L'ATHENES PAIENNE QUE VISITA PAUL

 

Dans sa première épître aux Corinthiens (chap. 1, vers. 19), écrite pendant son séjour à Ephèse, Paul citera un passage d'Isaïe (chap. 28, vers. 14) annonçant l'écroulement de la « sagesse des sages » et la mise au rebut de « l'intelligence des intelligents ». N'est-ce pas aux Athéniens qu'il pense? Savants et vifs, mais païens aimablement sceptiques, libertins et railleurs (ACTES, chap. 17, vers. 32), il convenait à leur intelligence de connaître du « dieu inconnu », mais répugnait à leur sagesse d'accepter la vie sortant du tombeau. Qu'eût-ce été de la « folie de la croix »!

Orgueilleuse cité que visite l'Apôtre en l'an 49 est privée d'arsenaux et de murailles, mais rayonne de tous les feux de l'esprit dans le monde soumis par le glaive de Rome, et qui pourtant demeure fasciné par le plus illustre des vaincus. « La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur. »

Au plan le plus noble, le prestige d'Athènes est Intact; et, si de nombreux chefs d'oeuvre ont été prélevée sur la masse par des pillards latins, empereurs, rois, mécènes comblent de leurs libéralités les vides, en sorte que cette Ville du 1er siècle n'a guère à envier aux splendeurs du grand siècle de Périclès.

Le lieu est habité depuis des millénaires : on a récemment découvert, au flanc de la colline de l'Aréopage, des tombeaux princiers antérieurs au XIVe siècle av. J.-C. et les origines de la légende d'Érechtée, moitié homme, moitié serpent, héros qui fut « un des premiers rois » d'Athènes, se perdent dans la nuit des temps. A ce souverain fabuleux revient d'avoir institué le culte d'Athéna qui paradoxalement symbolise à la fois la sagesse et la guerre, et devra partager le patronat de la cité avec Poséidon, dieu des mors. Depuis, plus ou moins dégauchis pour convenir à un peuple raffiné, tous les dieux antiques ont été accueillis dans cet Olympe de la terre.

Paul a vu leurs adorateurs gravir l'Acropole, le rocher-forteresse qui dresse à 166 m en-dessus du niveau de la mer les marbres de ses temples blondis nous le soleil d'Athènes. Par les Propylées, entrée monumentale où veille dans l'allée sud Athéna Niké, la « victorieuse », Ils pénètrent sur les quelque trois hectares couverts de monuments aux harmonieuses colonnades, et suivent la vole sacrée jusqu'au Parthénon, la merveille des merveilles, Issu des génies combinés de Périclès et de Phidias, qui abrite la grande statue d'ivoire et d'or d'Athéna Parthénos, alors conservée comme le sont nos modernes ordinateurs : dans un air artificiellement humidifié.

Au reste, plutôt que le Parthénon, c'est le délicat Erechtéion, à l'ouest de la vole sacrée, qui offre surtout son décor aux célébrations solennelles et aux mystères. Dans ce temple-tombeau où l'on vénère les héros antiques (Cécrops, le tout premier roi mythique, aux côtés d'Erechtée), Poséidon a fait surgir « une mer » on peut en effet entendre dans ce lieu saint, le bruit des flots, quand souffle le vent du sud : grâce à l'artifice des prêtres ou à l'orientation de la construction.

Statues, autels et temples divers, dont celui qui fut consacré à Rome en l'an 27, se partagent le reste de l'aire sacrée qui domine, au sud, le théâtre de Dionysos : on y joue encore Sophocle au temps des grandes dionysies, qui furent jadis à l'origine de l'admirable essor de la tragédie grecque.

A l'ouest de l'Acropole, un autre sommet rocheux dédié d'abord à Arès, dieu de la guerre, qui sera identifié au Mors des latins, donnera son nom au Grand Conseil qui siégeait là au temps des archontes : l'Aréopage. Sous la domination romaine, cette assemblée a conservé ses pouvoirs judiciaires et exerce un contrôle, d'ailleurs fort libéral, sur les Innombrables doctrines qui alimentent la vie intellectuelle de la cité. C'est à ce titre que Paul comparaîtra devant elle. Mais à cette époque, elle siège à l'Agora : sous le portique royal dont il ne reste plus une pierre, et où Socrate rencontrait ses amis. Vaste place bordée de monuments, de colonnades, d'édifices, cet Agora reste un centre actif de la vie publique, encore que l'Assemblée du peuple, elle, ait depuis plusieurs siècles émigré sur la petite colline de la Pnyx, au sud-ouest.

La procession des grandes Panathénées, qui déroulait ses fastes de la colline du Céramique, au nord-ouest de la ville, à l'Acropole, faisait ici une importante station, pendant laquelle la statue de l'Athéna de l'Erechtéion était revêtue d'un peplos neuf tissé pendant l'année. Et toutes les magnificences païennes s'étalent à chaque occasion dans cette enceinte peuplée elle-même de temples, de théâtres et d'autels.

De toutes les villes où Paul a proclamé l'Évangile, Athènes, la subtile, sera d'abord la plus réticente :quelques Athéniens seulement se rallièrent d'emblée à la foi nouvelle, parmi, lesquels Denis, un des Aréopagites (chap. 17, vers. 34), qu'un souci de prestige !dent!fiera à tort au Moyen Age avec le premier évêque de Paris.

Andrée NORDON

 

En ce temps-là, la Bible No 85

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