La puissance de la grâce Un missionnaire se souvient
La Parole a été faite chair. Elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçue.
Mais à ceux qui l'ont reçue, à ceux qui ont cru en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir (d'être faits) enfants de Dieu. Et cela ne vient pas du sang, ni de la chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu (Jean 1/14,4,11-13). Vous n'avez: pas reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte, mais un esprit d'adoption
par lequel nous crions : «Abba, Père ». L'Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Ro. 8/15- 16 ).
Il n'y a pas de crainte dans l'amour : l'amour parfait bannit la crainte (Jean 4 / 18).
DEUX SOUVENIRS
Invité, un matin de 1938, à annoncer l'Evangile dans un village de la forêt ivoirienne où il ne l'a encore jamais été, que dois-je dire, et comment le dire pour que ceux qui se pressent autour de moi, qui n'ont jamais eu l'occasion d'apprendre à lire et qui ne savent rien de la Bible, entendent une parole de Dieu ?
Jeune missionnaire, tout juste arrivé, après un premier séjour au Dahomey, dans un pays, une région dont je ne connais encore ni la langue ni les coutumes, et traduit par un jeune catéchiste venu lui aussi depuis peu d'une tribu assez lointaine où l'on parle bien sûr une autre langue, j'éprouve comme je ne l'ai encore jamais fait ce que Karl Barth a pu appeler la « détresse » de la prédication évangélique. Et comme si cela ne suffisait pas,voici qu'on me demande, avant toute autre chose, de réconcilier deux jeunes époux qui se sont disputés cette nuit.
Dans ce pays où règne la polygamie et où les parents décident seuls du mariage de leurs enfants, que signifie pour eux le foyer, le couple, et à quel sens de la fidélité, de l'amour, pourrais-je en appeler ?
Mais d'abord pourquoi me présente-t-on cette affaire ? A quel test me soumet-on ainsi ? Toutes ces questions se pressent à mon esprit, me harcèlent mais une chose est claire, c'est que je dois agir, parler, sentant bien que de mon comportement, de mes paroles, dépendra largement la façon dont, ensuite, l'Evangile sera accueilli dans ce village.
Ou plutôt même que ma réponse à une question qui peut paraître parfaitement étrangère à une première annonce de l'Evangile doit être elle-même une parole d'Evangile.
Je parle alors simplement du Dieu au nom duquel je suis ici. De ce Dieu qui nous aime tous, même quand nous ne le savons pas. Qui nous aime tant qu'il a envoyé sur la terre son fils, Jésus-Christ, pour qu'il nous annonce la bonne nouvelle de cet amour.
A ces hommes pour lesquels la notion de sacrifice de propitiation, d'expiation, est au coeur même de leur religion traditionnelle, je parle de Jésus qui a accepté de mourir pour nous afin que, à cause même de l'amour qu'il a montré ainsi, Dieu nous pardonne et nous reçoive tous, nous adopte tous comme ses enfants... pourvu que nous nous repentions de ce que nous avons fait de mal et que nous croyions vraiment que Dieu veut nous accueillir ainsi et qu'il le fait.
Mais voici que quand nous croyons cela, Dieu nous donne un coeur nouveau qui nous rend capables d'aimer à notre tour, et de pardonner, comme lui, à ceux qui nous ont fait du mal. Pendant que je parle ainsi, je sens toujours plus clairement que la tâche même qui m'a été proposée et qui, au début, m'a pris au dépourvu - réconcilier, après leur dispute, un homme et une femme qui me sont parfaitement inconnus - m'a en fait introduit au coeur même de ce ministère dont j'ai la charge : le ministère de la réconciliation, cette réconciliation qui leur deviendra possible, vraie en profondeur, quand chacun d'eux se sera d'abord réconcilié avec Dieu.
Oui mais, encore une fois, comment cela peut-il être entendu par ceux qui m'écoutent ? La réponse m'est donnée d'une façon bien inattendue. Un vieillard vraiment très âgé, se lève, vient vers moi et dit : « Si cette parole que tu dis est vraie, c'est un miracle. Aujourd'hui, je viens avec toi ».
Qu'est-ce à dire ? Je ne le comprendrai que quelques mois plus tard quand, à l'heure de son baptême, je demanderai à cet homme ce qu'il a voulu dire ce jour-là, ce qui l'a poussé à s'engager ainsi, et qu'il répondra par ces paroles si simples : « On nous a toujours dit que Zo,1* le dieu qui a tout créé, et qui autrefois, vivait avec les hommes, dans leurs villages, s'est fâché avec eux parce qu'ils avaient fait du mal, et qu'il est parti. Alors nous sommes seuls, seuls devant la foudre et la variole, devant l'inondation et la sécheresse, les bêtes sauvages et tous nos ennemis, morts ou vivants, et nous avons peur. Mais tu nous as dit que Dieu nous aimait - et pour dire Dieu, pour parler de ce Dieu que nous a révélé Jésus-Christ, il emploie bien sûr, comme le catéchiste l'a fait, le nom « Zo » -, qu'il nous aimait et nous prenait pour ses enfants. Alors ça change tout, je n'ai plus peur ».
Ainsi, à ce vieillard, au travers de paroles pourtant bien maladroites, Dieu avait fait entendre une parole vivante, créatrice. Il lui avait donné de faire de façon proprement immédiate l'expérience de l'amour de Dieu dont parle Saint-Jean dans sa première épître, cet amour qui bannit toute crainte du coeur de ceux qui l'écoutent. « Détresse et promesse de la prédication évangélique », dit si justement Karl Barth.
Quelques mois plus tard, au cours d'une longue tournée, j'aborde avec un autre catéchiste un gros village, dans lequel il ne nous a jamais encore été possible d'annoncer l'Evangile : deux, trois fois déjà, à notre passage, nous l'avons trouvé comme désert ; personne dans les rues ou les cours ; aucun visage, même furtif, aux fenêtres, d'ailleurs toutes closes.
Aujourd'hui un homme nous attend, seul, aux premières maisons, et nous dit que le chef du village nous demande de « poser notre bagage » - de nous arrêter un moment - dans sa cour. Le chef, après les salutations rituelles, nous annonce qu'un abri de feuillage a été dressé à notre intention au centre du village, où nous pourrons nous adresser à ceux qui voudront nous écouter. Nous y allons mais, chose curieuse, la grande rue est aussi déserte qu'à nos visites précédentes. Bientôt cependant s'approche un groupe de huit personnes qui sont certainement parmi les plus âgées du village, quatre hommes et quatre femmes à la démarche hésitante qui, tout cassés, s'appuyent sur de longs bâtons, portant chacun le petit siège de bois sur lequel ils vont s'asseoir devant nous, sans un mot, le regard, à l'infini, passant comme sans nous voir au travers de nous.
Habitué à un accueil chaleureux dans des villages où tout semble n'être que chants et danses, vêtements de fête et mouchoirs agités, tandis qu'un essaim d'enfants se pressent autour de nous, je n'ai jamais vu encore, et ne retrouverai d'ailleurs jamais au cours de mes années africaines, un tel scénario. Et devant ces gens qui jouent si bien le jeu de n'être là que sur ordre, de la façon la plus impersonnelle possible, et sans prendre aucun intérêt à la chose, je me demande bien, cette fois encore, ce que peut être de ma part et signifier pour eux une première annonce de l'Evangile.
Sans que j'aie pu le prévoir, il me semble ce jour-là que je ne peux le faire autrement qu'en racontant la parabole de l'enfant prodigue. Sans préambule bien sûr, et sans la lire dans la Bible : que signifierait une telle lecture pour ces gens qui n'ont jamais connu aucune école, aucun livre, et pour lesquels tout échange de pensées, toute transmission de connaissance, ne peut être qu'oral ?
Je leur raconte donc cette parabole comme une simple histoire, un peu d'ailleurs, sans doute, comme Jésus l'a dite un jour : « Un..homme avait deux fils... ». Puis j'ajoute que, comme ce père aimait son fils, même après son départ si fâcheux, si coupable, Dieu nous aime tous. Ce n'est pas lui qui est parti, et qui serait fâché contre nous comme ils le croient tous : ce sont les hommes, c'est nous qui l'avons quitté, en croyant qu'ainsi nous serions libres... et qui avons trouvé sur notre route déceptions et détresse. Mais Dieu attend toujours notre retour, que nous lui demandions pardon. Quand nous le faisons, non seulement il nous pardonne, mais il fait, pour nous accueillir dans sa maison, une fête, et quelle fête ! Et nous découvrons alors ce que c'est que d'avoir un tel père.
Comment est-ce que je sais cela, et pourquoi suis-je venu le leur dire ? Ce n'est pas parce que je suis un blanc, un Européen ; c'est à des hommes d'un pays de l'Asie que Dieu a envoyé son fils, Jésus, qui leur a raconté cette histoire, et beaucoup d'autres, pour leur faire connaître l'amour de Dieu.
De ce pays-là, il y a bien longtemps, des hommes qui avaient cru à ses paroles sont venus apporter cette bonne nouvelle à nos ancêtres à nous, les blancs qui, comme les Africains aujourd'hui, croyaient à toutes sortes de dieux et d'esprits qu'ils redoutaient.
A notre tour, nous venons l'apporter aujourd'hui aux hommes de ce pays pour qu'ils sachent eux aussi que Dieu les aime et qu'il veut faire d'eux ses enfants, comme il l'a fait pour nous ; pour qu'ils ne vivent plus alors dans la peur, mais dans la paix et la joie de ceux qui peuvent appeler Dieu leur père. Nous venons partager avec eux cette joie de nous savoir adoptés par Dieu, la joie de l'adoption.
Quand je m'arrête de parler, les huit vieillards se lèvent, toujours sans dire un mot, et s'en vont directement chez le chef du village - Assez interloqués, nous y allons aussi, pensant que nous aurons là l'explication du mystère, mais il n'en est rien. Le chef, simplement, nous « donne la route » et, reprenant nos bagages, nous partons, sans saisir le sens de cette scène que nous venons de vivre. Avons-nous « jeté notre pain à la surface des eaux »... ou seulement donné un coup d'épée dans l'eau ?
La réponse m'est donnée quand, nous retrouvant six mois plus tard à l'entrée du village, nous y sommes accueillis par une foule de quelque deux cents personnes en vêtements de fête qui, chantant et dansant, nous conduisent vers une belle, grande chapelle toute neuve, aux murs faits de lames encore toutes vertes de bambous « tissées » en grands panneaux damassés glissés dans les rainures de poteaux de bois qui portent aussi la charpente et le toit en nervures et feuilles de palmier. A l'intérieur, les bancs sont faits aussi de beaux fûts de bambous bien assemblés. Tout le monde y trouve place, tandis que le catéchiste et moi disposons d'une belle estrade en terre battue.
Tous ces gens qui remplissent le temple, chantent par coeur les cantiques, disent ensemble, le moment venu, le « Notre Père », le Credo, seraient-ils surtout des chrétiens venus de villages voisins pour encourager ici un premier petit noyau de catéchumènes, comme je le suppose d'abord ? Non ; ce sont tous des gens du village. Que s'est-il donc passé ? Les vieillards chargés de nous écouter il y a six mois étaient des anciens du village, conseillers du chef, et qui ne pouvaient rendre compte qu'à lui de leur mission. Après notre départ, ils ont dit que les paroles entendues étaient bonnes. Alors on a envoyé des messagers pour demander aux chrétiens des villages voisins, puis à leur catéchiste, de venir aider ceux qui veulent maintenant ici avancer sur la voie à peine entrevue de l'Evangile.On m'a simplement réservé pour ce matin la surprise de découvrir cette communauté nouvelle et d'inscrire les noms de ceux qui, tout nouveaux catéchumènes sans doute, n'en connaissent pas moins déjà la joie de ceux qui se savent appelés à être fils et filles de Dieu « par adoption ».
NOTRE PÉDAGOGIE ET LA GRACE DE DIEU
Ces deux souvenirs, qu'on ne m'en voudra pas, je l'espère, d'avoir évoqués un peu longuement, nous permettront maintenant d'aller droit au coeur de notre sujet.
Quand nous partons en mission mais aussi, et aussi pleinement, quand nous sommes appelés à être, où que nous soyons, témoins de Jésus-Christ comme c'est le cas pour tout chrétien - sur quoi fondons-nous notre espérance dans le succès de notre entreprise ?
Sur une bonne connaissance de la Parole de Dieu et des hommes auxquels nous aurons à nous adresser ? Sur tout ce que nous permettra de faire, pour enseigner cette Parole à ces hommes, une bonne pédagogie, et peut-être une technique bien rodée de l'évangélisation ? Sur le temps que nous saurons mettre à profit pour cela avec toute la patience voulue ?
Sans doute de tels atouts ont-ils leur valeur, et ne serons-nous jamais assez bien préparés pour notre ministère. Mais à condition de ne jamais confondre les valeurs, et de ne pas attribuer à notre sagesse ou à notre tactique, à notre capacité pédagogique ou à nos efforts, et finalement à la chair et au sang, à un vouloir d'homme, ce qui n'est jamais le fruit que de la Parole de Dieu, de la grâce de Dieu faisant entendre à un homme la Parole de vie, qui le fait naître à la vie nouvelle.
A la limite caricaturale de nos prétentions si dangereusement trompeuses à cet égard me revient toujours la parole de cet Européen qui, m'ayant accueilli avec la plus grande gentillesse dans sa grande case, en bordure d'une piste de la forêt me disait à mon départ, comme une remarque d'un élémentaire bon sens : « Maintenant, pasteur, vous allez évangéliser vos nègres. Mais ne vous faites pas trop d'illusions! Vous savez bien qu'il le faudra des siècles de civilisation pour comprendre cette haute philosophie qu'est l'Evangile ».
Le malheureux ! Et c'est lui qui me mettait en garde contre mes illusions ! Bien sûr, si l'Evangile était une haute philosophie qu'il s'agirait de « comprendre », il aurait eu raison. Mais la vieille femme rencontrée plus loin, à un détour de la piste, rentrant au village avec sur la tête une charge de bois et de légumes pour préparer le repas du soir, et qui, en me voyant, pose son fardeau et accourt vers moi pour me saluer avec une joie toute simple, a bien mieux saisi que lui le sens de l'Evangile. Elle n'a certes jamais eu l'occasion d'apprendre à lire, et il y a quelques mois seulement qu'elle est chrétienne, mais elle sait, avec assurance, que Dieu a fait d'elle sa fille, et elle accueille en moi, avec toute la liberté des enfants de Dieu, l'un de ceux qu'il lui a ainsi donné pour frères.
Des siècles de civilisation n'ajouteraient rien d'essentiel à ce qu'elle a ainsi reçu « immédiatement » de la grâce de Dieu.
ASSIMILATION ? ASSOCIATION ?
Quand s'est ouverte l'ère coloniale, et que les Occidentaux ont tenté d'élaborer des doctrines politico-culturelles sur lesquelles fonder l'action « civilisatrice » dont les meilleurs d'entre eux se sentaient responsables à l'égard des populations colonisées, ils l'ont fait selon deux lignes principales. Les peuples latins ont tendu à l'assimilation de ces hommes. Des Africains, des Asiatiques ainsi pris en charge il s'agirait de faire des Français, des Belges, des Portugais d'Afrique ou d'Asie en leur apportant la civilisation, c'est-à-dire bien sûr la civilisation occidentale, considérée comme seule digne de ce nom.
Les peuples anglo-saxons ont parlé, eux, d'association, de « progrès interne» : prenant ces hommes tels qu'ils étaient, avec leurs civilisations propres, on les aiderait, grâce aux valeurs « évidemment » supérieures de la civilisation occidentale, à se développer plus harmonieusement.
Ces deux doctrines éducatives, la première surtout, n'ont pas tardé à révéler leurs faiblesses, et l'abus de leurs prétentions.
- Sommes-nous si sûrs de pouvoir nous poser toujours et partout en modèles à égaler ? Et sommes-nous fondés à poser la valeur unique de la civilisation occidentale et à faire table rase de toutes les autres ?
- Même si c'était le cas, sommes-nous capables d'atteindre et de faire jouer, en vue des évolutions souhaitées, les ressorts les plus profonds de ces êtres formés, pendant des siècles, à d'autres visions du monde que la nôtre ?
Pour ces hommes, comme le soulignait un jour l'un des plus remarquables d'entre eux, « la communauté était fondée en partie sur les liens du sang, en partie sur l'influence unifiante de la peur de tout ce qui sort du connu et du visible ».2*
Ces hommes, naissant alors chacun avec un statut sociologique hors duquel sa vie n'aurait aucun sens (chef, cultivateur, forgeron, esclave), ne peuvent être précipités dans un contexte socio-économique nouveau, sans se trouver meurtris, déchirés en eux-mêmes, au point d'être acculés au découragement, et parfois résignés à la mort. Tel ce chef canaque qui, traumatisé par l'occupation des terres et le développement organisé de l'alcoolisme, apports les plus marquants de la première colonisation du pays, disait en français au jeune missionnaire Maurice Leenhardt, qui venait d'arriver, en 1902, en Nouvelle-Calédonie : « Vois-tu, les blancs nous ont trompés. Il vaut mieux boire et puis crever ».3*
Touché au plus profond de lui-même par la détresse et le désarroi de ces hommes au milieu desquels il vivait, le bon observateur qu'était Maurice Leenhardt, mû par l'amour même qu'il leur portait au nom de son Maître, allait tant s'appliquer à les bien connaître qu'il deviendrait l'un de nos meilleurs ethnologues et sociologues. Et cette longue, patiente « approche du païen » le conduirait, après vingt-quatre ans de mission à Houaïbou à enseigner à ses élèves - au nombre desquels j'ai eu le privilège de me trouver en 1927, à la Maison des Missions du Boulevard Arago, à Paris
- que ce n'est pas sur quelque doctrine « satisfaite » de l'assimilation ou de l'association qu'ils devraient fonder leur propre approche des hommes d'outremer et leur action parmi eux, mais bien sur celle, plus humble mais combien plus juste, de l'adoption.
Et cela parce qu'aucune démarche humaniste, aussi généreuse fût-elle, ne saurait suffire à libérer l'homme des liens d'une servitude dont elle se refuserait à reconnaître l'origine première. « Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? Ne tomberaient-ils pas tous deux dans un trou ? demande Jésus.4* Et le trou, ici, c'est l'abîme qui sépare l'homme de Dieu, abîme infranchissable aux seules forces de l'homme.
Il ne s'agit pas, pour employer une autre image biblique, de panser une plaie, ou de guérir une maladie, mais, selon le titre même de la brochure de Maurice Leenhardt citée plus haut, d'aider cet homme à passer « de la mort à la vie ».
Quel que soit le terrain humain où plongent nos racines, nous sommes, ou « nous étions tous, dit Saint-Paul, morts à cause de nos fautes. Mais Dieu, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous a donné la vie avec le Christ..., avec lui, il nous a ressuscités, et nous a fait asseoir dans les cieux en Jésus-Christ. C'est par grâce que nous sommes sauvés ».5*
L'enfant de Dieu que nous n'étions plus « par nature » depuis la chute, nous le sommes devenu, ou nous pouvons tous le devenir « par adoption » en Jésus, qui a été envoyé par Dieu pour nous rendre à la vie : « A ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir (de renaître) enfants de Dieu.6* Entendons bien ce que cela signifie : Enfants de Dieu « par adoption », sans doute, à côté du seul « Fils unique ». Mais cela n'indique aucune réserve, aucune limitation à notre encontre. Il s'agit bien d'une adoption plénière, comme Paul le précise en disant : « Enfants, et donc héritiers, héritiers de Dieu, co-héritiers avec le Christ ».7*
Adoptés « par grâce », oui, mais par cette grâce souveraine, divine, qui permet à Paul de déclarer encore : « Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées. Voici, toutes choses sont faites nouvelles ».8*
Vous avez reçu un esprit d'adoption. Voilà ce que nous sommes chargés d'annoncer aux hommes qui nous entendent.
Annoncer, et d'abord croire, avec à la fois toute l'humilité et toute l'assurance requises, tant dans la foi que dans la proclamation du message.
- Une humilité totale, puisque tout cela vient de Dieu, et que c'est l'Evangile lui-même qui est puissance de salut, et non ceux qui l'annoncent.
Revenant de sa première mission en Asie-Mineure, avec Barnabas, Paul en retrace les grands moments aux frères, à Jérusalem, ce que Luc résume magnifiquement ainsi : « Ils racontèrent ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux païens la porte de la foi ».9*
- Mais aussi une pleine assurance, car douter du caractère « accompli » de notre adoption, au nom d'une mauvaise, d'une coupable humilité, ce ne serait pas douter de nous, mais de Dieu. « Nous n'avons pas reçu un esprit de servitude, pour vivre notre foi dans la crainte, mais un esprit d'adoption par lequel nous crions à Dieu ! « Père », et l'amour de ce père bannit de nos coeurs toute crainte, car la crainte suppose le châtiment et celui qui craint n'est pas accompli dans l'amour ».10*
Quand nous croyons cela, quand nous savons que nous sommes sauvés par un tel amour de Dieu, manifesté en Jésus-Christ qui est mort pour tous, alors nous ne pouvons faire autrement qu'annoncer à tous cet amour du Christ qui « nous presse ».11* L'esprit d'adoption dont parle Paul ne peut conduire celui qui l'éprouve à en savourer le privilège pour lui seul, égoïstement : il se renierait lui-même s'il ne saisissait pas que la grâce reçue s'adresse à tous et que chacun de ceux qui l'ont reçue en est, de ce fait même, un témoin, un porteur.
C'est ainsi que l'expérience de l'adoption est bien l'une des motivations essentielles du témoignage chrétien, de l'évangélisation, qui est la mission de l'Eglise ; l'auteur de l'un des cantiques qui a nourri la piété de bien des « amis des missions » l'avait bien compris lorsqu'il écrivait :
Quand vous saurez combien Jésus vous aime,
Quand vous saurez combien son joug est doux,
Ne gardez pas ce trésor pour vous-même,
Mais, avec moi, dites autour de vous !
«Mon Sauveur vous aime. Ah ! cherchez en lui
Votre ami suprême, votre seul appui ».
André Roux
Ichthus 1986-5 (No 138)
La Bonne Nouvelle - Droit de reproduction: prière de s'adresser au journal
1. Prononcer : Dzo - Dans « la » langue Allié, le nom du dieu qui a créé toutes choses.
2. John Karefer-Smart : « Le village de l'Ouest africain et ses problèmes » in Le Monde non-chrétien, n° 29, Janvier-Mars 1954, pp. 101-106.
3. Maurice Leenhardt : « De la mort à la vie ». Les Cahiers Missionnaires. n° 5, p. i 3. S.M.E.P. Paris 1922.
4. Lc. 6.49.
5. Eph. 2.5-7.
6. Jean 1. 12.
7. Rm. 8. 17.
8. 2 Co. 5. 17.
9. Actes 14.27.
10. Rm. 8. 1 5 ; 1 Jean 4. 18.
11 . 2 Co. 5. 14- 15.
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