La foi dans la dépression. Une foi déficiente?
«Un chrétien ne devrait jamais être dépressif ». Certains iraient même jusqu'à dire qu'il ne devrait jamais être malade. Ceux qui pensent cela vivent en dehors de la réalité. Les chrétiens sont des êtres humains et, en tant que tels, ils ont des nerfs et des émotions. Rien dans les Écritures n'indique qu'ils n'auront pas à souffrir les peines communes à toute l'humanité. Ce n'est pas que tout le monde doive être dépressif ou que tous doivent passer par les mêmes expériences, mais suggérer qu'une personne dépressive possède une foi déficiente est une chose cruelle qui témoigne une incompréhension du phénomène. De nombreux mystiques du moyen-âge parlent de «la sombre nuit de l'âme», et on ne peut pourtant pas les accuser d'avoir manqué de persévérance spirituelle, de discipline ou de ne pas avoir assez prié. Abraham traversa une période très sombre, dont il se demandait si elle aurait une fin. Il se demandait s'il verrait jamais la fin de ce tunnel. Il est intéressant de noter que cette expérience fit immédiatement suite à un «sommet» spirituel. Dieu venait juste de lui apporter de nouveaux encouragements. En fait, la dépression d'Abraham semble directement liée au renouvellement de son engagement à suivre Dieu. Si nous sommes conscients de l'existence du combat spirituel, cela ne devrait pas nous étonner outre mesure. Ce sont souvent ceux dont l'expérience chrétienne est superficielle qui vous disent innocemment que la dépression devrait être bannie de la vie du croyant. Satan n'a pas besoin de s'occuper de ceux dont la vie n'est pas une menace pour son royaume. Il s'attaque seulement à ceux qui s'engagent toujours davantage dans ce combat spirituel.
Le «maintenant» et le «pas encore»
Examinons de plus près l'expérience d'Abraham. Dieu venait juste d'agréer la totale confiance qu'Abraham lui témoignait en le croyant capable de lui donner ce fils qu'il ne pouvait lui-même engendrer. Immédiatement après, dans Genèse 15: 7, Abraham connaît l'expérience que fait tout croyant du dilemme entre le «maintenant» et le «pas encore». Le Seigneur avait dit: «Je suis l'Éternel, qui t'ai fait sortir d'Ur en Chaldée, pour te donner en possession ce pays». Il s'agissait d'un «pas encore», d'une promesse de choses à venir. Mais Abraham répondit: « Seigneur Éternel, à quoi connaîtrai-je que je le posséderai?». Il s'inquiétait à propos du «maintenant», car ce pays appartenait aux Cananéens et se trouvait sous leur contrôle. Abraham ne doutait pas que le Seigneur accomplirait sa promesse, mais il y avait encore beaucoup de chemin à parcourir. Tout chrétien connaît cette tension, car il en fait l'expérience à propos du royaume de Dieu. D'une part, Dieu règne «maintenant» au milieu de son peuple, mais, d'autre part, cette souveraineté divine n'est « pas encore » manifeste dans le monde entier. Il est difficile parfois de croire que ce jour promis finira par arriver. Les forces du mal semblent pour l'instant gouverner le monde alors que le royaume de Dieu semble réduit à quelques petits bastions, quelques «tentes», éparpillés au milieu d'un environnement hostile.
Il se peut que, comme Abraham, nous ayons envie de crier à Dieu du plus profond de notre coeur: « À quoi connaîtrai-je que je le posséderai?». Il est étonnant qu'Abraham pousse ce cri d'impatience juste après avoir réaffirmé sa confiance en Dieu; après que celui-ci lui eut donné la leçon des étoiles. Un tel cri semble prouver qu'il a de nouveau perdu confiance en Dieu. Ou bien, pourrait-on aussi interpréter ce cri comme la manifestation d'une foi très profonde, incapable de se contenter d'assurances superficielles. La personne qui a commencé à goûter des grandes profondeurs d'une relation avec Dieu, ne peut que vouloir aller toujours plus loin dans cette direction. Il est donc possible que la foi et non le doute soit à l'origine de ce cri. N'oublions pas, non plus, que le doute lui-même , lorsqu'il est honnêtement exprimé, a son rôle à jouer dans l'expression de la vraie foi. En effet une foi qui n'est jamais assaillie par le doute ne peut être très profonde ou très solide.
Abraham demandait une nouvelle assurance à Dieu. Celui-ci lui demandait en retour un nouvel engagement de sa part et la présentation d'un sacrifice qui serait le signe visible de la nouvelle alliance entre lui et son serviteur. Lorsque nous réclamons plus du Seigneur, nous ne pouvons espérer recevoir plus sans avoir aussi à donner davantage de nous-mêmes. Le Seigneur demanda le sacrifice d'une génisse de trois ans, d'un bélier, d'une chèvre, d'une tourterelle et d'un pigeon. «Abraham prit tous ces animaux, les coupa par le milieu, et mit chaque morceau l'un vis-à-vis de l'autre; mais il ne partagea point les oiseaux». À l'époque d'Abraham, des accords étaient souvent solennellement conclus de cette manière. Chaque partie devait passer entre les morceaux vis-à-vis, signifiant ainsi que chacun s'engageait sur sa vie à respecter l'engagement. D'ailleurs, la langue hébraïque utilise le mot «couper » pour désigner l'acte de conclure une alliance. Abraham avait ainsi accompli sa part.
Notre mentalité de «l'instantané»
Le temps s'écoula et rien ne se produisit. Abraham dut protéger les carcasses contre les oiseaux de proie et cela le tint occupé toute la journée. Probablement épuisé par cette garde, il s'endormit. C'est alors qu'une profonde dépression vint s'abattre sur lui. La Bible dit qu'une « frayeur et une grande obscurité vinrent l'assaillir». Il entendit Dieu prophétiser l'avenir de son peuple et dire que celui-ci vivrait dans un pays ne lui appartenant pas, où il serait soumis à l'esclavage et à l'oppression. Cette prophétie perturba complètement son sommeil et le laissa plus épuisé qu'avant. Et il n'avait toujours pas de nouvelle assurance!
Avez-vous jamais ressenti ce qu'Abraham éprouva ce jour-là? À la recherche d'une nouvelle assurance et d'une relation plus profonde avec Dieu, vous avez préparé le sacrifice et tout disposé bien en ordre sur l'autel de votre coeur. Vous avez ensuite dû défendre votre offrande contre les hordes de doutes, de critiques et de moqueries qui venaient l'assaillir jusqu'à ce qu'épuisé par l'attente, vous tombiez endormi. Et pourtant il ne se passe rien; les cieux restent de plomb; il semble alors que Dieu a quitté ce monde. Où est le feu provenant du ciel? Pourquoi offrir ce sacrifice s'il n'est pas agréé? L'obéissance rencontre le silence. Tout est prêt et pourtant rien ne se produit.
Nos problèmes au vingtième siècle découlent en partie de notre mentalité de «l'instantané» - café instantané, repas instantané, cure instantanée - tout nous pousse à penser en termes d'instantané. Les chrétiens, les évangéliques en particulier, n'échappent pas à cette tendance. Ils se sont même emparés des formules et des clichés à la mode qui nous assurent de leur succès. Ainsi, nos librairies regorgent de livres pleins de réponses simples à des problèmes compliqués. On nous assure que, si seulement nous faisons scrupuleusement A, B puis C, et enfin D, alors forcément E et F se produiront. Nous oublions que nous avons affaire à Dieu. Ayant perdu tout sens de crainte respectueuse et de majesté à force de vivre dans un monde où toute forme de hiérarchie est anathème, nous avons tendance à sombrer dans une mentalité «presse-bouton». Si nous faisons ceci, alors Dieu fera forcément cela. Mais le Seigneur n'est pas lié par les actions des hommes, ni ne se laissera-t-il asservir par eux. Il est Dieu. Assurément, il nous a donné des principes à suivre qui sont valides pour toutes les époques et il tient ses promesses en tout temps, mais il n'est pas obligé d'agir comme ou quand nous le désirons. Il est le Seigneur et agira comme il lui plaira. Il n'est pas à nos ordres, mais c'est nous qui sommes aux siens. Aussi, peut-il arriver que nous ayons accompli tout ce qui reposait en notre pouvoir et que nous devions quand même attendre son bon vouloir.
L'inévitable souffrance
Abraham ne pouvait espérer voir s'accomplir les promesses de Dieu tant qu'Israël n'existerait pas en tant que peuple; tant qu'il ne serait pas suffisamment malheureux dans ce pays d'Egypte pour accepter volontiers, en réponse à l'appel de Dieu, de se lancer dans l'exode. En d'autres termes, la réalisation des plans de Dieu pour Abraham supposait la participation de nombreuses autres personnes en dehors de lui. Dieu ne tient pas seulement compte de notre petite personne dans ses plans pour le monde. Ce que nous attendons parfois impatiemment qu'il fasse en nous ou pour nous ne peut se réaliser tant qu'il n'a pas encore intégré telle ou telle autre personne dans ses plans, et cela peut prendre du temps. Aussi devons-nous, comme Abraham, attendre.
Épuisé par l'attente, Abraham s'endormit et traversa une terrible dépression. « L'espoir trompé rend le coeur malade », dit le proverbe. Les coeurs malades sont souvent des coeurs fatigués qui ne présentent aucune résistance face à la dépression. Attendant le feu, Abraham trouva la frustration, l'obscurité et une promesse d'esclavage. Avec l'oppression pour toute perspective d'avenir, il était en train d'apprendre que « c'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu » (Actes 14:22).
Aujourd'hui, en Occident, les chrétiens préfèrent ignorer cela et bannir l'idée même de souffrance de leur vie et de leur enseignement. Nous vivons dans un monde acharné dans la recherche du plaisir, de la sécurité, des divertissements et de l'épanouissement personnel et où le désordre provoqué par la souffrance est inacceptable. Même dans les milieux chrétiens, nous ne promettons aux nouveaux convertis que la joie, la libération de leurs problèmes et une vie plus simple. Il leur faut sourire parce que « Dieu vous aime », mais nous oublions de leur dire que Dieu châtie ceux qu'il aime réellement. La joie se réduit à la bonne humeur insouciante. Lorsqu'arrivent les souffrances, avec elles viennent la désillusion et le sentiment que Dieu nous a abandonnés. Nos frères et soeurs en Russie, en Europe de l'Est, en Chine, au Vietnam et au Cambodge sont plus au clair que nous sur le sujet de la souffrance. Privés de tous les soutiens et de tous les privilèges dont nous jouissons en Occident, ils ont dû redécouvrir la «communauté des souffrances de Christ» comme une expérience nécessaire qu'il ne faut pas redouter.
Le Seigneur dut attendre des années avant qu'Abraham soit capable de comprendre cette leçon. Ce fut la même chose pour les disciples. Le Seigneur dut leur dire: « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant» (Jean 16: 12). Il y a un temps pour tout. La patience doit se développer, la foi doit se consolider. Dieu dispose de l'éternité pour accomplir ses plans. Pourquoi devrait-il se dépêcher? Dieu permet peut-être que nous souffrions de dépression maintenant car il savait que nous n'aurions pu la supporter plus tôt, et peut-être veut-il à travers cela nous apprendre les choses que nous ne pourrions comprendre sans passer par cette expérience. Abraham aurait-il pu comprendre vraiment la signification de l'esclavage sans connaître l'obscurité? Il n'y a pas de réponses rapides ni faciles, même dans la vie chrétienne. Dieu nous fait de merveilleuses promesses, mais elles ne s'accomplissent pas toujours sans difficultés. La vie est une chose sérieuse.
La souffrance n'était pas quelque chose qu'Abraham voulait mais qu'il devait connaître. En apprenant ce qu'elle était, il découvrait en même temps certains des secrets de l'univers. Ainsi, Pierre disait aux saints persécutés de son époque qu'ils ne devaient pas s'impatienter malgré leurs souffrances, ou les considérer comme vaines, et qu'ils ne devaient pas non plus s'irriter de ce que le royaume tarde à venir (Il Pierre 3:8-9). Le royaume viendrait mais seulement après que tous soient parvenus à la repentance.
Une perspective éternelle
Au milieu de ce cauchemar, le Seigneur fit clairement savoir à Abraham qu'il irait en paix vers ses pères et serait enterré après une heureuse vieillesse. Néanmoins, il ne verrait pas s'accomplir ses plus grands espoirs durant sa vie. D'autres facteurs rendaient cela impossible. Dieu lui demandait de considérer ces promesses dans une perspective éternelle. C'était beaucoup demander au pionnier de la foi! Il était sorti de son pays pour prendre possession d'un autre pays qui lui avait été promis en héritage. Il devait maintenant accepter le fait que l'accomplissement de la promesse aurait lieu bien au-delà de sa vie terrestre. Parfois le Seigneur doit nous faire passer par des jours de ténèbres afin que notre vision prenne en compte l'éternité où se trouvent les véritables accomplissements. Nous avons bien plus de raisons que n'en possédait Abraham pour nous inciter à persévérer. Nous avons la résurrection du Seigneur qui nous assure que nos peines ne sont pas en vain. Même si le Seigneur ne revient pas durant notre vie terrestre, nous avons un espoir déjà confirmé par quelque chose de concret. Malgré tout, toute personne appartenant au peuple de Dieu doit, dans une certaine mesure, posséder la patience des saints qui voit au-delà des difficultés immédiates jusque dans les gloires de l'éternité. Mais cela demande parfois la souffrance ou la dépression pour ouvrir nos yeux à la véritable espérance.
Finalement, il est encourageant de voir que Dieu finit par agréer le sacrifice qu'Abraham avait préparé avec tant de soin. « Quand le soleil fut couché, il y eut une obscurité profonde; et voici, ce fut une fournaise fumante, et des flammes passèrent entre les animaux partagés» (Gen. 15:17). Dieu scella l'alliance et donna à Abraham cette nouvelle assurance dont il avait tant besoin. Le sacrifice était agréé et les promesses garanties. Les paroles du Seigneur au verset 9 étaient maintenant confirmées par le feu du Seigneur du verset 17. De façon similaire, en tant que chrétiens nous sommes conscients du fait que la nouvelle alliance fut scellée à l'ombre de la croix «dans son sang», et chaque fois que nous prenons la Cène, nous recevons à nouveau l'assurance que cette alliance ne peut être brisée. Peut-être aurons-nous à affronter de nombreuses dépressions, mais le Seigneur dut affronter Gethsémané. Si Abraham pouvait attendre patiemment la réalisation de ses espoirs, nous pouvons sûrement faire de même.
Denis Lane, Avec confiance vers l'inconnu Europresse, pp. 71-76 (avec l'autorisation de l'Éditeur)
(Les sous-titres sont de la rédaction de la B.N.)
La Bonne Nouvelle No 4 / 1990