Aujourd'hui Et-Tell, l'antique Aï, dresse encore au-dessus d'une ravine rocailleuse de massifs remparts vieux de 5 000 ans. Non loin du Jourdain, à quelques lieues de Jéricho, la ville royale cananéenne pouvait être tout naturellement convoitée par Josué car elle contrôlait une vaste région au nord de Jérusalem. « Trois mille combattants y montèrent donc. Mais, tournant le dos aussitôt, ils furent battus par les hommes de la ville » (Josué, chap. 7, vers. 4-5).
Pourtant, après une cuisante défaite, châtiment d'une désobéissance aux ordres de Yahvé, les guerriers d'Israël finiront par prendre la cité par la ruse et firent subir à son roi malheureux un sort tragique: « Josué brûla la ville et en fit un tombeau de terre pour toujours. Quant au roi d'Aï, il le pendit à une potence jusqu'au soir, puis on le jeta à l'entrée de la ville et l'on érigea sur lui un grand monceau de pierres qui existe encore à ce jour» (Josué, chap. 8, vers. 28-29).
Que les archéologues, occupés depuis des années à étudier les vestiges d'Aï, n'aient pas retrouvé ce tumulus est peu étonnant. Mais ils n'ont pas même retrouvé la moindre trace de la mise à sac d'Aï par Josué, ce qui l'est d'avantage. Bien plus : tout porte à croire que cette ville, habitée en l'an 3000 av. J.-C., fut désertée dès le XXVè siècle, c'est-à-dire bien avant l'arrivée des Israélites en Canaan, que l'on situe dans les premières années du XII, siècle avant notre ère... Mais, sur ce point, l'histoire«scientifique» est-elle si sûre d'elle? Aucun historien n'en donnerait absolue garantie.
C'est de 1933 à 1936 qu'eurent lieu les premières fouilles sur le site d'Aï, dirigées par Mme Marquet - Krause, jeune universitaire israélienne d'origine française. Très vite, celle-ci se rendit compte que la cité était restée en ruine pendant plus de 1300 ans, dès 2500 av. J.-C. jusqu'à la période des Juges (nettement après l'an 1200 av. J.-C.). Une mort brutale, alors qu'elle n'avait pas encore atteint sa trentième année, empêcha Mme Marquet Krause de poursuivre ses travaux. Mais, en 1964, des archéologues américains décidèrent de sonder à nouveau les restes de cette cité énigmatique.
Une triple ligne de remparts
Ils établirent d'abord qu'entre 3000 et 2500 av. J.-C. (période du Bronze ancien) Aï était une immense cité couvrant largement le promontoire rocheux que l'on connaît (1). Cette position forte naturelle semble avoir pourtant été jugée insuffisante par les habitants d'alors, puisqu'ils édifièrent une triple ligne de remparts, épaisse de plus de 15 mètres au total, en pierres de grande taille, et d'un travail très soigné. Ces fortifications protégeaient entièrement une ville d'une superficie stupéfiante pour l'époque : elle couvrait dix hectares.
Au sommet du tell se dressait une vaste citadelle, peut-être palais royal, solidement fortifiée aussi. Une grande salle de 20 mètres de long était ornée de colonnes de bois, sans doute destinées à supporter la charpente.
Légèrement en contrebas, au sud-ouest du palais, un immense tas de pierrailles intriguait les archéologues. Mme Marquet - Krause déjà avait décidé de percer le mystère de cet amoncellement. Un mois de travail fut nécessaire à près de cent ouvriers pour en venir à bout. « C'est alors, écrit Mme Marquet - Krause, qu'un sanctuaire vieux de 5 000 ans, associé à une citadelle, s'offrit à nos yeux, avec son mobilier cultuel répandu sur le sol. » Le sanctuaire ainsi dégagé se composait de trois pièces en enfilade, jonchées de coupes et de magnifiques objets d'ivoire, qui révélaient la prospérité de la cité.
En 2500 avant J.-C., Aï, bien retranchée derrière ses remparts, semblait donc appelée à un avenir florissant. Mais l'histoire en décida autrement : un ennemi inconnu pénétra dans la place, incendia maisons et palais, déporta ou massacra les habitants, et partit s'installer ailleurs; peut-être à Béthel toute proche.
D'humbles vestiges témoignent d'une lutte sans merci. On a retrouvé notamment, non loin d'un trou béant dans le mur du « palais », un solide pilon de silex, apparemment jeté par un défenseur à court de munition, sur la tête des assaillants.
Puis, comme nous l'avons dit, Aï resta pendant treize siècles une ruine immense, que recouvrirent progressivement le sable et les gravats, tandis que les remparts cyclopéens se démantelaient peu à peu.
Un simple village protégé par Béthel
Plusieurs décennies semble-t-il après la conquête de Josué, alors que la période dite de l'Age du Fer est bien amorcée, quelques familles s'installent sur les décombres. S'abritant derrière les restes des remparts de l'Age du Bronze, elles se contentent d'occuper le sommet du tell. Leurs maisons sont de construction simple : rectangles divisés en pièces à dormir ou en magasins par quelques cloisons. Le sol est en terre battue. Seules, quelques rares demeures sont dotées d'un étage. Si les bâtiments sont de bonne qualité, et quelques objets d'une beauté exceptionnelle comme par exemple un brûle-parfum de grande taille - rien n'indique qu'Aï ait été alors particulièrement prospère. Ce devait être un petit village dépendant, pour sa sécurité, de la ville de Béthel.
En l'an 1 000 avant notre ère, commence l'abandon définitif de la colline mystérieuse. Le site ne disposait, et ne dispose encore que d'une maigre source. Aussi, les citernes d'eau de pluie étaient-elles nombreuses. Il suffit probablement d'une sécheresse prolongée pour faire fuir les habitants. .
Les savants qui se sont penchés sur le passé de la cité avancent donc qu'Aï n'était que ruine déserte lorsque Josué pénétra en Canaan. Cependant la Bible, non moins formelle, nous décrit minutieusement la bataille.
L'auteur sacré n'est-il pas victime d'une équivoque?
Le mot « Aï » est peut-être la clef du mystère
Certains ont remarqué qu'Aï, en hébreu, signifie : ruine. « Cette cité était abandonnée comme telle, disent-ils, et Josué lui donna le nom de l'état qu'elle présentait alors. » Il faudrait supposer que le récit biblique a seulement cristallisé, autour d'un site précis et bien spectaculaire, des combats qui se sont déroulés dans cette région. D'autres proposent même un transfert qui paraît assez vraisemblable.
Auprès d'Aï, se dressait Béthel, très puissante à l'époque. Or à Béthel on a retrouvé les traces d'un violent incendie dont la date, selon les experts, pourrait correspondre à celle de l'invasion des Hébreux. Cependant le livre de Josué ne fait nulle mention de la prise de Béthel. Une conclusion s'imposerait : Béthel et la position d'Aï, qui logiquement en dépendait , sur le plan militaire, seraient confondues sous un même vocable.
Peut-on tirer une certitude de cette hypothèse ? Sûrement pas. Une fois de plus l'histoire sainte et l'histoire « scientifique » se trouvent confrontées sur des données qui ne sont pas de même nature : celle-ci s'attache à l'événement et celle-là aux enseignements qu'il en faut retenir.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 18 pages II-III.