Après avoir fui Athènes, cette ville « vouée à l'idolâtrie », dont la SEULE vue enflammait son esprit de colère (ACTES, chap. 17, vers. 16), Paul va visiter la ville de la débauche : Corinthe, autre cité prestigieuse, capitale de la province romaine d'Achaïe, célèbre dès le Vle s. av. J.-C. pour son luxe et ses lieux de plaisir. C'est là pourtant qu'il fondera l'une des plus importantes communautés chrétiennes.
Fertile et bien irriguée, la plaine où s'éleva Corinthe fut habitée dès l'époque préhistorique, vers l'an 5 000 avant notre ère. Au début du premier millénaire, des colons doriens fondent la ville grecque au pied du mont que couronnera un jour une acropole : ce sont, dit la légende, une princesse d'Argos, Éphyra, et le brigand Sisyphe, fils d'Éole, dieu des vents, tué par le héros Thésée et condamné aux enfers a hisser éternellement sur le flanc d'une montagne un rocher qui sans cesse retombe. Au VIII, siècle av. J.-C., Corinthe fondera à son tour ses propres colonies : Corcyre (aujourd'hui Corfou), Syracuse, Potidée.
Située sur l'isthme qui relie le Péloponnèse au continent, entre ses deux ports : Lechaion, au fond du golfe qui débouche sur la mer ionienne donc l'Adriatique, et Cenchrées sur le golfe d'Égine, donc sur la mer Égée, la cité était florissante. On sait qu'aujourd'hui un canal creusé dans le roc permet une navigation ininterrompue du golfe de Corinthe à Athènes; mais les Grecs de l'Antiquité, eux, avaient déjà imaginé un ingénieux moyen pour passer de Lechaion à Cenchrées sans faire le tour du Péloponnèse : le « diolcos », large voie dallée, creusée de rainures espacées d'environ 1,50 m pour réduire les frottements, et sur laquelle on halait les navires par un système de glissière.
C'est du VI, siècle avant notre ère que date le temple le plus célèbre de Corinthe : le sanctuaire d'Apollon . Quelques-unes de ses 38 colonnes monolithiques d'ordre dorique sont parvenues jusqu'à nous. Mais on ne sait dans quel état ce rescapé de la cité archaïque se trouvait au temps de Paul.
Au VE siècle, l'essor d'Athènes freine quelque peu celui de sa voisine de l'isthme, et la renommée de ses ateliers supplante en bien des domaines celle des artisans ou ingénieurs de sa rivale; des céramistes notamment, sinon des chantiers navals. Le grandiose théâtre, qui pouvait contenir 18 000 spectateurs, date de cette époque: mais il fut remanié sous la domination romaine. Une inscription y évoque l'aventure fameuse d'Androclès, esclave livré aux bêtes et qui fut épargné par un lion dont il avait fait son ami. En 350 avant notre ère, Corinthe retrouve sa prédominance. Le « portique du Sud », l'une des plus vastes constructions de la Grèce antique, s'élève alors sur l'agora. Curieux édifice à deux étages, il abrite dans sa moitié sud des échoppes, et surtout des tavernes dotées de petits puits qu 1 servaient de glacières. On y a retrouvé des tables de marbre, des pois à vin, des coupes, des gobelets. Le second étage était distribué en appartements destinés aux délégués des cités-états qui en 337 se rassemblèrent dans la Ligue corinthienne, sous le patronage du roi Philippe de Macédoine. Les hôtes trouvaient donc dans ce véritable complexe touristique et commercial avant la lettre le gîte, la bonne chère et les distractions... A la même époque avait été édifié l'Asclépéion, temple du dieu grec de la médecine. Il était flanqué de l'Abaton, vaste salle où les malades passaient la nuit avec l'espoir de recevoir en songe la révélation du remède qui les guérirait; d'autres s'étendaient tout près de là, sur des bancs de pierre à côté de la fontaine de Lerne, associée aussi au culte d'Asclépios.
La nouvelle ville « fondée » par César
Sur le site de la cité antique, le touriste d'aujourd'hui, lui, ne trouve plus guère que des ruines romaines : en 146 avant notre ère, en effet, les armées de Rome, conduites par Lucius Mummius, prennent Corinthe devenue depuis une cinquantaine d'années le siège de la ligue achéenne, dernière tentative des Grecs pour reconquérir leur indépendance. Les légionnaires pillent la ville, la ravagent, l'effacent de la carte du monde. Ce n'est qu'en 44 av. J.-C. que César entreprend de fonder au même endroit une nouvelle cité : Colonia Laus Julia Corinthiensis, l'orgueilleuse capitale que connut Paul, et qui devra ensuite beaucoup de sa future splendeur à la générosité de l'empereur Hadrien.
Large voie bordée de portiques où s'ouvraient de nombreuses boutiques, la rue de Léchaion était la plus importante et la plus animée. Elle desservait notamment dans sa partie haute, proche de l'agora, sur sa rive ouest, un vaste marché et une basilique construite au 1er siècle: à l'est, des thermes, la monumentale « fontaine Pirène » dont la source débitait un mètre cube à l'heure, et le péribole d'Apollon, cour pavée où se dressait une statue du dieu.
Paul a pu voir aussi l'arc de triomphe de marbre, orné de chariots de bronze doré, qui, au terme de deux volées d'escaliers, débouchait sur l'agora romaine cernée par la basilique julienne et par le « bâtiment du sud-est » qui servait de dépôt d'archives. Le « portique du Sud », quant à lui, avait été détruit par Mummius, mais très exactement reconstruit selon le plan ancien; cependant les statues qui jadis ornaient par centaines sa terrasse avaient été emmenées en Italie par les pillards. Au centre de la belle place de deux hectares environ s'élevait le « bêma », tribune monumentale où le proconsul romain se présentait au peuple, et où Paul comparut devant Gallion (ACTES, chap. 18, vers. 12-17).
Deux cents ans après la fondation de l'Église de Corinthe, la ville fut saccagée par les barbares hérules, ravagée encore à la fin du IV, siècle par les Goths d'Alaric, et achevée par les Slaves au VIII,. Jamais elle ne s'en relèvera, et seule la puissante « Acrocorinthe », la ville haute, continuera à veiller durant tout le Moyen Age sur l'entrée du Péloponnèse.
Depuis 1896, les archéologues américains ont peu à peu reconstitué le décor où vivaient, au milieu de la société la plus frivole et la plus débauchée de l'empire, ces chrétiens à qui Paul adressa quatre épîtres au moins, dont deux ont été conservées.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 88