Source: CLIOTEXTE

Luther :"Du commerce et de l'usure".

 

"On ne peut nier qu'acheter et vendre soit une chose indispensable. On ne peut l'éviter, mais on doit en faire un usage chrétien, en particulier pour le choses qui sont nécessaires ou honorables. Les patriarches, eux-aussi, ont vendu et acheté du bétail, de la laine, des grains, du beurre et d'autres marchandises. Ce sont des dons de Dieu qu'il fait sortir de la terre et distribue aux hommes. Il n'en est pas de même du commerce qui se fait avec l'étranger et de celui qui fait venir des Indes ou d'ailleurs des marchandises comme des soies précieuses, des ouvrages d'or, des épices. Tout cela ne sert à rien, c'est de la pure ostentation, cela ne fait que sucer l'argent des gens et du pays. Cela ne devrait être toléré, si nous avions un bon gouvernement et un bon prince.

Dieu nous a fait, nous Allemands, pour donner notre or et notre argent aux pays étrangers, pour enrichir le monde entier et rester nous-mêmes des mendiants. L'Angleterre aurait moins d'or si l'Allemagne lui laissait ses étoffes. Le roi du Portugal en aurait moins aussi si nous lui laissions ses épices. Calcule combien une foire de Francfort fait sortir d'Allemagne sans raison et sans profit de l'argent, tu t'étonneras qu'il y ait encore un liard... Francfort est le trou par où s'écoulent l'argent et l'or frappés et monneyés chez nous. Si ce trou était bouché, on n'entendrait pas les gens se plaindre qu'il n'y ait partout que des dettes et pas d'argent. Tout le pays, toutes les villes sont écrasées et épuisées par les intérêts à payer. Mais les choses sont ainsi, il n'y a rien à faire. Les Allemands doivent rester Allemands, nous ne renoncerons à rien à moins d'y être obligés. Nous voulons parler ici des abus et des péchés du commerce seulement en tant qu'ils touchent la conscience. Pour ce qui concerne les dommages causés à la bourse, laissons les princes et les seigneurs s'en occuper comme c'est leur devoir...

Il y a des gens qui ne se font pas scrupule de vendre leurs marchandises à crédit et à terme plus cher qu'au comptant. Il y en a qui ne veulent rien vendre au comptent et qui ne vendent qu'à terme, et cela pour gagner le plus d'argent possible. C'est manifestement contraire à la parole de Dieu, à la raison et à toute justice. C'est un pur arbitraire, de l'avarice, un péché contre le prochain dont on ne considère pas le dommage. On le pille, on le vole, on ne cherche pas à gagner à peu près sa vie, mais on agit par avarice et désir de gain. D'après le droit divin, il ne faut pas vendre à crédit ou à terme plus cher qu'au comptant.

Il y a aussi des gens qui vendent leurs marchandises plus cher qu'elles ne valent au marché et ne sont couramment vendues. Ils élèvent le prix de marchandises sans autre raison que celle-ci : ils savent que cette marchandise manque dans le pays, qu'il ne doit pas en arriver prochainement et qu'on en a besoin. C'est une coquinerie de l'avarice de regarder à la nécessité du prochain non pas pour lui venir en aide, mais pour s'enrichir à ses dépens. Ceux qui agissent ainsi sont des voleurs publics, des larrons, des usuriers. Il y a aussi des gens qui achètent tout ce qu'il y a d'un bien ou d'une marchandise dans un pays ou dans une ville. Ils ont ainsi à eux-seuls, ce bien entièrement en leur puissance ; ils en fixent et en élèvent le prix et peuvent le vendre aussi cher qu'ils le veulent. Nous avons dit que le principe d'après lequel chacun pourrait vendre son bien aussi cher qu'il le voudrait serait faux et non chrétien. Il est encore plus abominable d'accaparer une marchandise. Le droit impérial et le droit humain le défendent. C'est ce qu'on appelle des monopoles ; ce sont des achats intéressés qu'il ne faut pas souffrir dans un Etat ou dans une ville. Les princes et les seigneurs l'interdiraient et le puniraient, s'ils voulaient s'acquitter de leur charge. Ces marchands, en effet, agissent, comme si les créatures et les biens de Dieu avaient été faits et donnés pour eux-seuls et comme s'ils avaient le droit de les prendre aux autres et d'en fixer le prix à leur fantaisie."