LES PROPHETES NE SONT PAS DES « DEVINS » mais des hérauts de Dieu
C'est avoir une conception bien inexacte de leur mission que de faire des prophètes essentiellement des devins. Beaucoup plus que l'annonce de l'avenir, l'objet de leur message fut le déchiffrement du présent, le rappel inlassable des exigences de l'heure actuelle, l'évocation des engagements de l'Alliance qu'aucun événement ne saurait rendre caducs.
Les prophètes sont « prophètes » (du mot grec qui signifie bien « l'interprète », « le héraut ») parce qu'ils parlent, au nom de Dieu, aux hommes de leur temps : Et pour leur dire quoi ?... Tout simplement l'essentiel.
L'essentiel, c'est le point de vue de Dieu sur les choses, les événements et les hommes. L'essentiel, c'est la réalisation du plan de Dieu qui ne coïncide que bien rarement avec les plans des humains : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos voies ne sont pas mes voies... Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Isaïe, chap, 55, vers. 8-9).
Au nom de la justice et de la vérité
L'essentiel c'est cette recherche de Dieu, dans la simplicité du coeur et le culte de la justice dont aucun rite, aucune pratique extérieure ne saurait tenir lieu.
Le prophète sera réellement le « sel de la Terre » sans lequel elle s'affadirait. Grâce à lui les choses qui passent ne perdront pas leur référence aux choses éternelles, ni les valeurs relatives aux valeurs absolues. Le prophète sera l'homme qui s'opposera toujours à ce que le rite devienne le voile de l'imposture, la raison d'Etat l'excuse de l'injustice, le moyen la fin. Le prophète sera l'homme qui au delà de toutes les « lettres » dégagera l'esprit, sous n'importe quelle apparence, dénoncera la réalité, et devant n'importe quel compromis se refusera à ce que Dieu soit servi pour autre chose que pour lui-même.
Désarmé et sans titre autre que l'inspiration divine, dont il lui faudra faire la preuve d'ailleurs, il ira affronter les grands de son peuple, reprocher aux prêtres la vénalité, aux juges leur partialité, aux rois leurs violences et leur impiété :
Samuel devant Saül pour lui signifier que l'obéissance est meilleure que le sacrifice, et que la sorcellerie est une révolte contre Dieu (1er Samuel, chap. 15, vers. 2223). Nathan devant David pour lui reprocher le meurtre sordide d'Urie le Hittite (21, Samuel, chap. 12, vers. 712). Élie devant Achab pour dénoncer l'exaction criminelle qui lui permet de s'emparer de la vigne de Naboth après avoir fait mettre celui-ci à mort (1er Rois, chap. 21, vers. 19-24). Jean-Baptiste devant Hérode pour lui rappeler qu'il n'est pas permis de prendre la femme de son frère (Matthieu, chap. 14, vers. 4).
« Va vers ce peuple et dis-leur... »
Tel est l'ordre divin qui retentit inexorablement à l'oreille du prophète, pour l'entraîner, comme malgré lui, devant les rois, les prêtres et les juges, afin de leur rappeler que ni le sceptre, ni la robe n'autorisent à avoir deux poids et deux mesures. Devant le peuple, pour bien lui inculquer que la fumée de l'encens pas plus que le sang des animaux ne sauraient être agréables au Dieu qui sonde les reins et les coeurs, s'ils ne sont l'expression authentique de l'amour, de l'obéissance, de la justice et de la sainteté. Devant les riches et les repus, pour leur apprendre que le vrai culte commence par le respect d'autrui et la purification de toute injustice sociale au sein d'un peuple qui n'est jamais que le locataire de son Dieu sur la terre donnée par lui.
« Depuis le jour où leurs pères sont sortis du pays d'Égypte et jusqu'à ce jour, dit Dieu dans Jérémie (chap. 7, vers. 25-27), je leur ai envoyé tous mes serviteurs, les prophètes; chaque jour, je les ai envoyés... Mais ils ne m'ont pas écouté, ils n'ont pas prêté l'oreille... Tu leur diras tout cela, et ils ne t'écouteront pas; tu les appelleras, et ils ne répondront pas. »
Le sort tragique des envoyés du « Père »
Austère vocation que celle du prophète, destiné à prêcher dans le désert de ce monde, tout entier sous l'emprise du mal, séduit par la jouissance et le paraître (1ère Épître de Jean, chap. 2, vers. 16; chap. 5, vers. 19). « j,ai suscité parmi vos fils des prophètes, ajoute un oracle d'Amos (chap. 2, vers. 11), et aux prophètes vous avez donné cet ordre : Ne prophétisez pas! » La condition du prophète est essentiellement crucifiante : la communauté et la cité ne sauraient supporter celui qui vient protester et les reprendre au nom de la justice et de la vérité.
Cette mission qui incombe aux « hérauts » de Dieu explique le sort tragique qui fut le leur et la fréquence de leur sang versé. Ils furent les serviteurs envoyés en vagues successives par le Père de famille vers ces invités discourtois qui trouvèrent toujours de bonnes raisons pour se dérober à l'invitation aux Noces :
« J'ai acheté une terre, il me faut aller la voir, je t'en prie, tiens-Moi pour excusé. - Je viens de me marier; pour cette raison je ne puis venir... » (Luc, chap. 14, vers. 17 et suivants).
L'homme est extraordinairement habile à fuir les prévenances divines; la destinée des prophètes est là pour en témoigner 1 Souvent les interpellés ne se contenteront pas de s'excuser, mais, comme les vignerons homicides, ils se saisiront des messagers et, après les avoir couverts d'outrages, ils les mettront à mort.
L'auteur de l'Épître aux Hébreux (chap. 11, vers. 36-38) parlera de ces hommes dont le monde n'était pas digne, qui furent torturés, lapidés, sciés, passés au fil de l'épée; qui menèrent une vie vagabonde, vêtus de peaux de bêtes, dénués, persécutés, maltraités, errants dans les solitudes, les montagnes et les antres de la terre. Le Christ rendra hommage à leur obscur labeur, lorsqu'il dira aux disciples - sur la margelle du puits de Jacob, au terme de son long entretien avec la Samaritaine : « Autre est le semeur et autre le moissonneur. Je vous ai envoyés moissonner ce pour quoi vous n'avez pas peiné. D'autres ont peiné et c'est vous qui recueillez le fruit de leur peine » (Jean, chap. 4, vers. 37-38).
Ce fut la mission de tous et de chacun, du dernier comme du plus grand d'entre eux, que de « marcher devant le Seigneur pour lui préparer un peuple parfait » (Luc, chap. 1, vers. 17). Ils furent « la voix » unique et multiple qui clame dans le désert : « Préparez le chemin de Yahvé! » (Isaïe, chap. 40, vers. 3; cf. Matthieu, chap. 3, vers. 3) voix qui s'identifie tellement à la Parole qu'elle en parait, pour ainsi dire, indiscernable.
Dom Jacques GOLSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 59 pages I-II.