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Histoire de Zoum.

 

Zoum est né au fond d'une grange, à la montagne, dans une maison qui n'est habitée que pendant quelques mois d'été. Sa mère, une vieille chatte méfiante et à moitié sauvage, l'a jalousement élevé à l'abri d'une têche de foin. Il a grandi et la grange entière est devenue son royaume. Il y trouve mouches et souris. en abondance, et quand un rayon de soleil glisse à travers la lucarne du toit pu les jointures mal fermées des portes, il y a, des Jeux de poussière qui invitent aux cabrioles les plus fantastiques.

Mais un beau jour, tout change, Les portes s'ouvrent, le& volets battent, la maison est occupée par ses légitimes propriétaires et Zoum, épouvanté, disparaît au fond de son vieux nid.

Quelques heures sont déjà longues, comment rester prisonnier, immobile, quand on a des jarrets d'acier et la passion de la chasse aux mouches.

Prudemment, Zoum avance sur son tas de foin. Quelqu'un, ouvre la porte : éclipse totale. La même manoeuvre se renouvelle deux ou trois fois, mais bientôt le petit sauvage est découvert. On le signale; on le cherche ; on l'appelle: il fait le mort au fond de son trou.

S'il est rusé, les hommes le sont d'ailleurs davantage.

Le lendemain, sur l'aire de la grange, il y a un bol de bon lait tiède et écumant. La curiosité et la gourmandise l'emportent sur la prudence. Zoum s'approche, goûte, prend plaisir, sa petite langue fait merveille, quand une grosse main s'abat sur lui et l'enlève... Il voudrait bien être le plus fort, mais la main ne cède pas. Elle est douce d'ailleurs et multiplie les caresses. Le petit prisonnier finit par s'avouer vaincu et alors on lui rend sa liberté. D'un bond, il disparaît. Demain, la tentation se renouvelle Zoum reconnaît celui qui le nourrit et le flatte. Il se laisse prendre, mais toute autre figure humaine lui demeure hostile jusqu'à ce qu'enfin, à force de patience et de douceur, le petit sauvage comprend que personne dans la maison ne lui veut du mal et quand les vacances se terminent il est devenu le favori de tous et leur ami.

On l'aime tant qu'il devient impossible de l'abandonner et un beau jour, quand il s'agit de redescendre en ville, on décide que Zoum fera le voyage et deviendra citadin.

On l'installe non sans peine dans un panier rond où griffes et dents s'acharnent à ouvrir une issue ; mais le panier tient bon, et le petit prisonnier s'en va: vers la plaine au rythme du vélo sur lequel on l'emporte.

Quel changement de vie, que de surprises et de mystères ? Déjà tout le long de la route des bruits inconnus, à l'arrivée en ville ,des cornets, des sifflets, un vacarme incompréhensible. Quand il sort de son panier, le pauvre minet semble avoir perdu l'équilibre et il lui faut un bon moment avant de se retrouver d'aplomb sur ses quatre pattes.

Heureusement, si le cadre est changé, les figures amies sont là. Les caresses et les gâteries font oublier les heures mauvaises. IL y a des mouches et du soleil. Le petit montagnard va faire cou,naissance avec la maison, il se hasarde sur le balcon ; plus tard une glycine noueuse lui fournit un chemin pour gagner le jardin; mais il est prudent et soupçonneux, le moindre bruit le fait rentrer au logis, et aucune main étrangère ne parvient à l'atteindre.

En revanche, avec les gens de la famille, c'est le plus aimable et caressant minet qui se puisse imaginer. Il s'est donné exclusivement à eux et il est intelligent comme pas un, on rit volontiers de lui en voyant ses gestes : il ne lui manque que la parole !

En voici d'ailleurs une preuve. Une fois l'hiver venu, les fenêtres restent fermées, et si Zoum s'attarde sous des massifs du jardin, il risque bien d'être dehors plus longtemps qu'il ne l'aurait souhaité. C'est ce qui arrive bientôt, et un certain soir tout le monde est au lit, sauf Zoum qui n'a répondu à aucun des appels, quand à l'une des fenêtres un bruit singulier se fait entendre. Le crochet d'un volet est projeté contre le cadre de la fenêtre, et cela plusieurs fois de suite, à intervalles très rapprochés. C'est notre chat qui a découvert un moyen d'appeler quand la. porte est fermée, un marteau d'un nouveau genre et qui remplit fort bien son but. Désormais, chaque fois que la voie lui est fermée pour rentrer, il reprendra le même artifice. Ce n'était pas le hasard qui avait dirigé sa patte, mais bien la réflexion.

Il y aurait encore bien des choses à raconter pour faire toute l'histoire du petit minet qui vécut longtemps et devint un vieux chat.

Il fit souvent le voyage dans le panier rond et, d'une année à l'autre, il se retrouvait chez lui quand les vacances le ramenaient à la grange où il était né.

Une dernière fois, il y revint,, mais triste et comme à contre coeur. A peine débarqué, il alla se blottir dans un coin, et le lendemain on le trouva mort tout près du nid où sa mère l'avait déposé.

R. B. D.


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Jacob chez Laban.

(Genèse 29 : 1-14. 31: 22-24.)

 

Après la sainte halte de Béthel, Jacob reprit son bâton de pèlerin pour arriver, après de pénibles journées de marche, chez son oncle Laban. Laban était en effet le frère de Rébecca. C'est lui qui avait parlementé avec le vénérable Eliézer quand celui-ci était venu, sur l'ordre d'Abraham, chercher une femme pour Isaac. La situation était alors bien différente : Eliézer apportait à la future épouse d'Isaac et à ses parents de magnifiques. cadeaux ; Jacob, lui, n'avait que son travail à offrir. Quand il vit Rachel, il aurait sans doute été bien heureux de partir avec celle pour Qui il éprouva, dès la première entrevue, un sentiment de profonde affection. Mais Jacob était un pauvre fugitif et l'on ne pouvait pas, dans les temps lointains, obtenir la main d'une jeune fille sans payer aux parents une somme assez importante. Or, le rusé Laban, qui voyait combien Jacob tenait à sa fille, accepta sans hésitation le contrat proposé par Jacob qui s'engageait à travailler sept ans pour Laban afin de pouvoir épouser Rachel. Parce que Jacob aimait sa fiancée, cette longue période passa bien vite. Le jour du mariage arriva... et ce fut Léa, la soeur aînée de Rachel, qui devint l'épouse de Jacob ! Celui qui avait trompé son vieux père était - juste châtiment - à son tour la victime d'une odieuse machination, que les coutumes de l'époque expliquent. La fiancée était complètement voilée le jour de son mariage ; la substitution était relativement facile et Léa, jalouse, en, peut le supposer du succès de sa soeur, s'y prêta volontiers. Jacob dut faire bonne mine à mauvais jeu et accepter un nouvel engagement avant de pouvoir faire de Rachel son épouse légitime. Il était alors permis, comme c'est le cas encore chez les Musulmans, d'avoir plusieurs femmes.

Jacob prolongea donc son séjour à, Charan durant de longues années. Rappelons que, s'il fut joué par Laban, Jacob sut prendre sa revanche en se constituant une fortune. « Cet homme devint de plus en plus riche ; il eut du menu bétail en abondance, des servantes et des serviteurs, des chameaux et des ânes.» Jacob fut-il toujours d'une scrupuleuse honnêteté envers Laban ? Il est permis d'en douter. Jacob savait fort bien qu'il faisait du tort à son beau-père sinon l'aurait-il quitté ainsi en cachette et Laban aurait-il poursuivi son gendre pour lui adresser d'amers reproches? Tout cela est douloureux à constater. Il est vrai que le traité d'alliance conclu entre les deux parents atténue un peu cette pénible impression.

A Béthel, Jacob avait éprouvé le sentiment de la présence de Dieu ; mais cette rencontre - le séjour à Charan le prouve. - n'avait pas transformé le coeur du fils d'Isaac : Nettoie d'abord l'intérieur de la coupe et du plat, afin que l'extérieur aussi devienne pur. (Matt. 23 : 26). Et pourtant, malgré son indignité, Dieu aimait Jacob qui, nous le verrons dimanche prochain, eut le mérite de mettre en l'Eternel sa confiance. Nous savons, par Christ que Dieu nous aime tous et qu'il veut diriger nos pas. Laissons-nous conduire, afin de pouvoir répéter la belle parole de confiance d'un poète hébreu : L'Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien (Psaume 23 : 1.)


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Tentation.

 

Aujourd'hui, Henri fait ses devoirs dans la chambre de sa maman et il y est joliment bien' installé, je vous prie de croire ! Maman a rabattu le tiroir supérieur de sa commode-secrétaire, et sur cette belle table d'acajou aux montures cuivrées, Henri a pu étaler son atlas, son cahier de cartes, son livre de géographie. Une jolie lampe électrique l'éclaire gaiement, tandis qu'une belle flambée, dans la cheminée, lance des reflets dansants sur l'acajou du lit et sur le guéridon où il a déposé l'assiette vide de son goûter.

« Eh bien ! mon chéri, avances-tu avec tes devoirs ? dit Mme Dupeyrat entrant dans la chambre.

- J'aurai bientôt fini ma carte, mais j'ai un problème à faire ensuite.

- Tu n'as pas de leçon à réciter ?

- Pas encore, maman, j'ai commencé par mes devoirs.

- Bon, continue ; je vais aller voir si rien ne manque au couvert et jeter un coup d'oeil à l'office, quand je reviendrai m'habiller, tu pourras me réciter ta géographie.

- Merci, maman.

Le voilà seul de nouveau. Ses parents ont du monde à dîner ce soir, voilà pourquoi il est banni de la salle à manger, où, généralement, il fait ses devoirs. Il est distrait ; le voilà qui se lève doucement et qui, sur la pointe des pieds, s'approche de l'armoire à glace ; puis, vite, il retourne s'asseoir et paraît plongé dans son problème lorsque son père entre.

- Te voilà, mon garçon ? je...

Henri, se levant et allant au-devant de M. Dupeyrat

- Bonjour, papa.

- Dis-moi plutôt bonsoir, car je vais descendre au fumoir où un monsieur m'attend : sais-tu où est maman ?

- Elle a dit qu'elle voulait jeter un coup d'oeil à l'office.

- Bien, j'ai un mot à lui dire. Bonsoir, petit ; et papa embrasse son fils sur le front.

Seul de nouveau. Henri écoute s'éloigner les pas de son père, puis, furtivement, se glisse jusqu'à l'armoire à glace qu'il ouvre doucement; sur le rayon supérieur, un gros paquet semble l'hypnotiser ; il ne peut en détacher ses yeux et murmure : « Je suis sûr que c'est mon train électrique! c'était juste un paquet comme celui-ci que j'ai montré à maman chez le marchand ; oh ! si... » mais il fait un effort, referme l'armoire et retourne s'asseoir au secrétaire.

Plus tard, pendant que Geneviève couche la petite soeur, Henri est de nouveau confiné dans la chambre de ses parents.

« Amusez-vous une demi-heure, M. Henri, Madame a permis que vous regardiez le vérascope. Je reviendrai dès que j'aurai fini avec Lucette.

- Oh ! ne vous pressez pas, Geneviève, je saurai bien m'occuper tout seul.

Et maintenant, sûr de ne pas être troublé pendant un bon quart d'heure, Henri s'empare du paquet mystérieux, défait le papier, ouvre le carton et aperçoit le fameux train électrique tant cou voilé ! oui, c'est bien cela ! voici la gare démontable, puis les signaux, la barrière, les rails... mais... -une sorte de brouillard s'étend sur ces merveilles, et le bonheur qu'Henri avait anticipé devient un horrible malaise. Vite il referme le carton, le replace dans son papier, remet le paquet sur le rayon de l'armoire qu'il referme... Geneviève, entrant un peu plus tard, s'écrie : « Que vous êtes pâle, M. Henri ; vous vous êtes ennuyé tout seul ? voulez-vous faire une partie de dames ? j'ai le temps.

- Oh ! non, merci, Geneviève ; j'ai un peu mal à la tête, j'aime mieux me coucher tout de suite.

A minuit et demie, environ, maman entre dans la chambre de son petit garçon, pour l'embrasser avant d'aller elle-même se coucher, comme elle le fait souvent. Elle trouve son Henri tout en larmes ; à sa vue, il s'écrie piteusement : « Oh ! maman !pardonne-moi ! je ne voulais pas le faire, d'abord, et puis j'ai cédé...

- Qu'y a-t-il, mon chéri? qu'as-tu fait ?

- J'ai... j'ai regardé... le train... Oh ! pardon ! et maintenant de lourds sanglots soulèvent sa poitrine ; ne me le donne pas, pour me punir, mais pardonne-moi !

- J'avais confiance en toi et j'avais laissé la clef sur l'armoire ,à glace ; une autre fois je...

- Oh ! non, ne dis pas cela, je te promets de ne plus jamais toucher à tes affaires ! Dis que tu me pardonnes ! je suis si malheureux !

Maman a pardonné et la paix est revenue dans le coeur d'Henri. Les parents comprennent, et ont pitié de leurs enfants sincèrement repentant. Dieu aussi nous entend et est prêt à nous pardonner quand nous allons à Lui avec confiance, dans le sentiment de notre faiblesse. N'oubliez jamais, chers petits lecteurs, quand le tentateur vous harcèle, n'oubliez jamais de demander au Seigneur Jésus-Christ de lutter pour vous ! c'est Lui qui donne la victoire ; il l'a promis. « Prenez courage, j'ai vaincu le monde ».

M. Schneider.


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Jacob à Péniel.

(Genèse 32 : 1-32)

 

Jacob et Laban viennent de se promettre amitié et respect. Ils se sont maintenant séparés ; Laban pour retourner dans son pays, et Jacob pour revenir vers les lieux de son enfance. Son imposante caravane se dirige vers l'occident. Elle fait halte non loin d'un torrent rocailleux, le Jabbok, dont les eaux, descendues des monts, de Galaad, rejoignent le Jourdain à environ vingt-cinq kilomètres, de son embouchure dans la Mer Morte. Il vaut la peine de situer l'endroit auquel Jacob donnera le nom de Péniel, c'est à dire « face, de Dieu ». Ce lieu ne marqua pas seulement une date importante de l'existence aventureuse du patriarche, mais il fut, pour le peuple, hébreu, comme un point de départ. C'est à Péniel en effet que Jacob (ce prénom signifie usurpateur) reçut le nom honorable que ses descendants devaient porter après lui, le nom illustre entre tous, d'Israël : « champion de Dieu ».

Jacob a envoyé une délégation auprès de son redoutable frère pour essayer « de trouver grâce à ses yeux ». Les messagers sont revenus porteurs d'une nouvelle terrifiante : Esaü s'avance à la rencontre de Jacob avec une troupe nombreuse. Que faire, le moment est angoissant ! Jacob ne désespère pas. Il commence par séparer sa caravane en deux camps distincts, suffisamment éloignés l'un de l'autre pour que la moitié au moins de ses biens ait quelque chance d'échapper au désastre.

Puis, Jacob fait mieux encore, il ne juge pas inutile de se recueillir pour demander à Dieu son secours. Cette prière lui aide à retrouver son calme et c'est rasséréné que, le lendemain, Jacob envoie à son frère une belle part de son gros et de son menu bétail qu'il a l'habileté, pour que l'impression soit 'meilleure, d'envoyer en plusieurs fois. Jacob compte que ce sacrifice apaisera la colère d'Esaü. Sur ces entrefaites, une nouvelle nuit arrive...

Nuit terrible, au cours de laquelle Jacob luttera avec Dieu ; nuit terrible, mais combien mystérieuse ! On a beau lire et relire le récit de la Genèse (c. 82 v. 24-32), on ne saisit pas très bien comment ce grandiose combat c'est déroulé. Ce qu'il importe de constater c'est l'expérience du patriarche qui finit par se rendre compte que Dieu n'est pas seulement un protecteur bénévole, mais un être redoutable, capable de s'irriter quand on l'a gravement offensé... Jacob a lutté, lutté, mais il a fini par crier grâce et l'Ennemi est, devenu un Ami qui consent à donner au patriarche sa bénédiction. Le jour se lève enfin, radieux. L'usurpateur est, par la grâce du, Tout Puissant, transformé en champion de Dieu : « Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël.»

Celui qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé. (Luc 18 : 11.) :

Invoque-moi au jour de la détresse. (Ps. 50 : 15.)


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La découverte d'Eva.

 

Je me demande si Henriette Duchet est malade ? songeait Eva en s'installant devant sa table de travail. Voici deux jours qu'elle n'a pas paru en classe. J'irai prendre de ses nouvelles demain en revenant du lycée.

Eva et Henriette étaient compagnes de classe et bonnes camarades ; seulement, tandis que les parents de la première se trouvaient dans une situation aisée, ceux d'Henriette étaient de laborieux ouvriers qui s'imposaient de grands sacrifices pour que leur fille pût suivre les Cours du lycée. Très intelligente et travailleuse, la fillette remportait invariablement à la fin de l'année tous les premiers prix, et son rêve était de devenir institutrice.

Au moment où Eva terminait un problème un léger coup fut frappé à la porte de sa chambre. Elle répondit : « Entrez ! » et une fillette de son âge parut sur le seuil.

- Ah ! Henriette, c'est toi ! s'écria Eva en embrassant la nouvelle venue. Justement je me demandais si tu étais malade.

- J'ai seulement eu un très gros rhume, dit Henriette, et maman n'a pas voulu me laisser aller en classe ; mais enfin je pourrai y retourner demain, et je viens te demander de m'indiquer les devoirs et les leçons qu'on nous a donnés afin de pouvoir les préparer.

- Je vais les inscrire sur un bout de papier, dit Eva ; assieds-toi en attendant.

Henriette obéit et la fillette se mit au travail ; quand elle eut fini, elle tendit le papier à sa compagne, mais celle-ci n'y prit pas garde. Tournée vers la petite bibliothèque d'Eva, ses yeux semblaient dévorer les livres qu'elle contenait ; le regard d'un affamé placé devant une table bien servie n'aurait pu exprimer plus de convoitise. Une pensée soudaine traversa l'esprit d'Eva.

- Aimerais-tu que je te prête des livres, demanda-t-elle.

Le visage d'Henriette s'illumina.

- Oh ! tu serais bien gentille ! s'écria-t-elle. Ça me ferait tant de plaisir !

- Vrai ? Alors, pourquoi ne me l'as-tu jamais demandé ?

- Je n'osais pas, j'avais peur que ça t'ennuie.

- Grande sotte, va ! Ça ne m'ennuie pas du tout, au contraire. Prends le livre que tu voudras et je t'en prêterai d'autres à mesure.

- Merci beaucoup, dit Henriette, le visage rayonnant. N'aie pas peur que je les abîme, j'en prendrai grand soin. J'aime tant les livres, vois-tu, et je n'en ai guère.

En parlant ainsi, Henriette avait choisi un livre, puis les deux rillettes prirent congé, car leurs devoirs de classe les réclamaient.

- Pauvre Henriette ! songea Eva en se rasseyant devant sa table, comme elle a eu l'air contente quand je lui ai offert des livres ! Il faut vraiment bien peu de chose pour faire plaisir à, quelqu'un seulement on n'y pense pas toujours. Dire que j'aurais pu ne jamais m'apercevoir qu'Henriette avait tellement envie que je lui prête des livres ! Peut-être cela m'arrive-t-il souvent de passer ainsi sans m'en apercevoir à côté des occasions de faire plaisir aux autres ?

Cette pensée poursuivit la fillette à travers son travail et l'amena, avant la fin de la journée, à faire plusieurs découvertes. Ainsi elle s'aperçut qu'elle ferait plaisir à sa maman en remettant en ordre, avant le souper, la corbeille à ouvrage de cette dernière que le petit Pierre, un terrible polisson de quatre ans, avait complètement bouleversée ; elle s'aperçut qu'elle ferait plaisir à son grand-papa, qui avait l'ouïe très dure, en lui répétant bien distinctement, dans le creux de l'oreille, les phrases qu'on lui adressait à table et qui souvent lui échappaient ; enfin elle s'aperçut qu'elle ferait plaisir à son papa en lui offrant, après le souper, de sarcler le carré de salades du jardin, car depuis la guerre, par raison d'économie, on ne faisait plus venir le jardinier qu'une fois par semaine, et M. Duteillet se donnait beaucoup de peine pour cultiver lui-même fleurs et légumes à ses moments perdus.

Tout en profitant des dernières clartés du jour pour se livrer à ce dernier travail, la fillette réfléchissait à ses différentes découvertes.

- Papa, maman et grand-papa ont eu l'air bien contents tous trois quand je leur ai offert mes petits services, songeait-elle.

C'est curieux comme il est en somme facile de faire plaisir aux autres. Il faut seulement y penser. Mais je sais bien pourquoi, jusqu'ici, j'y pensais si rarement. C'est parce que cela m'oblige à me gêner un peu, et même à faire un petit sacrifice. Par exemple, en ce moment j'aimerais bien mieux lire que d'arracher ces ennuyeuses mauvaises herbes. Mais quand on veut être une vraie servante de Jésus-Christ, ne doit-on pas justement chercher ces occasions de s'oublier soi-même pour faire plaisir aux autres ?

Aussi je vais demander au Seigneur Jésus de m'aider à bien regarder autour de moi pour découvrir toutes les occasions possibles de rendre service, et cela gaiement, joyeusement. Et ce sera encore, je pense, le meilleur moyen de lui faire plaisir à Lui-même!


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Réconciliation de deux frères

(Genèse 33 : 1-16.)

« Je ne te laisserai point aller, à moins que tu ne me bénisses » a supplié Jacob pendant la nuit passée à Péniel. Et la bénédiction divine lui a été accordée. Jacob attend avec courage les événements. Il a confiance. Avant la rencontre, tant redoutée, la veille, le patriarche prend ses dernières dispositions. La manière dont il place les gens de sa famille - une tribu déjà - montre que les sentiments de son coeur n'ont pas changé ; Rachel, qui est toujours l'épouse préférée, est, avec son fils Joseph, envoyée tout à l'arrière, de l'immense caravane : Elle courra moins de danger si, par malheur, Esaü veut assouvir sa vengeance. Cette dernière précaution prise, Jacob part tout seul à la rencontre de son frère...

Comment Esaü va-t-il accueillir l'usurpateur d'il y a vingt ans ? Jacob s'avance. Cet homme qui s'est arrêté Ià-bas en tête d'une nombreuse cohorte, c'est son frère ! Jacob est trop loin pour parler ; Il ne peut faire qu'un geste et son geste, sept fois répété, sera celui d'un respect humilié. Jacob se prosterne. Soudain, Esaü quitte ses compagnons, il court à la rencontre de l'implorateur, il le relève, il l'embrasse avec effusion, une émotion si poignante étreint le coeur des deux fils d'Isaac qu'ils sont incapables de proférer une parole. Ils sanglotent. Esaü, dont la joie est plus intense peut-être parce qu'il est celui qui pardonne et qu'il y a plus de bonheur à pardonner qu'à être pardonné, serre dans ses bras vigoureux l'homme qu'il avait autrefois poursuivi de sa haine. La réconciliation se fait ; elle est d'autant plus émouvante qu'elle s'est accomplie sans phrase, seuls les coeurs ont parlé.

L'humiliation de Jacob a permis cela, mais la bonté d'Esaü ne doit pas être passée sous silence. Lorsque Jacob apprit que son frère venait à sa rencontre, il éprouva une angoisse mortelle, le souvenir de sa faute passée contribuait à augmenter son trouble !

Mais, qui nous dit que les intentions d'Esaü étaient de se venger cruellement ? Esaü, au contraire va parler à son frère avec un réel intérêt, sa bienveillance est évidente. Eh oui, quand même son rôle historique est infiniment plus effacé que celui de l'illustre « Israël », il faut admirer Esaü. Cet homme a certainement fait preuve de grandeur d'âme ! Marquons un bon point à Jacob qui dédommagea généreusement son frère. Cette munificence a pu être entachée d'un peu d'intérêt, mais n'est-elle pas l'indice d'un repentir sincère; n'est-elle pas, après tout, une juste réparation ?

Deux mots encore, avant de tourner une page réconfortante des annales bibliques. Quand on a été offensé, il convient de laisser parler son coeur où Dieu a mis, malgré les apparences contraires, quelque chose de Sa bonté et de pardonner. Quand on a offensé, l'humiliation et le repentir sont de rigueur et il faut - même s'il en coûte beaucoup - savoir aussi réparer. Telle est l'indiscutable vérité. Voilà pourquoi nous n'oublierons pas cet ordre du Christ, et cette affirmation du poète sacré :

Va d'abord te réconcilier avec ton frère. (Matt. 5 : 24.)

Il est doux pour des frères de demeurer ensemble. (Ps 133 : 1.)


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Retour de foire.

 

- C'est-y pas malheureux, tout de même ! s'exclama Joseph Barbottin, et son honnête figure exprimait une profonde pitié.

- C'est tout comme je te dis ! affirma le gros Urbain.

- Quand est-ce que cela lui a pris ?

- Eh bien ! voilà ! cela a commencé tout de suite après son malheur. Quand on lui a rapporté son mari écrasé par un arbre dans la forêt, et qu'elle l'a vu mort du coup, ça lui a tourné le sang ! Tandis que toutes les femmes du village étaient autour d'elle à crier comme des poules, elle regardait son Justin, sans même pleurer, comme s'il avait été endormi.

Joseph hocha la tête, apitoyé.

- C'est cela qui lui a fait mal, dit-il.

- Peut-être, bien. Elle n'a jamais pleuré, pas même le jour de l'enterrement. Elle ne s'occupait de rien, pas même de sa petiote. Une belle petite pourtant, qui n'a que six mois ! La mère ne la regardait pas plus quasiment qu'un caillou ! Dieu sait pourtant si elle l'aimait ! Et son homme aussi, c'était leur premier enfant. Elle la laissait crier dans son berceau, sans y faire attention. Elle l'aurait laissée mourir de faim. Il fallait prendre la petite et la lui mettre sur les genoux, alors, elle lui donnait à téter. Mais cela ne dura pas, et un jour que la voisine la lui donnait, elle l'a repoussée, et presque jetée par terre. Depuis, ce moment, elle ne veut plus voir l'enfant, que les femmes du village se passent et soignent tour à tour. La Thérèse a l'esprit tout dérangé, il faut la surveiller tout le temps, même on a peur qu'elle devienne méchante... Pour sûr, il y a des braves gens qui ont du malheur !

- Le médecin est-il venu ? demanda Joseph.

- Bien sûr, et il doit revenir aujourd'hui, avec M. le Maire. Cela ne peut pas durer comme cela. On ne peut pas continuer à soigner cette pauvre Thérèse au village.

- Mais qu'est-ce qu'on va en faire ? et de sa petite ?

- Je ne sais pas trop, m'est avis qu'on va les mettre toutes deux à l'hospice. C'est dommage pour l'enfant, mais que veux-tu ? Le médecin a dit qu'il arrangerait cela avec le maire. Tiens je crois bien que ce sont eux qui viennent par là-bas.

En effet, un traîneau approchait du hameau, et le vieux docteur en descendit avec le Maire.

- Si ces messieurs veulent entrer chez nous se chauffer un moment, dit Urbain en s'approchant du traîneau.

- Ah ! c'est vous, Urbain ? Merci, merci. Tout à l'heure, peut-être, nous allons voir la pauvre Thérèse. Où est la petite ?

- Chez nous, M. le docteur.

- Bon ! Nous viendrons la voir tout à l'heure.

Ils s'éloignèrent.

- Tu ne m'avais pas dit que la petite était chez vous ? dit Joseph Barbottin.

- C'est vrai Entre un moment, tu la verras.

Madame Jeanne Barbottin attendait son mari avec impatience la nuit approchait et elle commençait à s'inquiéter. Même s'il s'était attardé avec des amis au village, il eût dû être de retour depuis longtemps. Pourvu que par ce froid et cette neige épaisse il ne lui soit pas arrivé malheur ! Elle aimait son homme, dame Jeanne, un brave homme qui ne lui avait jamais fait de chagrin. Elle l'aimait d'autant plus que depuis bien des années ils vivaient seuls, leur unique enfant, une mignonne petite fille étant morte subitement.

Enfin, les aboiements du chien la rassurèrent. De la porte entr'ouverte elle appela :

- C'est y toi, Joseph ?

- C'est bien moi, envoie Jean avec une lanterne, pour mettre les brebis à l'écurie, je vais venir.

Le domestique sortit, tandis que dame Jeanne jetait un fagot sur le feu, et trempait la soupe.

- Qu'est-ce que tu as fait pour arriver si tard, demandait-elle quelques minutes après à son mari qui rentrait dans la cuisine par une porte intérieure.

- Oh ! pas grand'chose, c'est au village que je me suis attardé. En passant j'ai rencontré Urbain qui m'a parlé de Thérèse, tu sais, dont le mari est mort il y a tantôt trois mois. Elle est devenue folle, et on va la mettre à l'hospice.

- Seigneur Jésus ! s'écria dame Jeanne, qui ne cessa de s'exclamer pendant le récit que lui fit son mari.

- Et la petiote, demanda-t-elle enfin, que va-t-on en faire

- Heu ! Je ne sais trop, on parle de la mettre à l'hospice elle aussi, répondit Joseph.

- Pauvre agneau ! Quelle pitié ! Comment sera-t-elle soignée par des gens qui ne l'aimeront pas ? N'y a-t-il donc personne pour prendre soin d'elle ?

- Personne ! Ils ne sont pas riches au village, et chaque maison a sa part de mioches à nourrir.

- Avec cela qu'il en coûte grand chose de nourrir une pauvrette comme cela !

Dame Jeanne hocha la tête d'un air indigné, comme si elle voulait défier tous ces gens sans coeur. Son indignation retombait lin peu sur son mari qui mangeait sa soupe tranquillement sans avoir l'air de penser à autre chose et surtout sans paraître partager les sentiments de sa femme.

- Si c'est pas une honte d'envoyer à l'hôpital un pauvre agneau comme cela! dit-elle à demi voix, en se mouchant bruyamment.

- A propos, dit Joseph cri relevant la tête pour regarder sa femme avec un sourire, tu ne me demandes pas ce que j'ai fait à la foire !

- C'est vrai ! As-tu acheté des brebis ?

- Oui, j'en ai acheté vingt, pas trop cher, même j'ai fait une bonne affaire. On m'a donné par dessus le marché un petit agneau sans mère. J'espère que tu seras contente. Cela va te donner à faire pour l'élever, il est si petit, mais je crois quand même que tu ne m'en voudras pas.

Jeanne regardait son mari sans comprendre.

- Qu'est-ce que tu me racontes-là ?

- Tu vas voir tout de suite ! Jean ! apporte la lanterne

Et Joseph Barbottin disparut par la porte qui menait à la grange et à l'étable. Il revint une minute après portant avec précaution dans ses bras un paquet informe.

- Voilà ton petit agneau. dit-il à demi-voix. Et écartant doucement les lainages qui couvraient le visage endormi de la petite de Thérèse. Regarde dit-il.

- En silence darne Jeanne regarda longtemps, puis elle murmura avec un soupir

- Pauvre agneau !

- Elle hésita un moment, puis ajouta cri regardant son mari: Ne trouves-tu pas qu'elle ressemble à notre pauvre petite"

- C'est pour cela que, lorsque je l'ai vue, je n'ai pas pu résister. Ai-je bien fait, Jeanne ?

La paysanne avait pris l'enfant dans ses bras, et elle retrouvait pour la bercer ses gestes d'autrefois. qu'elle avait pour bercer et endormir l'enfant que Dieu leur avait repris. Ses yeux s'étaient remplis de larmes, elle ne pouvait parler. Enfin, relevant la tête, et regardant son mari :

- Tu as bien fait, mon homme... et si tu veux... elle hésita une seconde, si tu veux nous l'appellerons Jeannine, comme notre petite.

H. M.

 

(Adapté de l'Ami de la Jeunesse, mars 1907.)


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Les douze fils de Jacob.

(Genèse 37 : 2-36.)

 

Soyez bons les uns envers les autres, compatissants, vous pardonnant réciproquement comme Dieu vous a pardonné en Christ. (Eph : -4 : 32.)

Isaac vient de mourir à un âge avancé, après avoir eu la joie suprême d'apprendre la réconciliation de ses deux fils. Nous n'aurons plus l'occasion de nous entretenir d'Esaü. Par contre, il faudra encore nous occuper encore de Jacob et plus particulièrement de son fils Joseph dont on parlera à l'Ecole du Dimanche à partir de la date que porte ce « Messager » et quatre fois encore en mars. Voilà une bonne raison pour ne pas déserter son groupe : on ne connaît jamais si mal une histoire que lorsqu'on en saute un ou deux chapitres !

Joseph, c'était l'avant-dernier des fils de Jacob, Benjamin étant, chacun le sait, le cadet. Leur mère Rachel était morte au moment de la naissance de Benjamin. Ce lut une immense douleur pour son époux qui, tout naturellement reporta son affection sur les deux enfants que lui avait laissés Rachel ; ce fut Joseph, l'aîné qui fut tout particulièrement chéri. Sans vouloir porter un jugement sur les sentiments, d'ailleurs très légitimes, d'un père, Il est permis cependant de constater que Jacob eut le tort de se montrer injuste. Si coupable qu'aient été les grands frères de Joseph, on ne saurait les rendre entièrement responsables du drame dont Joseph fut la victime. Jacob aussi fut responsable, par sa partialité, et Joseph également, par son énervante vanité. Quel détestable orgueil chez ce petit jeune homme de dix-sept ans ; sans parti pris, qu'il est peu sympathique cet enfant gâté ! Voyez-le s'en allant rapporter à son père tous les faits et gestes de ses frères et surtout, entendez-le raconter ses songes, celui des gerbes qui se prosternent et celui des astres qui rendent hommage à... lui, Joseph. Pauvre Joseph ! mais aussi, pauvres frères ! Ils commencent par être jaloux du cadet mieux vêtu qu'eux, ils sont jaloux de ce frère, ils finissent par le prendre en grippe, ils le détestent, Ils le haïssent. Or, haïr son frère est quelque chose d'horrible. C'est un crime et l'apôtre Jean a ou raison d'écrire : Celui qui hait son frère est un meurtrier. (1 Jean 3 : 15.)

La conduite des frères de Joseph nous montre combien la parole apostolique est vraie. On frémit en pensant que, sans l'intervention de Ruben, Joseph, envoyé par Jacob pour s'enquérir de l'état de ses troupeaux, aurait été - c'est épouvantable - mis à mort par ses frères comme une bête, malfaisante ! Grâce à Ruben donc, Joseph eut la vie sauve, il fut vendu à des marchands ambulants qui l'emmenèrent en Egypte où nous le retrouverons. Et Jacob, auquel ses indignes fils rapportèrent une tunique ensanglantée, pleure, de toutes les larmes de ses yeux, la mort de l'enfant qu'il chérissait et qu'il croyait perdu...

Cette vieille histoire est toujours actuelle car le coeur humain n'a pas changé. Surveillons les plus secrets mouvements de nos coeurs afin que nos actions soient belles.

Joseph vendu par ses frères (G. Doré)