Nigéria: "Avec Dieu, enrichissez-vous", après Toronto et Pensacola voici Lagos !

 

Au Nigeria, de nouvelles Eglises, très influencées par le modèle américain, connaissent un développement spectaculaire. Leur secret : promettre la prospérité.

C'est un dimanche matin au nouveau siège de la Winners' Church [l'Eglise des vainqueurs], une Eglise en pleine expansion créée il y a une dizaine d'années et déjà présente dans 32 pays du continent africain. Près de 50 000 fidèles ont franchi le portail du domaine où la Winners s'est installée il y a trois ans et qui constitue le symbole le plus voyant de l'influence religieuse américaine, avec ses églises gigantesques et ses télévangélistes avides de gains. "Canaan Land" [Terre de Canaan] est un espace clos de 205 hectares qui abrite un hôtel, une station-service, des restaurants, des magasins, les fondations d'une université et l'auditorium le plus vaste de toutes les églises africaines.

A l'intérieur, cinq ou six membres apportent des témoignages qui échauffent la foule avant le sermon du pasteur. Peu après son adhésion à la Winners, un homme a signé un contrat de 12 000 dollars [13 245 euros]. Un commercial en informatique prénommé Peter ne parvient plus à satisfaire la demande de la clientèle. A force de prier, James a trouvé un nouvel emploi qui l'a débarrassé de son anxiété. "J'ai pris du repos, le genre de repos qui n'est possible que si vous avez un gros compte quelque part", dit-il, provoquant des éclats de rire dans l'assistance.

Le christianisme se répand plus vite en Afrique subsaharienne que dans les autres régions du monde. Le catholicisme et les grandes Eglises protestantes gagnent chaque jour des fidèles, mais les nouvelles Eglises comme la Winners ont particulièrement le vent en poupe. Ce sont des mouvements pentecôtistes, le plus souvent dirigés par des hommes influencés par les évangélistes du sud des Etats-Unis ou du Midwest, qui répandent eux aussi le message que le succès vient à ceux qui prient. Dans quasiment toutes les villes africaines, ce sont les cultes qui attirent le plus de fidèles, en particulier chez les jeunes. Pour beaucoup de dignitaires de religions traditionnelles et de laïques nigérians, les nouvelles Eglises se soucient moins de sauver des âmes que d'amasser de l'argent. "Le moyen le plus simple et le plus rapide de s'enrichir au Nigeria est de prendre une bible et de se mettre à prêcher", affirme Anthony Okogie, archevêque de Lagos.

Le boom des Eglises pentecôtistes a débuté au cours de la dernière décennie, l'époque troublée pour l'Afrique. Le Nigeria, l'un des pays les plus désorganisés et les plus peuplés d'Afrique, a été le plus fortement touché par cette explosion religieuse. Le Mouvement de la confrérie pentecôtiste du Nigeria, qui avait 50 pasteurs en 1990, en compte aujourd'hui 250. La moitié des panneaux sur les grands axes routiers de Lagos signalent une nouvelle Eglise. Si l'Afrique du Sud est le plus gros exportateur africain sur le plan commercial, le Nigeria est son équivalent sur le plan religieux. Ses Eglises se développent dans toute l'Afrique et jusqu'en Europe et aux Etats-Unis.

"Ce sont nos principales exportations sur le marché mondial, nos biens les plus précieux", affirme le révérend David Oyedepo, 47 ans, qui a créé la Winners' Church à Lagos en 1989, avant de la transférer, il y a trois ans, à Offa (au nord de Lagos). La Winners doit son essor phénoménal à la simplicité de son message : "La prospérité est reconnue dans le monde entier comme le signe distinctif de notre culte", proclame le révérend dans une brochure à l'intention des nouveaux membres. "Dieu enrichit nos fidèles. Il vous enrichira, vous aussi !" Dans un pays où, selon les chiffres de la Banque mondiale, un tiers des 126,6 millions d'habitants vit avec moins de 1 dollar par jour et où 40 % sont analphabètes, le message a un impact considérable. La production de 2 millions de barils de pétrole brut par jour n'a fait que creuser le fossé entre les riches et les pauvres. Mais, au sein des Eglises pentecôtistes, les Nigérians peuvent acheter la "doctrine de la prospérité" : dans ces nouvelles religions, on célèbre la richesse.

Le révérend Chris Okotie, par exemple, est un ancien chanteur pop de 43 ans qui est devenu pasteur après avoir fait des études théologiques dans l'Oklahoma. En 1987, il a fondé à son domicile l'Eglise du foyer de Dieu, avant d'emménager en 1993 dans un entrepôt pour pouvoir accueillir la masse croissante des fidèles. Il a ensuite acquis tous les autres entrepôts du quartier et possède un domaine de 8 hectares, où un parking de 1 500 places et une école de six étages sont en cours de construction. Après avoir fait les honneurs de sa propriété, le pasteur suggère, en passant devant sa nouvelle Mercedes : "Peut-être pourrions-nous prendre une photo à côté de cette voiture." Tout habillé de noir, tee-shirt moulant, jean et baskets, il pose pour la photo accoudé au capot de la Mercedes, dans laquelle on aperçoit deux petits téléviseurs. Plusieurs gardes du corps, en noir eux aussi et en rangers, le suivent partout en aboyant des ordres dans des talkies-walkies. Le révérend Okotie est cependant loin d'être seul. Dans les zones industrielles de Lagos, nombre d'Eglises nouvelles en quête de locaux suffisamment vastes pour accueillir une foule de fidèles ont transformé des entrepôts en lieux de culte. "Tous les entrepôts étaient vides du fait du déclin des industries manufacturières et ils n'étaient pas suffisamment rentables aux yeux de leurs propriétaires", explique Rasheed Adegbenro, l'un des directeurs de l'Association des fabricants du Nigeria. "C'est alors que les Eglises sont arrivées. Aujourd'hui, on ne trouve plus de machines dans ces entrepôts, seulement des fidèles."

Aux dires de leurs détracteurs, les Eglises pentecôtistes ignorent délibérément les problèmes de l'Afrique, surtout lorsqu'il faut affronter des régimes corrompus. Au Nigeria, les pasteurs pentecôtistes ne se sont jamais opposés aux dirigeants militaires, comme l'on fait les prêtres catholiques. Certains d'entre eux reconnaissent qu'il y a des abus au sein du mouvement. Le révérend Okotie est engagé dans un combat de longue haleine contre un autre pasteur très en vue qu'il accuse de faire commerce de miracles et de guérisons, combat que certains journaux ont décrit comme une simple rivalité. "Il y a beaucoup de charlatans qui veulent transformer le culte de Dieu en un grand bazar, s'insurge-t-il. Les jeunes pasteurs, en particulier, sont nombreux à vouloir devenir millionnaires du jour au lendemain. Certains vous demanderont de leur donner un objet qui vous appartient et vous prédiront un miracle. Mais si vous voulez que le miracle se réalise, vous devrez payer le pasteur pour qu'il prie pour vous."

Norimitsu Onishi

(New York Times/Courrier International) ajouté le 1/6/2002

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