A la fin du premier siècle paraissait un quatrième évangile, attribué, ainsi qu'on l'a dit ailleurs, à l'apôtre Jean. Sans doute peut-on disputer certains passages à l'auteur principal. Mais les tentatives récentes qui cherchent le dernier évangéliste en un autre Jean - dit... « Jean l'Ancien » - n'emportent pas l'assentiment; la tradition plus sûre et le plus probable vaut mieux que le plus « neuf » : on retiendra donc aussi Ephèse comme le lieu où fut composé l'ouvrage.
On a parfois pensé que l'original de l'évangile de Jean avait été rédigé en araméen, mais cette supposition n'a finalement pas été retenue, encore que la pensée de l'auteur apparaisse nettement sémitique.
Par contre, la discussion sur l'ordre actuel du texte n'est pas close. On a songé à un déplacement accidentel de certains feuillets, ce qui expliquerait qu'il soit difficile parfois de suivre l'enchaînement des idées : ainsi du chapitre 5 qui se lirait plus facilement 8 près le chapitre 6; mais à vrai dire l'hypothèse ne trouve aucun appui dans les manuscrits que nous possédons. Quant au contenu, la plupart des exégètes contemporains admettent que n'appartiennent pas à l'oeuvre primitive de Jean : le récit de la femme adultère (chap. 7, vers. 53; chap. 8, vers. 11), le passage attribuant à un ange les vertus curatives de la piscine de Bézatha (chap. 5, vers. 4), non plus que le chapitre final.
Comme ceux des Synoptiques, l'auteur du quatrième évangile témoigne en insistant lui aussi sur la Passion et la Résurrection : il joue lui-même un rôle discret dans la première, et bénéficie certainement d'une expérience personnelle du Christ ressuscité.
Cependant ce livre présente dans son ensemble une différence considérable avec ceux de Matthieu, Marc et Luc; ce qui avait amené les anciens à appeler l'oeuvre johannique : « L'évangile spirituel ». En effet, on découvre ici une dominante doctrinale très affirmée : non seulement les discours du Christ y sont plus nombreux et plus insistants, mais la présentation de ses actions concrètes est, elle aussi, tout entière ordonnée à l'enseignement.
La vie publique du Christ se présente comme un véritable drame qui se joue entre la lumière et les ténèbres.
Les miracles - au nombre de sept - sont des signes qui invitent à aller au-delà du sensible et mettent en jeu un certain symbolisme. C'est que le monde a pris un sens nouveau de par l'Incarnation. Avant celle-ci, les réalités matérielles avaient une valeur en elles-mêmes dans leur ordre; la venue de Jésus parmi les hommes leur en donne une autre : elles deviennent en outre les signes d'une réalité supérieure. Ainsi la lumière du jour était magnifique, et Jésus accordait un bienfait remarquable à l'aveugle-né en la donnant à ses yeux; mais elle était aussi le signe d'une autre lumière que Jésus apportait à tout homme : la connaissance du Père. Le pain était nécessaire à la vie humaine, et Jésus le multipliait en faveur des foules qui le suivaient; mais il disait peu après : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair pour le salut du monde. »
Faut-il ajouter que certains ont cru trouver dans les premiers chapitres un exposé sur les différents faits rapportés au livre de l'Exode : l'agneau pascal, le serpent d'airain, la manne, l'eau du rocher..? Rien n'interdit de les suivre, encore qu'une telle interprétation nécessite une rare subtilité.
On s'aperçoit plus aisément que la vie du Christ n'est plus ici présentée, comme dans les synoptiques, moulée à l'intérieur d'un cadre artificiel qui pousse à enfermer toute l'activité évangélique en une année : Jean, quant à lui, rapporte soigneusement trois Pâques, ce qui implique une durée d'environ deux ans et demi pour le ministère public de Jésus.
On se représentera volontiers le dernier survivant des apôtres, dans une petite maison du quartier juif d'Ephèse, rédigeant, peut-être en compagnie de la Vierge, ses souvenirs longuement médités. Ultime représentent d'un âge révolu, il apportait ainsi à la deuxième génération chrétienne un évangile fait à la fois de témoignage et de contemplation.
J. DHEILLY
Professeur à l'institut catholique de Paris
En ce temps-là, la Bible No 81