VERS UNE DEFINITION DE L'AUTORITE*
Article précédent: La maladie du pouvoir:LA CRISE DE L'AUTORITE
L'existence de l'autorité
C'est un lieu commun de dire que l'Ecriture est très sensible à la qualité des rapports tissés entre les hommes. Et c'est vrai particulièrement dans l'Eglise. Un type de relations nouvelles y a été inauguré par le Saint-Esprit.
L'Eglise identifiée à un corps (Eph 4.12 ; 5.23), où tous les membres sont bien coordonnés (Eph 4.16 ; 1 Cor 12. 14-27), nous parle à la fois d'un ordonnancement harmonieux et d'une explosion de vie nouvelle, mais sans anarchie.
L'autorité confessée, qui organise et gère cet état de choses, est toujours en fin de compte celle de Christ (Col 1.17-18) ; mais il faut reconnaître, dans la pratique, que le rouage de l'autorité existe entre les membres de l'Eglise, et plus spécialement entre les adhérents d'une église locale !
Ignorer cet axiome, c'est résoudre ce problème relationnel fondamental, soit par la dissolution de l'autorité, ce qui est illusoire et amène la pagaille ; soit par l'absolutisation de l'autorité, ce qui est usurpatoire et amène la dictature.
Les diverses formes de l'autorité
1) Dans notre société, il existe des chefs "naturels" qui détiennent une autorité que nous pouvons qualifier de hiérarchique : les parents pour leurs enfants, les professeurs pour les élèves, les patrons, les maîtres, etc... Même seuls contre tous, ils décident et font appliquer ce qui leur paraît juste.
2) D'autres critères peuvent nous faire découvrir une autorité fonctionnelle, par exemple : celui qui est plus âgé, ou l'animateur en Centre de Vacances, ou encore celui qui détient le savoir.
Le leader
Prenons précisément l'exemple de "celui qui sait" dans un groupe qu'il connaît et qui le connaît. Celui-ci sera désigné comme chef, tout simplement parce que les autres reconnaissent en lui le seul capable de les instruire, de les guider, de répondre à leurs besoins. L'exemple des anciens dans l'Eglise est typique. L'ancien n'est jamais celui qui se désigne, mais celui qui s'impose au groupe comme une évidence.
La conséquence immédiate de ce qui précède, est qu'il n'y a pas d'autorité sans groupe. Il en découle que la règle de l'unanimité prévaut lors de la reconnaissance du leader.
Il paraît alors légitime de penser que l'autorité personnelle, ou naturelle, est un leurre. Il existe certes des qualités pour être et rester leader ; mais celui qui s'impose de lui-même, qui est là et que l'on supporte, n'est plus vraiment un leader, mais une idole ou un despote, avec cette caractéristique redoutable : celui qu'on n'a pas voulu et à qui on donne constamment !
Les qualités d'un leader
1) Il est avant tout celui qui répond aux attentes du groupe, qui mène, qui nourrit, et qui montre par là qu'il n'a pas usurpé sa place.
2) Il est aussi celui qui se remet en question constamment.
L'autocritique est biblique et permet de mieux se connaître (I Cor 11.28 ; Apoc 3.17,18). Mais ce dont il est question ici, c'est de se sentir constamment renvoyé à son rôle de chef, à tout moment, et de façon tacite !
3) Il est enfin celui qui est apte à "rentrer dans les rangs" à certaines occasions, et être lui-même capable d'investir un autre, sans arrière-pensée, d'une autorité de la même qualité que celle qu'il détenait.
4) Sans être exhaustif, les qualités morales telles que maîtrise de soi, honnêteté, simplicité, sincérité et justice, viennent compléter l'esquisse à peine ébauchée du leader d'un groupe.
L'autorité pour quoi faire ?
Dans ce qui précède, nous avons tout d'abord découvert que celui qui a l'autorité, est celui qui, issu d'un groupe, d'une communauté, d'une église, est reconnu comme chef.
Maintenant que notre leader est découvert, il nous reste à examiner comment il va concevoir son rôle et exercer son autorité.
La mise en exercice de l'autorité
On peut légitimement s'attendre à ce que le leader assume pleinement le rôle pour lequel il a été choisi. Ses qualités, son savoir-faire, ses connaissances, qui ont guidé son "élection" dans le sein du groupe, n'ont de valeur que si le groupe lui-même tire profit de ce choix. Il est normal qu'une communauté ou une assemblée soit au bénéfice de ses anciens, au lieu de les subir.
Les critères d'un groupe qui avance sous l'impulsion de son chef sont finalement simples : harmonie, gens heureux, pas de conflit, pour ne citer que ce qui frappe de prime abord.
La prise de pouvoir
Le tableau ci-dessus ne correspond mal heureusement pas toujours à la réalité. Il arrive parfois qu'un leader se coupe du groupe. Pour des motifs charnels tels que l'orgueil ou le goût du pouvoir, le leader s'investit alors lui-même d'une autorité qui ne correspond plus aux désirs du groupe. Issu des rangs du groupe, il n'est plus question pour lui d'y retourner : c'est la prise de pouvoir. Il détient bel et bien le pouvoir, mais il ne détient plus l'autorité authentique dans le groupe, puisque celui-ci lui échappe. Les échanges entre le groupe et lui, si abondantes au début, s'étiolent jusqu'à cesser totalement. Comment le leader peut-il alors exercer son autorité dans un groupe qui le rejette, si ce n'est en établissant le règne de l'autoritarisme ?
Il est vrai que l'élection d'un leader au sein d'un groupe présente un double aspect :
d'une part, la promesse d'un épanouissement certain des éléments qui composent le groupe ; d'autre part, le risque de porter un homme à un poste de premier rang.
Sans le discernement collectif pour ce choix, parfois capital, il faut reconnaître que l'élection d'un leader comporte pour celui-ci une certaine tentation ; car la maladie du pouvoir est un danger réel qui, à des degrés très divers, fait des leaders des "tentés à vie". Qui ne connaît ce "frère prêcheur", dont la recherche de la parole en chaire est le symptôme évident de cette maladie ? Qui ne connaît ce "frère indispensable", ou ce "frère président", dont l'activité est devenue activisme, toujours à cause de cette maladie ?
Nuance
Ce qui précède présuppose un groupe adulte, mûr, capable de se choisir un leader, même s'il y a un risque. Mais dans une situation différente, au sein d'un groupe incapable de se gouverner, soit par inertie, soit par manque de vie, soit à cause de nombreux conflits, on ne peut s'attendre à ce que le groupe choisisse lui-même son chef. Dans ce cas, quiconque se lève est considéré comme prenant le Pouvoir : C'est compréhensible, mais c'est parfois la seule méthode curative pour le groupe.
C'est dans ce cadre qu'il faut voir le ministère de Jésus sur terre. Il n'a jamais été accepté, mais il a opéré une prise de pouvoir salutaire chez les siens, parce qu'il connaissait mieux leurs besoins qu'aucun autre. (Jean 12.48 peut s'expliquer dans ce sens).
L'installation du leader
Nous resterons dans la situation d'un groupe homogène, c'est-à-dire composé de personnes ayant des préoccupations à peu près analogues et dont elles peuvent librement discuter.
Il n'est pas inutile de rappeler l'importance de la famille chrétienne que Dieu nous a donnée. Nous avons devant les yeux l'exemple des premiers chrétiens, qui faisaient quotidiennement l'expérience de la vie de groupe (voir Act 2.44; 4.32). C'est dans ce cadre que le leader a été choisi. Il a l'autorité dans le groupe et exerce son rôle en harmonie avec lui (voir PROMESSES No. 71). Evidemment que le fait d'être investi de l'autorité n'est pas une fin en soi. Il y a un objectif qu'il convient maintenant de définir.
Le rôle du leader
Bien entendu que le groupe connaît bien le chef qui est issu de ses rangs et réciproquement, mais il est plus difficile de prévoir si, malgré cette harmonie, le tandem groupe-leader sera fructueux à long terme.
Un pasteur nouvellement arrivé en poste dans une église essayera d'abord de gagner la confiance de ses paroissiens; mais sa préoccupation principale sera de prendre connaissance des besoins réels, profonds, parfois inexprimés de chacun. Cette connaissance amène le leader à mener le groupe d'une manière qui soit propice à son épanouissement. L'un des critères qui révèle si le leader garde son autorité dans un groupe qui progresse, demeure la constatation qu'il y a des relations détendues et joyeuses, toujours plus riches, entre chacune des personnes qui composent le groupe.
Le chef mène donc l'ensemble, non pas selon sa fantaisie, mais selon le discernement qu'il a de chacun dans le groupe, besoins qu'il cherche à combler de son mieux. Si le leader s'appuie sur son autorité, ce n'est jamais pour faire ce qu'il veut, mais pour promouvoir l'avancement de chacun. Sa manière de faire est à l'opposé de cette maladie du pouvoir qui fait du chef un usurpateur du pouvoir sans autorité authentique, dont le but est l'autosatisfaction en faisant du groupe la caisse de résonance de ses propres convictions. Il y a manipulation. C'est de la tyrannie!
Par contre, le vrai leader possède des qualités d'abnégation et d'acceptation de l'autre qui, unies à ses propres capacités connues par le groupe, font de lui un pédagogue. La position de conducteur, donc d'autorité, ne saurait faire l'objet d'une convoitise, vu qu'il s'agit en réalité d'une lourde responsabilité, à savoir la charge de mener le groupe. Le leader ne règne pas sur un troupeau, il le fait paître: l'image biblique a toute sa dimension, vue sous cet angle.
Les qualités du leader pédagogue
Dans la mesure où le leader a accepté que son rôle est vraiment celui d'un pédagogue, bien des choses se mettent tout naturellement en place.
Les attitudes réciproques qui peuvent favoriser les relations entre le leader et son groupe ne devraient pas faire problème. Je n'en nommerai que quelques-unes: respect de l'autre, disponibilité, compréhension facilitant la communication. Ces dispositions favorisent le climat harmonieux d'édification et d'épanouissement dans le groupe.
Mais le plus important pour le pédagogue, c'est de réaliser son objectif: faire faire à chacun un bout de chemin en vue de son développement complet. Il n'y a là rien d'écrasant: au contraire, la croissance habilitera l'autre à devenir chef à son tour.
La finalité de l'exercice de l'autorité
Le leader devient un authentique pédagogue le jour où, d'une façon implicite ou réelle, il veut assurer sa succession, sachant qu'il n'est pas le seul à pouvoir être à la place qu'il occupe. Les relations que le chef cherchera à stimuler au sein du groupe sont celles qui permettront à chacun de progresser; elles ont donc un but pédagogique. Ainsi, le chef laissera faire par d'autres ce qu'il serait capable de faire lui-même, et parfois mieux...
C'est loin d'être une transmission!
Le jour vient où, gardant intactes toutes ses qualités et capacités, le leader-pédagogue se sent appelé à retourner dans les rangs du groupe pour laisser sa place à un autre ...
Voici ma conclusion: en analysant ce qui précède à la lumière de votre groupe, pensez-vous qu'il soit déraisonnable d'imaginer que le processus qui vient d'être décrit puisse avoir lieu dans votre communauté, dans votre église ?
QUELQUES DEVIATIONS DU LEADERSHIP
L'origine des problèmes
Dans les articles précédents, la situation décrite peut être ainsi résumée: un chef émerge du sein d'un groupe avec pour projet d'y établir un tissu de relations mutuelles. Son propos en effet est de permettre à chacun de s'édifier et de s'épanouir. Ce leader-pédagogue n'agit pas à sa guise, mais veille à la satisfaction des besoins de chacun, agissant naturellement dans les limites du domaine où il est compétent et où il a reçu l'autorité de la part du groupe.
Seulement voilà: cet échange entre le groupe et son chef peut se détériorer de façon subtile, sans qu'il y ait prise de pouvoir de manière ostensible, ni même abus de pouvoir. S'il est impossible, dans ce cadre, d'examiner tous les aspects du problème, il vaut la peine de se pencher sur quelques cas caractéristiques qui illustrent une attitude négative du leader dans le groupe. Ces critères généraux peuvent s'appliquer soit à l'attitude d'un responsable au sein d'un groupe de jeunes, soit à l'action d'un ancien dans son église, soit encore à la manière dont un animateur gère son groupe en centre de vacances par exemple, même si, dans ce dernier cas, l'autorité dont il est investi est avant tout fonctionnelle.
Le vedettariat
Le risque le plus évident pour celui qui est le leader d'un groupe, c'est d'être constamment la référence, c'est-à-dire celui qui sait. Sans prendre l'allure d'un champion, il risque de passer pour le spécialiste. Le pouvoir peut ainsi pernicieusement amener le leader à devenir indispensable, et par conséquent à inverser l'ordre des choses: au lieu de "veiller au troupeau" qui lui est échu, le leader existe maintenant par le troupeau. Autrement dit, les membres du groupe dépendent entièrement du chef, qu'ils se sentent tenus d'applaudir... Sans autre alternative, chacun se trouve soit parmi les admirateurs, soit en dehors du groupe. L'égoïsme du chef divise donc le groupe en deux blocs: les pour et les contre.
Inutile d'insister sur la futilité de son rôle de pédagogue: d'une part, l'unité du groupe est détruite ; d'autre part, le leader voit d'un mauvais oeil que quelqu'un progresse et puisse devenir plus apte que lui!
Le laisser-faire
Le deuxième risque, c'est que celui à qui vient d'échoir l'autorité dans un groupe, garde le titre de chef tout en évacuant la charge du leader de son contenu. Par paresse, ou plus souvent par démission, le chef du groupe n'en retient plus que le nom. Naissent alors toutes sortes de prétextes destinés à masquer l'incapacité notoire du leader: le groupe est suffisamment adulte pour se conduire seul ; il faut bien un peu de liberté pour que chacun se prenne en charge...
En fait, cette passivité engendre la mort du groupe, parce que s'il n'y a pas d'action de la part du chef, c'est qu'il n'y a plus de projet. Il y avait bien à l'origine l'apparence d'un projet, juste assez pour que le groupe puisse en déduire qu'il était un leader probable. Il y a pire ici que la maladie du pouvoir: la maladie du titre de chef.
L'autoritarisme
Le pendant de ce qui précède est de faire sentir au groupe tout le poids que représente la charge de leader. Par peur de sa nouvelle fonction face au groupe, par timidité peut-être aussi, le leader se campe dans un personnage inabordable, et en même temps, confondant autorité et force, il aimerait que tout le groupe "marche à sa musique". Au lieu que chacun puisse progresser sur son chemin propre, chacun doit progresser sur le chemin du leader. Non seulement cette attitude trahit un indéniable manque de respect de l'autre, mais elle s'arroge aussi le droit d'être le directeur de conscience de chacun. L'autoritarisme de cette trempe-là a ceci d'insidieux qu'il peut être mis en oeuvre sans violence apparente. On est loin du leader-pédagogue!
Le paternalisme
Ce mot désigne une forme de pouvoir qui a des aspects parfois tellement "sympathiques" qu'on n'y discerne que difficilement une déviation. En effet, il est tellement évident qu'une des fonctions du leader est d'être attentif aux intérêts de tous dans le groupe, qu'il semble naturel de se laisser guider par le chef sans mettre cette conduite en question.
Le chef qui prend à coeur la situation de chacun risque de devenir omniprésent, à un point tel qu'il usurpe même la place d'un parent, d'un conjoint... Sans prôner le détachement, il semble que ce leader prend une place trop envahissante.
Celui du groupe qui se distancie de cette présence oppressante S'expose souvent au chantage, parfois inconscient, de la part du leader. Chantage affectif avec des phrases du genre "tu ne m'aimes plus" ; chantage spirituel avec des affirmations du genre "tu te détaches du Seigneur".
L'exclusivisme du leader en tant que chef du groupe est antipédagogique: nous sommes loin de ce chef qui est prêt à rentrer dans les rangs (voir Promesses n° 72). Nous sommes au contraire face à un chef qui ne veut pas lâcher son étreinte!
Conclusion
A la base de ces déviations dans le rôle du leader, il y a le préjugé que les membres du groupe seraient incapables d'agir indépendamment et d'atteindre à la maturité ; dans cette optique-là, chacun est considéré comme un objet et non un sujet - et c'est dramatique!
Il restera, dans le prochain article, à étayer ce qui précède par des textes bibliques. Une chose est certaine: dans les relations humaines troublées par le péché, il est nécessaire, pour que l'ordre règne, qu'une autorité s'établisse dans quelque groupement que ce soit, sans oublier que chacun est créature de Dieu.
Quelques types bibliques
Suite à l'article du numéro précédent, il convient de reprendre les quatre types de déviations énoncés "Bible en main", pour nous rendre compte, entre autres, des caractéristiques et des symptômes ayant trait à la perversion de certains leaderships.
Ce faisant, il faut se garder d'enfermer la totalité d'un personnage dans une des déviations décrites, pour en conclure p. ex. qu'un tel est uniquement autoritariste. Soyons bien conscients que, même si les personnages décrits dans la Bible avaient tissé des relations familiales et sociales teintées de leur propre personne, et même s'il est vrai que nous leur ressemblons beaucoup, il ne faut pas en conclure autre chose que ceci: le problème de l'autorité dans un groupe a été vécu d'une certaine manière par un tel, et il n'est pas question de lui jeter la pierre! Evidemment, dans le cadre de notre étude, certains aspects ne peuvent pas être relevés.
Le vedettariat: Saül
(voir 1 Sam 15, chapitre auquel se réfèrent les versets cités entre parenthèses)
Saül, le premier roi d'Israël, devait mettre son honneur à être un exemple pour son peuple et un bon conducteur spirituel. Au lieu d'exercer son autorité à orienter les regards d'Israël vers l'Eternel pour veiller à ce que nul ne se prive des bénédictions de Dieu, Saül se soustrait à la théocratie en désobéissant à la parole de Dieu (11). Au lieu d'anéantir les Amalécites (selon l'ordre de Dieu, 3), il choisit d'épargner ce qui lui semble bon - alors que Dieu l'avait jugé mauvais (8-9) ! Par cette indépendance à l'égard de la volonté de Dieu, il signe son propre rejet (22-23). Seulement, Saül a goûté à la royauté et s'accroche à l'autorité qu'elle lui confère. Le rejet prononcé par Samuel ne semble pas trop le toucher, pourvu qu'il puisse rester à son poste de leader, auquel il s'accroche désespérément.
Son seul souci, c'est que cette déclaration de rejet reste entre Samuel et lui: une vedette ne doit pas avoir de défauts! Saül veut donc paraître en public comme si rien ne s'était passé: Honore-moi en présence des anciens et de mon peuple, dit-il (30). Il désire être confirmé dans sa position de vedette.
La Bible nous rapporte un détail symptomatique sur ce Saül-vedette. Il justifie devant Samuel son manque de respect pour la parole de Dieu en ces mots: Je craignais le peuple (24). N'est-ce pas là un argument-tricherie? En tant que vedette, l'honnêteté ne l'aurait-elle pas obligé à dire: "Je craignais de déplaire au peuple" ?
Posons-nous cette question: qu'est-ce qui nous importe davantage, ce que les gens pensent de nous ou ce que le Seigneur pense de nous ? Craignons-nous davantage le jugement des gens... ou le jugement de Dieu ?
Le laisser-faire: Ruben
(Les références bibliques se rapportent aux chapitres 37-45 de la Genèse.)
Etre le premier d'une grande famille en Israël donnait plus de devoirs que de droits. Le droit d'aînesse comprenait la gérance de la maison paternelle en l'absence temporaire ou définitive du père. Se préparer à cette tâche avec sérieux et respect incombait donc à Ruben, l'aîné de la famille de Jacob.
La préférence de Jacob pour son onzième fils Joseph et les songes de ce dernier, dont le contenu était humiliant pour ses dix frères, leur fit concevoir le projet de se débarrasser de ce cadet aux ambitions envahissantes.
La première réaction de Ruben, le chef de ce groupe remuant et hostile, est de canaliser l'énergie meurtrière de ses frères vers une "solution de secours" pour éviter le pire (37.20-22). Déjà là, il aurait fallu une action énergique, digne d'un chef. Ruben devait s'interposer avec autorité entre Joseph et ses frères.
Il est vrai qu'il intervient, mais on a le sentiment d'une capitulation de la part de cet aîné, suivie d'une longue série de regrets: le type même du laisser-faire.
Juda profite d'une absence de Ruben pour vendre son frère Joseph à des nomades, et Ruben ne peut plus rien contre ce fait accompli. Son laisser-aller a perdu Joseph. Ruben ne proteste même pas contre la supercherie que ses frères manigancent pour tromper leur père (37.29-35).
Les années passent, mais Ruben ne peut oublier. "L'événement Joseph" ressurgit lors de la famine qui mène les fils de Jacob en Egypte. Ruben ne proteste même pas quand ses frères mentent en disant qu'ils sont d'honnêtes gens (42.11). Malgré tout, dans le groupe Ruben garde sa place à cause de son rang d'aîné (43.33). Cependant il n'a plus d'autorité sur ses frères. Son incapacité de gérer le groupe le bloque. Cela doit se remarquer, puisque Joseph a discerné le manque d'autorité de l'aîné, vu qu'il recommande à ses frères de ne pas se quereller en route (45.24)!
L'autoritarisme: Diotrèphe (3 Jean 9-11)
La Bible est moins explicite sur ce cas, mais on soupçonne un homme d'église au caractère de dictateur. Comment est-il arrivé à être le leader ? Nous n'en savons rien, sinon qu'il est celui qui commande et qu'il y tient (9).
Pour Diotrèphe, l'autoritarisme est la seule solution, puisque les relations avec tous sont coupées. Il est le "tyran du presbytère" que le groupe subit, dont les actes et les paroles nuisent à l'église (10). Les paroissiens ne sont plus considérés comme des frères à part entière, mais comme des pions que l'on déplace, admet ou refuse selon son bon vouloir! C'est ainsi que dans l'église, parfois, des ministères deviennent progressivement des magistères...
Le paternalisme: Rébecca
(Les références bibliques se rapportent aux chapitres 25-27 de la Genèse.)
Peut-être aurait-il fallu dire: "Rébecca, la mère poule". En tout cas, il y a dans l'Ecriture des femmes qui présentent certains types de déviation, en particulier dans les relations familiales.
Dans le cas présent, le problème remonte à la naissance des jumeaux Esaü et Jacob (25.24-28). Le texte biblique nous apprend que l'amour de Rébecca pour son fils Jacob est exclusif et oppressant, au point où elle lui dicte sa conduite sans lui laisser le choix (27.8,15-17).
Le chantage affectif est manifeste. Sous couvert de vouloir son bien, Rébecca exerce une véritable dictature sur le jeune homme, au mépris de la morale, bousculant l'autre fils Esaü, trichant avec son mari Isaac... L'une des caractéristiques de cette prise en charge autoritaire est l'acceptation par Rébecca des conséquences que ses décisions peuvent avoir pour elle
(27.13). Cette attitude a un nom: la direction de conscience.
Quand son fils Jacob est en danger de subir la vengeance d'Esaü, qui est furieux d'avoir perdu la bénédiction paternelle (alors qu'il l'avait méprisée en la vendant à Jacob contre son plat favori: 25.33-34), c'est encore Rébecca qui fait front. Elle trompe de nouveau Isaac pour éloigner Jacob, en alléguant un prétexte de mauvaise compagnie féminine pour son fils (27.46). Remarquons que l'argument ne sonne pas faux, car les mésalliances ont déjà fait souffrir la famille (26.34), de sorte qu'Isaac est tout à fait convaincu que Jacob doit partir.
Le témoignage prêchant par l'exemple, quoi d'étonnant que Jacob devienne tricheur à son tour ?
Conclusion
Il serait intéressant de rechercher dans la Bible les problèmes relationnels entre les divers personnages afin d'étudier la manière dont Dieu intervient.
Ayant examiné les écueils qu'un leader doit éviter, on peut maintenant se poser la question: quelle est la mission du leader ?
Le prochain article se proposera d'établir un projet général valable pour tout leader-pédagogue en action au sein d'un groupe, Pour autant que son objectif avoué soit de faire connaître le Seigneur.
LA PATERNITE SPIRITUELLE
Les articles précédents se sont préoccupés du leadership au sein d'un groupe. Maintenant, il est important d'examiner l'action du leader-pédagogue vis-à-vis de chacun dans ce groupe, ce que nous ferons en nous plaçant dans le cadre d'une communauté chrétienne ou d'un groupe de jeunes chrétiens, là donc où l'objectif avoué est de faire connaître le Seigneur.
Ce que le leader-pédagogue connaît
Il va sans dire que le pédagogue animé du désir de partager son enthousiasme de chrétien a envie de présenter la vie chrétienne, sa foi, son espérance, et surtout le Christ, qui en est l'auteur, comme une dimension attirante et passionnante.
Pour lui, le Christ n'est pas une vision aux contours bien nets, comme si le modèle à atteindre était devant lui. Ce serait en effet une vision frustrante, car nul ne saurait jamais égaler la personne de Christ. Un modèle ne s'atteint pas, il s'imite, même si la barre du modèle est en apparence moins haute à franchir, en se disant par exemple qu'on se contentera du modèle qu'est l'apôtre Paul ! (cf. 1Cor 11. 1 ; Eph 5. 1 ; Phil 3.17). A plus forte raison, le pédagogue qui en est conscient s'efforcera de ne pas se mettre en avant, mais de renvoyer constamment au modèle qu'est le Christ.
La démarche du leader-pédagogue
Nous sommes l'ouvrage de Dieu, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes oeuvres, que Dieu a préparées d'avance, afin que nous les pratiquions (Eph 2.10).
Est-il nécessaire de dire que l'oeuvre de Christ sur la terre a été l'accomplissement parfaitement conforme à l'oeuvre qui lui était réservée, et donc préparée d'avance ? Christ a pu dire: Tout est accompli (Jean 19.30).
Nous pouvons donc affirmer que chacun peut aussi réaliser ce qu'il a à faire, non pas selon le modèle réservé à Christ, mais selon l'oeuvre qui a été préparée d'avance pour lui. Ce que Christ a fait m'aidera, par exemple, à saisir les qualités requises pour accomplir ce qui est à faire. Et ces qualités peuvent être effectivement acquises grâce à l'aide indéfectible que le Seigneur donne aux siens.
Le rôle du pédagogue est donc de faire comprendre à chacun qu'il lui est possible, individuellement, d'accomplir d'une façon originale ce qui lui est préparé d'avance, et de l'y conduire. Jamais le pédagogue ne se posera en modèle, car le disciple accomplira de toute façon son chemin à lui. Le but du pédagogue ne consiste qu'à montrer constamment l'excellence du modèle qu'est le Christ.
Le danger
Dans cette démarche pédagogique qui consiste à faire progresser l'autre à la fois dans la connaissance de Christ et dans sa maturité chrétienne, le leader est parfois tenté d'aller trop vite. Le motif inavoué ou inconscient, c'est la recherche d'un "résultat" tangible chez l'autre. Le forcing et la manipulation sont les écueils à éviter dans les problèmes relationnels !
Il ne faut pas oublier non plus que la progression dont il est question ici, selon un plan et une oeuvre préparée d'avance pour chacun, est comparable à une croissance, et que cela ne comporte pas souvent des aspects spectaculaires.
Il est possible de plaire à Dieu et de construire sa vie chrétienne dans le plus strict anonymat. Christ le charpentier, n'a-t-il pas été appelé Bien-aimé avant même d'avoir exercé son ministère (Marc 1. 11) ? Un des pièges à éviter, c'est de faire tapage autour d'un futur disciple, voire même d'en faire un modèle avant qu'il ait fait ses preuves.
Conclusion
L'influence du leader-pédagogue doit toujours s'exercer dans le respect de l'autre, tout en lui donnant les éléments nécessaires pour construire sa vie de disciple, sans se lasser de lui montrer continuellement le Christ. Bien entendu que le leader lui-même veillera sans cesse sur sa cohérence en tant que chrétien.
Bernard COUSYN
Promesses 1984 - 3 / No 71-72-73-74 - 75
* Cet article fait suite à celui de J. HOFFMANN, PROMESSES n° 69.