieuse comme un droit imprescriptible de la personne humaine.
Cela nous amène à stigmatiser l'attitude des chrétiens revendiquant la liberté religieuse pour eux-mêmes et qui, simultanément, approuvent les mesures de suppression prises à l'encontre de certaines Eglises, communautés ou sectes. Il y a quelques années, des chrétiens évangéliques s'étaient réjouis de l'interdiction des
Témoins de Jéhovah en Algérie. Aujourd'hui, ils sont pratiquement logés à la même enseigne... ! « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux» (Luc 6, 31).
Si la liberté religieuse est vraisemblablement la liberté la plus précieuse de l'homme, elle ne saurait jamais être absolue. Chacun comprendra qu'il ne serait guère admissible que des croyants fassent culte jeudi matin à deux heures en réveillant tous les habitants du quartier où se trouve leur chapelle. Même dans les pays les plus libéraux, tout individu peut se défendre juridiquement contre l'insistance d'un autre individu qui lui téléphonerait cinq fois par jour pour lui dire qu'il doit rejoindre son Eglise sous peine de subir les flammes de la géhenne. Cela est anecdotique. Mais plus grave est le cas de ces centaines de jeunes dont les parents perdent la trace dès qu'ils ont été embrigadés dans les sectes telles que Moon. Certains embrigadements ne sont pas éloignés des enlèvements, sévèrement sanctionnés par tous les codes pénaux.
Ces quelques exemples montrent bien qu'il est légitime que la liberté religieuse soit restreinte. Les restrictions qui la frappent ne sont toutefois compatibles avec un ordre juridique démocratique et stable qu'à deux conditions :
D'abord, elles ne doivent pas porter atteinte à l'essence de la liberté religieuse, ne pas la vider de sa substance.
Ensuite, elles doivent procéder de la législation ordinaire, limitant de manière équivalente toutes les autres libertés personnelles (liberté de pensée, d'opinion, politique, d'association, etc.).
Une législation d'exception, limitant spécifiquement la seule liberté religieuse à l'exclusion des autres libertés individuelles, ouvre virtuellement les portes à l'arbitraire et entraîne avec la logique de restrictions supplémentaires.
En dépit de toutes ces nuances, nous pensons avec fermeté, mais dans le respect des pensées divergentes, que les chrétiens devraient être partisans d'une séparation intégrale entre l'Eglise et l'Etat, contribuant ainsi à la réalisation de l'une des idées maîtresses de Cavour : « Une Eglise libre dans un Etat libre ».
Si la liberté religieuse protège les chrétiens et croyants d'autres religions contre les mesures liberticides et discriminatoires de l'Etat, et dans une large mesure contre les contraintes et discriminations les plus évidentes de la société civile, elle ne servira jamais de rempart suffisant contre certaines formes de persécutions exercées par la société civile. Un adventiste du 7ème jour qui observe le sabbat, éprouvera les plus grandes difficultés à devenir directeur d'une entreprise, sa trop grande « rigidité » (lisez sa fidélité à sa foi) constituant pour lui un handicap presque insurmontable. Un cadre catholique ou pentecôtiste qui, dans ses activités, se refuserait à tout mensonge, pourrait (nous parions au conditionnel) rencontrer une hostilité à laquelle aucun Etat ne pourra jamais le soustraire. Un chrétien protestant témoignant de sa foi en Jésus-Christ pourra lui aussi se heurter à un mur d'indifférence... ou de mépris. (Il Timothée 3, 12) Aucune loi ne pourra jamais effacer cette réalité.
REGIME POLITIQUE ET LIBERTE RELIGIEUSE
Quelques théologiens ont cru trouver dans les Ecritures la justification de certains régimes politiques, au nombre desquels figurent la théocratie, la monarchie et même un type particulier de communisme. L'équation vos populi vos Dei ne pouvant en aucun cas être retenue comme fondement d'une Cité conforme à la volonté révélée de Dieu, la démocratie n'a jamais été perçue comme un système divin. Toujours est-il qu'historiquement et logiquement, la démocratie est de tous les régimes politiques le plus propice à la liberté religieuse, et de loin ! Il y a affinité élective entre ces deux valeurs. En toute démocratie, la liberté religieuse n'est pas octroyée, ni ne doit être revendiquée, pour les deux raisons fondamentales que voici : Tout d'abord, elle fait partie intégrante du catalogue classique des libertés individuelles inscrites dans les Constitutions exactement au même titre que les autres libertés. Ensuite et surtout, elle est réductible ou identifiable à d'autres libertés individuelles fondamentales.
La liberté de culte est une forme de la liberté d'association. La liberté de professer sa foi présente une parenté évidente avec la liberté d'opinion. A la limite, dans les régimes démocratiques, la liberté religieuse pourrait être dérivée des autres libertés individuelles! C'est cela qui a fait de la démocratie un vecteur historique majeur de la liberté religieuse en même temps qu'un de ses plus sûrs garants.
CONCLUSIONS
La principale vocation des chrétiens n'est pas de revendiquer la liberté religieuse qui n'est pas une finalité en soi. La liberté religieuse n'est même pas la source privilégiée du dynamisme et de la fidélité des Eglises chrétiennes. Bien au contraire, puisque les persécutions ouvertes engendrent très souvent une croissance qualitative et quantitative de l'Eglise.
L'Empire romain des premiers siècles et l'URSS contemporaine témoignent du phénomène. Est-il dès lors opportun de souhaiter que les Eglises des sociétés démocratiques passent par de rigoureuses tribulations pour qu'elles connaissent de nouveaux Réveils ? Pour satisfaire à l'exigence de cohérence, les chrétiens (ils existent) qui nourrissent de telles aspirations devraient également appeler de leurs voeux la maladie ou toute autre difficulté, puisque l'expérience montre (malheureusement !) que ces épreuves prennent fréquemment la forme d'une voie royale vers le salut ou le surcroît de sanctification. Nous récusons une telle attitude, Dieu invitant les chrétiens à « faire des prières... pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille » (II Timothée 2, 2). Par ailleurs, appeler le mal pour qu'il en résulte le bien n'est pas une démarche à laquelle Dieu convie l'homme... » même si Son plan parfait circonscrit l'oeuvre des méchants ! Mais alors c'est le Seigneur du temps et de l'espace qui par Sa volonté toute-puissante fait « concourir toutes choses au bien de ceux qui l'aiment », et non l'homme qui est invité par le même Seigneur à déclencher un processus dont il n'est pas certain de maîtriser tous les développements.
Aucun chrétien n'a à rougir d'apprécier la liberté, la paix et la santé. Ce sont des grâces de Dieu, en même temps que des aspirations humaines légitimes et constructives.
Jean-Pierre GRABER
Ichthus 1985 - 4 (No 131)