VIT DANS L"OEUVRE DE SES PSALMISTES
Les événements politiques fournissent assez fréquemment aux chants de triomphe ou de détresse, qui deviendront prières de louange ou de supplication, le tremplin ou la forme de leur inspiration. Ainsi le psaume 44 (45 de l'hébreu) qu'on devait interpréter plus tard dans un sens messianique, fait sans doute allusion d'abord au mariage d'un roi - Jéroboam II ou Achab? - avec une princesse de Tyr. Les détails donnés sont ceux du cérémonial de cour usité en pareille circonstance. Les psaumes 1 3 (héb. 14) et 105 (héb. 106) parlent du rapatriement des captifs :
« Sauve-nous, Seigneur, notre Dieu, rassemble-nous du milieu des nations. » Ici et là, on entend le peuple juif formuler le voeu ardent de retrouver son unité. Tandis que l'ensemble du psaume 50 (héb. 51) semble avoir été composé à l'époque d'Ézéchiel, le verset 20 demande à Dieu la reconstruction des murailles de Jérusalem : il s'agit donc d'une addition faite lors du retour de l'Exil, avant la venue de Néhémie.
On touche ici du doigt la mentalité et les méthodes des contemporains. Pour eux, le chant sacré est l'expression actuelle des sentiments et des désirs de la communauté. Lorsque ceux-ci se trouvent modifiés par les circonstances, la communauté introduit des changements dans le texte afin d'en faire à nouveau une prière actualisée , c'est ce qu'on appelle une « relecture du texte ».
On décèle ce même procédé dans le psaume 21 (héb. 22) :
composé sans doute à l'époque de Jérémie, il est originellement la prière d'un Israélite persécuté, puis délivré d'une épreuve terrible. La communauté du retour, songeant à la destruction de la cité de David et à l'exil babylonien, suivis du décret libérateur de Cyrus, fait sienne cette prière; mais en même temps elle en élargit les perspectives d'avenir : les versets 28-32, ajoutés alors, visent la conversion des païens et le règne universel du Dieu d'Israël.
Quant au psaume 82 (héb. 83), il envisage une opposition généralisée des païens à l'encontre de Jérusalem. L'état de choses semble bien être celui qui a été défini au temps de Néhémie(1), et où tous les voisins de la communauté du retour s'opposent violemment aux projets du réformateur.
Les soucis de la paix
C'est surtout à propos des fonctionnaires ou notables siégeant au tribunal que se trouvent évoqués les faiblesses ou les vices de la vie sociale. Les prophètes ont souvent fulminé contre l'injustice des sentences rendues - les psalmistes n'agissent pas autrement « Jusqu'à quand jugerez-vous avec iniquité?» Psaume 81 (héb. 82). Sans doute les cris de vengeance du psaume 57 (héb. 58) ne doivent-ils pas être pris à la lettre : ce même thème littéraire est connu par la littérature syro-phénicienne - cependant, voilà qui confirme l'existence trop fréquente de juges aux procédés indignes. On trouve même parfois un reflet de la situation économique. C'est le cas notamment dans le psaume 64 (héb. 65) : il fait penser à une année qui s'annonce particulièrement fertile,aux pluies abondantes ; elle permettra une magnifique récolte de blé et donnera aux troupeaux des prés verdoyants.
Le psaume 14 (héb. 15), de son côté, fait allusion au prêt à intérêt. Rappelons que le Deutéronome (chap. 23, vers. 20-21 ) précisait qu'entre Israélites il ne devait pas exister. Hélas! il n'en allait pas toujours ainsi. Et le psalmiste de faire une condition du respect de la Loi sur ce point précis, pour habiter sur la sainte colline de Sion.
Les hasards de la guerre
Les vicissitudes de la guerre font l'objet de nombreuses mentions : victoires et défaites ont une importance considérable pour la collectivité et déterminent remerciements ou supplications. La crainte d'une coalition étrangère s'exprime par exemple dans le psaume 2; probablement peu après le schisme. Les victoires royales sont l'objet d'actions de grâces dans les psaumes 17, 47, 75 (héb. 1 8, 48, 76). Le psaume 17 (héb. 18) garde peut-être l'écho du règne heureux du roi Josias (Vlle S. av. J.-C.) ; le psaume 47 (héb. 48) celui de l'échec de la coalition de Damas et de Samarie contre le roi Achaz; le psaume 75 (héb. 76) de l'aventure malheureuse de Sennakérib venu assiéger Jérusalem en 701.
Le souvenir des désastres est beaucoup plus fréquent; il semble toutefois que le motif général soit celui de la ruine de Jérusalem en 586 : ainsi des psaumes 43, 59, 77 et 79 (héb. 44, 60, 74 . 79 et 80).
« Dieu, les nations ont envahi ton héritage... ils ont fait de Jérusalem un amas de ruines. »
Le célèbre psaume 136 (héb. 137) est un chant d'exil :
« Au bord des fleuves de [Babylone nous étions assis, pleurant, en nous souvenant de Sion. »
Les mystères de la foi
Mais ce sont bien sûr avant tout les problèmes religieux qui tiennent la vedette. Si le transfert de l'Arche, dans les psaumes 23 (héb. 24) et 67 (héb. 68), n'est guère que la description d'une procession d'anniversaire, par contre les relations avec les païens constituent une question toujours actuelle (psaume 9).
Les rapports de la liturgie avec les sentiments intérieurs sont passés des oracles d'Ézéchiel dans le psaume 50 : « Le sacrifice selon Dieu est une âme brisée. »
Le bonheur des méchants et le malheur des justes posent durant toute l'histoire d'Israël le point d'interrogation majeur (Ps. 36, 48, 72; 37, 49, 73 de l'hébreu) et ménagent à beaucoup une tentation : « Pour un peu je perdais l'équilibre ! » On constate encore qu'à partir de l'Exil surtout, la création est un sujet de recherche très préoccupant : psaumes 8, 32 (héb. 33), 103 (héb, 104), et que, pendant les derniers siècles de l'ère ancienne, l'étude minutieuse de la Loi est à l'honneur : psaumes 1 8 (héb. 19), 118 (héb. 119). « Le commandement du Seigneur est lumière, il éclaire les yeux. »
Il va de soi que l'espérance messianique enfin se manifeste dès les chants les plus anciens attribués à David jusqu'à ceux « du règne universel » composés après l'exil(2).
Faut-il ajouter qu'aujourd'hui les chrétiens lisent dans ces psaumes, à l'arrière-plan, l'annonce de la personne et du mystère du Christ, «fondateur de l'Église»?
par Joseph DHEILLY
professeur à l'institut catholique de Paris
1. Voir les «livres du retour» . Esdras et Néhémie, No 33 et 34
2. Voir page IV des No 45 et 47.
En ce temps-là, la BibleNo 48 pages I-II.