Séduction psychologique - Peut-on concilier foi et psychologie ?

 

Peut-on concilier foi et psychologie ? La question, sans être nouvelle, est brûlante pour plus d'un chrétien. Et ce ne sont pas les réponses qui manquent. D'une absorption massive des techniques psychologiques a leur refus total en les assimilant au Malin, rien n'est fait pour dissiper la confusion.

 

L'ouvrage dont nous voulons parler a été sous-titré : L'échec de la psychologie moderne1* et renseigne d'emblée le lecteur quant à l'option proposée. Et pourtant... titre et sous-titre soulèvent une ambiguïté majeure : de quelle psychologie parle-t-on ? Car il y a un monde entre le behaviorisme de Skinner et la psychanalyse de Freud, et ce monde est loin de présenter une homogénéité telle que l'on puisse parler de la psychologie. La préface ne résout rien en parlant de la « psychologie comme science sociale » (p.9), et seule la référence plusieurs fois répétée à la « psychologie populaire » (pp. 8, 99, 227) peut laisser penser que les critiques énoncées s'adressent à cette psychologie de magazine, vulgarisatrice et souvent simplificatrice, ou

encore à une certaine psychologie du succès prétendant offrir une technologie du bonheur. Si c'est le cas, alors les critiques portent parfois, sinon nous avouons ne pas comprendre.

L'ouvrage posant dès les premières pages que « la psychologie et le christianisme sont en fait deux fois religieuses rivales » (p. 7), nous avons tenté de rassembler les critiques les plus significatives (sans être forcément les plus fondées) adressées à l'encontre de la psychologie.

Tout d'abord, trois arguments curieux :

Premier argument: la psychologie est inefficace aux dires mêmes des psychologues (p. 30ss). Mais suffit-il que les témoins de Jéhovah critiquent le catholicisme pour montrer que le christianisme n'a rien à dire ? Que Hans Eysenck, pionnier de la modification du comportement, critique vertement les tenants des théories intra-psychiques n'a rien d'étonnant. Que tous les psychologues ne puissent être simultanément dans le vrai, peu le contesteront. Car les psychologies ne sont que des modèles au sens scientifique du terme, basées sur un certain nombre d'hypothèses et de constats cliniques. L'approche est donc forcément limitée à certains aspects de la personne, et les conclusions seront différentes, parfois même opposées. De plus, l'homme étant ce qu'il est, les querelles de clochers ne sont pas rares... Mais peut-on, à partir de cette situation, tout balayer d'un revers de main? Et l'auteur de reconnaître ,quand même à la fin du livre : Les lecteurs chrétiens doivent également faire preuve de discernement. Ils auraient tort de conclure que désormais la psychologie peut être ignorée sans dommages. Si vous cueillez soigneusement parmi les ronces, vous trouverez des mûres délicieuses pour vous récompenser (p. 267).

 

Deuxième argument: l'augmentation du nombre de psychologues va de pair avec l'augmentation des problèmes sociaux (p. 33ss). Dans la même veine, nous pourrions rajouter : l'augmentation du corps médical va de pair avec l'accroissement des maladies cardio-vasculaires, du cancer, du sida, etc... Peut-on de là conclure à l'échec de la médecine ou encore à « la séduction médicale » ?

Même si l'auteur reconnaît partiellement que l'argument est fallacieux, pourquoi alors le citer ?

 

Le troisième argumentnous ramène les pieds sur terre : le bon sens, nous dit l'auteur, le bon sens nous dit que la psychologie se trompe (p. 35ss.) Mon bon sens reste pantois devant cette affirmation, si ce n'est pour regretter une erreur de traduction (« jeux de rôle » pour « rôle à jouer » ?) qui ne simplifie en rien la compréhension de l'exemple donné.

L'auteur ne poursuit heureusement pas dans cette direction. Certains des arguments qui suivent portent à réflexion, même si le développement qui leur est accordé ne convainc pas toujours. Un premier point abordé est l'absence de tout fondement aux affirmations de la psychologie comme « je suis digne », « j'ai de la valeur », etc (p. 47ss). Qu'est-ce qui permet de passer de tels voeux à la réalité ? Ce n'est pas pour rien, croyons-nous, que plusieurs psychologues reprennent la définition de la foi donnée par le théologien américain Paul Tillich :

« Elle est l'acte d'accepter d'être accepté sans personne ni quelque chose qui accepte. Elle est la puissance de l'être qui accepte et donne le courage

d'être».2* En poursuivant dans la même direction, W. K. Kilpatrick consacre un chapitre entier à ce qu'il appelle : « un raisonnement fondé sur des souhaits » (p. 53ss). Et ce qu'il observe fort justement de la psychologie marque ses limites, au delà desquelles elle ne peut que se taire. Car comme les sciences exactes, elle ne peut parler que du comment et non du pourquoi, et la question du sens de la vie, comme celle de Dieu, reste en dehors de sa portée. Mais ces limites, une fois reconnues, n'enlèvent rien aux découvertes des sciences sociales.

Cela ne semble pas clairement vu par l'auteur lorsqu'il écrit en parlant de «Erreurs de la psychologie sur l'amour » :

... Ces psychologues écrivent de manière persuasive sur le besoin de trouver un amour plus mûr basé sur le donner et le prendre, prêt à accepter le mauvais comme le bon. Ils reconnaissent l'élément tragique dans l'amour et ils soulignent l'engagement. Ce que l'on est contraint de rejeter dans leur travail, ce n'est pas ce qu'on y trouve mais plutôt ce qu'on n 'y trouve pas. On y trouve une analyse et des conseils judicieux et une profonde compréhension à laquelle s'ajoute une meilleure relation. Mais si jamais votre mariage ne marchait pas, ils ne donnent aucune explication raisonnée pour que vous restiez ensemble. La question de savoir pourquoi vous voudriez persévérer à travers vents et marées ne se pose pas. On présume simplement pour quelque raison que vous le voulez (p. 259).

Mais, pardonnez-moi la trivialité de la comparaison, depuis quand u garagiste devrait-il fournir une destination et un itinéraire avec chaque voiture vendue ? Il suppose - à tort ou à raison - que l'acheteur sait où aller, et sa fonction consiste à mettre à disposition un moyen de locomotion. De même le psychologue met à disposition un certain nombre d'outils de travail et de compréhension, et, s'il est honnête, son travail s'arrête là. Il n'a pas de sens à proposer ni d'itinéraire à conseiller, et le lui reprocher relève d'une confusion grave. Nous croyons, comme chrétien, que le sens de la vie n'est qu'en Jésus-Christ, plus précisément par sa mort et sa résurrection.

Alors le constat des limites de la psychologie ne saurait se muer en celui de son échec. C'est ce constat qui permet au contraire une approche sereine, ni craintive ou agressive, ni idolâtre. Nous avons la responsabilité, comme croyants, de rappeler qui est Seigneur et de lutter contre les messianismes psychologiques de toutes sortes - et ils existent, l'auteur le relève fort justement (p. 155) - qui proposent (plus précisément imposent) un sens à la vie que nous ne saurions accepter.

En abordant la question du péché et de la culpabilité au chapitre 6 (p. 87ss), l'auteur ne semble voir que deux alternatives, « à savoir que la tentation du praticien de la cure d'âme est une culpabilisation fausse et précipitée, alors que la tentation du thérapeute est une déculpabilisation tout aussi irréelle ».3* Et à partir d'une étude insuffisante (si ce n'est inexistante) sur la repentance, le péché, la culpabilité, il n'apporte aucune lumière sur cette question centrale dans le débat qui nous occupe. Nous le regrettons.

Nous pourrions énoncer encore des réserves plus théologiques quant à la souffrance rédemptrice (p. 215 : est-ce la mort de Christ ou sa souffrance qui est rédemptrice ?) ; la sacralisation de la sexualité (p. 263) et l'abandon du moi (p. 275) où à nouveau les fondements et une définition claire de ce que l'auteur entend, font défaut.

Fallait-il traduire le chapitre intitulé : « L'esprit américain » dont le seul mérite est de placer « Séduction psychologique» dans son contexte (c'est-à-dire loin du nôtre) ? Nous avons là les limites de la transposition d'un livre imprégné de sa culture, limites qui apparaissent encore clairement lorsque l'auteur parle de la « clarification des valeurs » inconnue dans nos pays francophones et dont la référence restera mystérieuse pour bien des lecteurs.

Ce qui nous a manqué le plus, en lisant cet ouvrage, c'est à la fois des fondements bibliques plus solides et une analyse plus pénétrante de ce qu'est la psychologie. Lorsque William Kirk Kilpatrick écrit : «... les chrétiens doivent faire attention de ne pas confondre leur foi avec les idées psychologiques et culturelles » (p. 203), nous répondons « oui, amen ». Je ne suis cependant pas sûr que l'auteur ait réalisé ce qu'il énonce si clairement. Et quoi qu'en dise un critique au dos de l'ouvrage, nous n'avons pas retrouvé la lucidité et la finesse d'un C.S. Lewis que nous aimons lire (cf notre dernière recension dans Ichthus n° 13 5 ).

Nous conclurons par une remarque inspirée de l'apôtre Paul : « Examinez toutes choses, retenez ce qui est bon ».4* Et manifestons dans nos vies que la liberté se trouve en et par Christ.

Bernard ANDRE

William Kirk Kilpatrick

Ichthus 1986-6 (No 139)

ACCUEIL


.

1*. Lausanne, édition CBE, 1985, 284 p.

.

2*. Paul Tillich, Le courage d'être, Paris, 1967, p. 177.

.

3*. Hans Bürki, « Psychologie ou cure d'âme : faux problème ou alternative ? » Hokhma 28, 1985, p. 3 l.

.

4*. 1Thess 5 : 21.

 

ACCUEIL

 

psychologie, auteur