«Après avoir récolté les produits de la terre, vous irez en pèlerinage fêter le Seigneur pendant sept jours... Le premier jour vous vous munirez de beaux fruits, de feuilles de palmier, de rameaux d'arbres touffus ou de saules des torrents et vous serez dans la joie pendant sept jours devant le Seigneur votre Dieu. Vous ferez ce pèlerinage pour fêter le Seigneur sept jours par an... Vous habiterez sous la tente pendant sept jours... pour que d'âge en âge vous sachiez que j'ai fait habiter sous la tente les fils d'Israël, lorsque je les ai fait sortir du pays d'Egypte ; c'est moi le Seigneur votre Dieu ». Lévitique 23:39-43
A l'occasion de Soukkoth, nos frères Juifs vont construire des cabanes de branchages comportant une ouverture en haut, vers le ciel, et décorées de fleurs et de fruits. Dans les villes israéliennes, ces «Soukkah » apparaîtront sur les balcons ou dans les jardins.
En Europe, on les verra surtout dans les synagogues, à l'usage de toute une communauté et remplaçant les cabanes familiales disparues de nos jours. Autrefois lorsqu'on construisait encore ces cabanes à Paris ou dans d'autres cités occidentales, on se contentait d'y prendre les repas ; les conditions climatiques ne permettaient pas d'y vivre. Quant au pèlerinage prescrit par la Loi, il demeure irréalisable : le Temple n'est plus, les sacrifices ne sont plus offerts. On peut alors s'interroger : la fête de Soukkoth appartient-elle à notre temps ? Conserve-t-elle une signification aujourd'hui ?
Mais ne convient-il pas d'abord de se demander quel était le sens de Soukkoth dans le cadre de l'Alliance conclue par Dieu avec Son peuple sur le Mont Sinaï.
La fête des cabanes se célèbre au début de l'automne, alors que les moissons s'achèvent. Elle évoque le souvenir d'un temps où il n'y avait pas de récoltes ; elle rappelle le désert, ce désert «terrible» qu'Israël avait parcouru durant les quarante premières années de son existence et qui avait imprégné les mémoires de souvenirs désagréables. Le prophète Jérémie l'a décrit comme une région desséchée, pleine de pièges, une région de soif et d'angoisse dans laquelle personne ne passe ni ne vit.
Une fois entré en Palestine, Israël devra donc chaque année loger une semaine sous la tente. C'est en quelque sorte le retour aux conditions de vie du désert dans lequel seule la tente servait d'abri. On se replace dans cette situation pour se faire.une idée de ce qu'ont vécu les ancêtres. Les tentes évoquent la vie nomade avec tout ce que cela comporte en fragilité, en instabilité, en insécurité, en inconnu, en imprévisible. L'être humain a besoin pour son équilibre d'un lieu qui soit le sien, où il peut revenir, qu'il connaît et où il se reconnaît, sur lequel il compte, où il se sent bien, à l'aise, en sécurité ; il lui faut un port d'attache. Mais du désert il n'y avait rien à attendre que la mort : on ne pouvait tirer du sol sa subsistance, l'eau manquait souvent et l'on ne disposait pas des matériaux nécessaires à la confection de vêtements et de. bonnes chaussures de marche, puisqu'il fallait marcher. Au désert, le lieu de l'homme se réduit à une tente, abri bien précaire et jamais planté au même endroit, mais abri tout de même et image, si faible soit-elle, de la protection divine. En effet, pendant ces quarante ans, le Seigneur a pris soin de Son peuple. Ainsi est-ce Lui avant tout que l'on fête à Soukkoth, ce Dieu qui a toujours pourvu. Il a donné la manne, a fait jaillir l'eau du rocher, a assuré la conservation des vêtements et des sandales, a suppléé à l'absence de cartes Michelin en montrant la route par une nuée se déplaçant le jour devant le peuple et par une colonne de feu la nuit. Le Seigneur a protégé et a été facteur de sécurité. Dans ces circonstances de dépendance totale du peuple, Dieu s'est révélé bon et fidèle. Il n'a jamais failli. Toujours il était là comme un Père prenant soin de ses enfants.
En le remplaçant dans les conditions du désert, Soukkoth invitait donc l'Israélite à retrouver quelque chose de cette relation privilégiée avec Dieu au désert. Ainsi Soukkoth était fête de pèlerinage : à cette occasion, l'Israélite se rendait au temple pour y rencontrer son Dieu et jouir de Sa communion, de Sa présence.
TU TE SOUVIENDRAS DE SES DONS
Enfin, la célébration de cette fête, une fois les récoltes engrangées souligne qu'il ne va pas de soi qu'on puisse tirer de la terre sa subsistance. C'est au contraire un don de Dieu. Soukkoth rappelle à l'homme en tout lieu qu'il est dépendant de Dieu. Le Seigneur avait voulu enseigner à Son peuple cette leçon au travers de l'expérience du désert. «Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur t'a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert... Il t'a mis dans la pauvreté, Il t' a fait avoir faim et Il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l'homme ne vit pas de pain seulement, mais qu'il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. Ton manteau ne s'est pas usé sur toi, ton pied n'a pas enflé depuis quarante ans et tu reconnais, à la réflexion, que le Seigneur ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils». (Deut. 8:2-5)
Malheureusement, la pédagogie du désert n'a pas porté les fruits escomptés. Après la mort de Josué, successeur de Moïse, la fête de Soukkoth a sombré dans l'oubli pour n'être à nouveau célébrée qu'au V ème siècle avant notre ère, à l'initiative de Néhémie ! (Néh 8:17)
Ainsi par exemple, au VIII ème siècle, le royaume Israélite du Nord ne se souvient plus de la leçon du désert. Ce royaume vit de son âge d'or. L'ennemi Syrien est affaibli. De récentes victoires militaires ont donné lieu à un agrandissement du territoire. La nation jouit d'une économie florissante : l'agriculture prospère, les affaires rapportent, les richesses abondent, profitant, comme toujours en pareil cas, à une minorité. C'est alors que le prophète Osée entre en scène pour proclamer un message reçu du Seigneur. Il s'élève contre l'oubli et l'abandon de Dieu. Le peuple s'est tourné vers les Baals, idoles des populations cananéennes environnantes. Un culte formaliste, traditionaliste, empreint de faste et accordant une large place au décorum célèbre régulièrement ces soi-disant dieux aux sanctuaires établis. La prospérité, les succès politiques, militaires et économiques sont attribués au pouvoir des idoles. Soukkoth aurait rappelé qu'ils sont dons du vrai Dieu, du Seigneur qui a tiré Israël . d'Egypte. Mais le peuple a préféré se forger des dieux à la mesure de l'homme et il use de ses ressources et de ses richesses pour leur rendre un culte somptueux. «Elle (la communauté d'Israël) n'a pas compris que c'est Moi qui lui donnais blé, vin nouveau, huile fraîche ; Je lui prodiguais de l'argent et l'or ils l'ont employé pour Baal... Je dévasterai sa vigne et son figuier dont elle disait : - Voilà le salaire que m'ont donné mes amants -... Je lui ferai rendre compte des jours des Baals auxquels elle brûlait des offrandes : elle se parait de ses anneaux et de ses bijoux, elle courait après ses amants et Moi, elle M'oubliait ! - oracle du Seigneur. » (Os. 2:10, 14, 15) On s'adonnait même à des pratiques répugnantes : dans les sanctuaires, les femmes et les jeunes filles se prostituaient aux prêtres. Ces «rites religieux» possédaient la vertu, croyait-on, d'obtenir des dieux la fécondité pour les femmes et la fertilité du sol. On se sacrifiait ainsi au matérialisme en lui vouant sa personne.
Il nous est facile de condamner de telles horreurs. Cependant, notre XX ème siècle qui prétend s'être dépouillé de ces croyances mythologiques et superstitieuses ne ressemble-t-il pas, au fond, à l'époque d'Osée ? Comme les Baals en Israël, la science, la technologie, ou la politique ont pris la place de Dieu dans notre société sécularisée, quand ce n'est pas l'astrologie, l'occultisme ou toutes sortes de religions. La prospérité, les acquis prodigieux de l'occident sont attribués à ces dieux modernes. Ce sont pourtant des dons de Dieu. Les ressources dont nous disposons, nos capacités et nos richesses sont mises au service de cette autre idole qu'est le matérialisme. Notre génération vit pour un tas de choses, alors que nous sommes faits pour aimer notre Créateur et nos semblables. Ne présente-t-on pas chez nous aussi le sexe comme un moyen indispensable pour atteindre le bonheur ? Il s'affiche sur les murs de nos cités et occupe une place de choix dans les films publicitaires. Force est de constater qu'on lui prête encore de nos jours le pouvoir de faire marcher les affaires et d'assurer aussi la prospérité économique. En y réfléchissant bien, lequel d'entre nous peut dire qu'il n'a pas cherché sans Dieu et par des moyens purement humain à atteindre le bonheur ? C'est cela l'idolâtrie. «Un peuple qui a si peu de discernement court à sa ruine » écrivait Osée (4:14).
LE RETOUR - LA TECHOUVA
D'où vient le mal ? D'un état d'esprit, de dispositions qui nous orientent vers lui. «Leurs actions rendent impossible leur retour à leur Dieu, car un esprit de prostitution (manière imagée de dénoncer l'idolâtrie) souffle chez eux et ils ne connaissent pas le Seigneur». (Osée 5:4) Ailleurs Osée le compare à une maladie : le mal colle à notre peau, ronge notre être jusqu'en son tréfonds, telle une maladie. Existe-t-il une issue, un moyen d'échapper à la ruine ? La guérison est-elle possible ?
Écoutons la réponse de Dieu à Son peuple : «Eh bien, c'est Moi qui vais la séduire, Je la conduirai au désert, et Je parlerai à son coeur . Et de là-bas, Je lui rendrai ses vignobles et Je ferai de la vallée du malheur une porte d'espérance, et là elle répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle monta du pays d'Egypte » (Os 2:16-17) Israël retournera au désert. Une crise surviendra pour lui : la déportation, l'exil. Israël perdra son indépendance. Sa prospérité s'évanouira pour le laisser démuni de toutes ressources propres. Il se retrouvera dans une situation semblable à celle du désert dont il n'aura plus rien à attendre. Mais Dieu le secourra comme lors de l'Exode. Dans cette situation, le peuple rencontrera une nouvelle fois son Dieu. Tel un jeune homme qui fait la cour à son élue et sait parler à son coeur, le. Seigneur S'adressera à Son peuple. Osée met en relief l'initiative divine. Source d'espérance, l'oeuvre de Dieu suscitera dans le coeur des enfants d'Israël une attitude nouvelle. Le peuple se tournera vers Lui et Lui répondra comme la jeune fille répond à celui qui a gagné son coeur. Alors le Seigneur lui offrira le mariage et le prendra comme un homme prend pour épouse celle qu'il aime. Les images sont hardies sous la plume du prophète. Elles illustrent une relation nouvelle du peuple avec Dieu, fondée sur la mise en vigueur d'une alliance nouvelle. Cette alliance ne sera pas ressentie comme un joug pesant, comme une série d'obligations envers un maître exigeant, mais comme un lien d'amour, de communion intime et intense, dans une dépendance totale du peuple par rapport au Dieu de bonté et de grâce. «Et il adviendra en ce jour-là - oracle du Seigneur que tu M'appelleras : mon Mari, et tu ne M'appelleras pins : mon Baal, mon Maître ». (Os. 2:18) Osée joue sur le mot «Baal » qui signifie aussi « Maître ». Reconduit au désert, le peuple aura appris à dépendre du Dieu véritable et à se confier en Lui.
De telles promesses supposent que Dieu accordera Son pardon et opérera la guérison de Son peuple : «Je les guérirai de leur apostasie, Je les aimerai avec générosité : ma colère s'est détournée de lui ». (Os. 14:5) La guérison se manifestera concrètement par l'abandon des idoles : «J'ôterai de sa bouche les noms des Baals, et on ne mentionnera même plus leur nom». (Os. 2:19) Et Dieu d'ajouter à Ses promesses : «Je te fiancerai à Moi pour toujours par la justice et le droit, l'amour et la tendresse. Je te fiancerai à Moi par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur». (Os. 2:21-22)
Y a-t-il langage plus expressif, plus frappant, plus étonnant pour évoquer la relation que le Seigneur veut avec Ses créatures humaines? Quelle vision extraordinaire de l'amour divin recevant avec tendresse ceux qui se tournent vers Lui pour Le connaître et L'aimer fidèlement de tout leur coeur. Ils vivront alors selon le droit et la justice, recevant de Lui Ses dons généreux. Ils compteront sur ce Dieu qui donne librement et non pas comme les idoles dont il fallait «acheter» les bienfaits. «Et il adviendra en ce jour-là que Je répondrai à l'attente des cieux et eux répondront à l'attente de la terre. La terre, elle, répondra par le blé, le vin nouveau, l'huile fraîche ». (Os. 2:23-24) Le Seigneur prendra à nouveau son peuple en charge comme au désert. Il conduira son existence sur le chemin du droit et de la justice par Sa parole, comme Il l'avait autrefois dirigé par la nuée au désert. Il lui accordera Sa protection bien plus sécurisante que les tentes au désert. Il sera Lui-même polir eux une soukkah comme l'a écrit Esaïe (Es. 4:5-6).
La fête de Soukkoth renvoie à la leçon du désert : l'homme ne vivra pas de pain seulement... L'homme a besoin de Dieu, dépend de Lui. S'il accepte cette dépendance, Dieu lui offre de vivre dans le cadre de l'alliance nouvelle, de ce lien d'amour décrit par Osée. La nouvelle alliance a été conclue en la personne du Messie qui a donné Sa vie pour nous offrir le pardon, la guérison du mal qui nous étreint et une vie nouvelle avec Dieu. Avons-nous retenu la leçon du désert ? Ou croyons-nous pouvoir nous débrouiller sans Dieu, avec nos idoles quelles qu'elles soient ? Entendons-nous l'appel que Dieu nous adresse au travers de la fête de Soukkoth ? Car la véritable soukkah est Dieu lui-même qui S'offre à nous comme un abri sûr et solide, bien plus, comme le Dieu vivant et vrai, digne de confiance et qui désire nous voir entrer et vivre avec Lui dans cette union fondée sur l'amour.
Sylvain ROMEROWSKI
Le Berger d'Israël No 418