de leurs lois... et de leurs prêtres
La situation historique dans laquelle est élaboré le texte des Chroniques diffère beaucoup de celle au milieu de laquelle vécut l'autour des deux livres des Rois. Celui-ci écrivit sous le coup d'une grande catastrophe. La Chroniste, lui, bénéficie d'une période paisible pendant laquelle les conditions d'existence de la communauté juive sont stabilisées. L'autour prend le temps d'ordonner calmement ses données à l'enseignement qu'il veut laisser et que compléteront les livres d'Esdras et de Néhémie, rédigés dans le même esprit, si ce n'est par le même homme . Dieu ne se complaît pas seulement dans les grands desseins dont l'accomplissement s'apprécie aux mesures de l'éternité, mais sa Providence se manifeste pour favoriser ou châtier chacun selon son mérite. Sa loi n'indique pas seulement l' « esprit » dans lequel il faut vivre; elle a des exigences précises; mais elle incite aussi à l'adoration gratuite. Et les prêtres ou lévites sont chargés de veiller à ce que celles-là soient satisfaites, et celle-ci assurée.
Pour l'exposé de l'action de Dieu dans l'histoire des rois, les Chroniques se fondent entièrement sur les « livres des Rois ». Mais elles tendent à présenter un rapport étroit entre faute et châtiment : nul malheur sans faute, et nulle faute sans punition.
La cinquième année de Roboam, le pharaon Sesonq pille Jérusalem (11, Rois, chap. 14, vers. 25); le Chroniste relève que, dans la quatrième année de son règne, Roboam « avait abandonné la loi de Yahvé ». (28 Chroniques, chap. 1 2, vers. 1 ). Le roi Asa dans sa vieillesse tombe gravement malade (1er Rois, chap. 15, vers. 23); le chroniste ajoute que, dans sa guerre contre Baasha, Asa ne s'est pas confié en Yahvé et qu'il a même jeté en prison le prophète qui le reprenait (28 Chroniques, chap. 16, vers. 10). Josaphat s'était associé avec l'impie Okazias pour équiper une flotte de commerce à Ézion-Gaber (la moderne Élath) (le, Rois, chap. 22, vers. 49); le Chroniste remarque qu'un prophète le lui reproche et prédit l'échec de l'entreprise (21 Chroniques, chap. 20, vers. 37). Ozias doit déposer sa charge à cause de se lèpre, (2e Rois, chap. 1 5, vers, 5), la Chroniste dit pourquoi cette maladie : il s'est rendu coupable d'une faute rituelle (21 Chroniques, chap. 26, vers. 16). A l'inverse, Manassé, bien que mécréant, règne plus longtemps que tous les autres rois Judéens; les Chroniques en fournissent une raison : il s'est converti et humilié devant Yahvé de plus il introduit une réforme cultuelle.
On pourrait multiplier les exemples. Ils montrent combien se trouvent ici renforcées et durcies les thèses déjà professées par l'auteur des livres des Rois. Alors que ce dernier envisageait parfois à long terme la relation entre le crime et le châtiment, la Chroniste s'efforce de prouver que le jugement ou le salut a toujours atteint les coupables eux-mêmes. Sans doute, sur le plan strictement historique, les fondements d'une telle thèse soulèvent-ils bien des objections. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue l'enseignement fondamental : chaque, génération se trouve placée individuellement devant Dieu; chaque génération est responsable dans la personne de son « oint », de son roi.
Le Chroniste apporte ainsi sa contribution à l'un des problèmes les plus compliqués qui aient surgi à cette époque tardive : la part de chacun dans les relations avec Dieu.
Yahvé est le Dieu de son peuple; cela, on le savait depuis les temps les plus reculés. Mais dans quelle mesure un individu ou du moins une génération avaient-ils part à ces dons? Les livres de Sagesse se préoccuperont du problème dans des temps ultérieurs. Si la contribution du Chroniste à l'élaboration de sa solution n'est pas complètement satisfaisante, il a de toute manière fait progresser la pensée biblique vers une plus grande conscience de l'action immédiate de Dieu et de la responsabilité personnelle de ceux qui appartiennent à son peuple. Pour l'auteur des Rois, la faute essentielle est de ne pas marcher avec Yahvé, de ne pas lui avoir tout donné. Il estime que c'est l'ensemble des actes par lesquels Dieu a manifesté à son peuple sa volonté qui constitue la Tora, la Loi. Le peuple s'égare en refusant cette révélation de la volonté divine exprimée principalement dans le Deutéronome. Certes, le Chroniste ne méconnaît pas cette notion de la Loi, considérée comme une unité à comprendre de façon globale. Mais la plupart du temps celle Loi est par lui envisagée de façon très formelle, en particulier dans les nombreux cas où il est question d'un usage liturgique ou d'une prescription rituelle précise, Cette présentation risquerait même de faire passer la Loi pour une juxtaposition d'exigeantes minuties, si les autres livres, que nous connaissons, ne rectifiaient cette définition abusive.
D'autre part, le « choix » que Yahvé fit d'Israël parait quelque peu confisqué au profit de la seule Jérusalem, siège du sanctuaire unique, et de la tribu des Lévites qui célébraient la gloire de Dieu. Sans doute l'auteur supposait-il suffisamment assimilée la notion d'élection appliquée au peuple tout entier. et voyait-il dans ces élections fragmentaires des compléments, qui n'allaient pas sans impliquer, pour ces favorisés, une complaisance particulière de Dieu, et un certain couronnement de l'élection primordiale.
La nouvelle liturgie de la louange divine
Un des apports les plus originaux du Chroniste est enfin l'importance accordée à la louange divine qui fait partie intégrante de la vocation d'Israël, comme peuple de Dieu.
Ceci vaut aux lévites une certaine métamorphose que favorisent les circonstances : jadis chargés de transporter l'Arche, ils se sont vu confier, par David déjà, la charge de chanter le Dieu d'Israël (1 e, Chroniques, chap. 6, vers. 16 et chap. 1 6, vers. 4 et suivants). Depuis le transfert définitif de l'Arche à Jérusalem, ce rôle de « porteurs » est sans objet, et la fonction lévitique de louanges donne à la théologie cultuelle du Chroniste sa caractéristique : elle est orientée vers la joie et l'action de grâces. Il s'agit là, probablement, d'un reflet du courant de pensée prédominant dans le milieu sacerdotal auquel le Chroniste appartient.
On comprend que David, l'initiateur de la nouvelle liturgie (le, Chroniques, chap. 23 et suivants), fasse presque, dans ce texte, figure de second Moïse : comme celui-ci avait été chargé de réaliser le sanctuaire du désert dont Dieu lui avait fait connaître sur le Sinaï l'archétype, ainsi en va-t-il de David pour le Temple de Jérusalem, conçu par lui sous l'inspiration divine, et construit par Salomon.
La liturgie davidique s'épanouira d'ailleurs pleinement dans le second Temple, édifié après l'exil : celui OU est célébré le culte à l'époque, précisément, où écrit l'auteur des Chroniques.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la BibleNo 32 pages I-II.