L'ouvrage participe de plusieurs genres littéraires. Les premiers chapitres tiennent du genre historique au sens large ou du midrash (histoires édifiantes des chapitres 1 -6 ou 14), non sans avoir parfois recours au genre psalmique; vient ensuite le genre apocalyptique (chap. 7-10), puis la prophétie (chap. 11 -12). On le voit: ce texte présente un mélange extraordinaire de styles. Il en va de même de la langue : tandis que certains chapitres sont écrits en hébreu (chap. 1 - chap. 2, vers. 4 et chap. 8-12), d'autres le sont en araméen (chap. 2, vers. 4 - chap. 7, vers. 28), et certaines sections ne nous sont parvenues qu'en grec (chap. 3, vers. 24-90 et chap. 13-14). Enfin le texte témoigne de remaniements nombreux, et certains passages de la traduction grecque ne se rencontrent pas dans l'hébreu.
Pareille bigarrure fait penser que le livre a été composé à partir de morceaux déjà existants - la section narrative - auxquels l'auteur final a ajouté les sections de style apocalyptique.
A quelle époque ce dernier a-t-il écrit?. Les allusions du chapitre 11 aux monarchies hellénistiques d'Égypte et de Syrie orientent vers le IIe siècle avant notre ère, et la mention, précise et détaillée, de la persécution permet de préciser que l'oeuvre fut achevée au temps d'Antiochus IV Épiphane, peu avant sa mort, donc vers 165 av. J.-C.
L'auteur veut aider les Juifs fidèles en leur mettant au coeur l'espérance. Pour cela, il jette un regard sur le passé et lit dans l'histoire le dessein de Dieu et la manifestation de sa Toute-Puissance. Bien des empires païens ont existé : babylonien, perse, gréco-macédonien. Ils ont soumis momentanément le peuple juif; mais celui-ci était « sauvé », tandis qu'ils disparaissaient eux-mêmes. Un jour viendra où le Royaume de Dieu, déjà en marche, les remplacera définitivement; bientôt le persécuteur actuel lui aussi disparaîtra (chap. 11). Il suffit d'attendre.
Seul importe l'enseignement religieux
« Vaut-il de sacrifier ses biens et même sa vie ? » se demandent les « maquisards de Dieu » qui ont répondu à l'appel des Maccabées.
L'auteur du livre de Daniel répond : « Oui, car les justes ressusciteront, pour faire partie du Royaume des Saints, que le « Fils de l'homme » viendra établir. »
Il ne faut pas oublier, en lisant ces pages extraordinaires, qu'il ne s'agit pas là d'une oeuvre d'historien. Certains passages prennent bien sûr prétexte d'une rétrospective historique, mais c'est avec le souci dominant de dégager l'enseignement religieux qui seul importe. En outre, à travers les perspectives anciennes aménagées par l'auteur, c'est l'événement actuel qui est recherché et que le lecteur doit découvrir. Est-il écrit qu'au temps de Nabukodonosor, on voulait faire manger à Daniel et à ses compagnons des aliments défendus par la Loi ? C'est que le roi Antiochus exigeait aussi que les Juifs mangent de la viande de porc. La constance de Daniel se manifeste-t-elle dans le refus d'adorer la statue d'or de Nabukodonosor ? L'Épiphane ordonnait aussi qu'on rendît un culte à sa propre statue. Ici et là, constance et fidélité sont récompensées : Daniel est préservé du feu et des lions. Le Juif persécuté doit comme lui faire confiance à Dieu. Il a toujours le dernier mot.
On se souviendra enfin que le « Fils de l'homme » évoqué par Daniel se situe dans une ligne messianique parallèle à celle de la filiation royale davidique et que le Christ les revendiquera l'une et l'autre, comme celle du Serviteur souffrant et du sacerdoce selon l'ordre de Melkisédek.
J. DHEILLY / 68
Professeur à l'institut catholique de Paris
En ce temps-là, la Bible No 68