La personnalité même de David domine tout le premier livre des Chroniques. Parce qu'il a connu un destin prodigieux, une vie aventureuse et tourmentée tant sur le plan social que moral et spirituel, ce personnage pleinement humain dans les triomphes comme dans les déboires apparaît comme l'homme « total » : celui qui rassemble en un seul la diversité d'une multitude. Certes ses vertus et même sa faute, que veut ignorer le Chroniste, atteignent une intensité grandiose, inaccessible au grand nombre. Mais ce guerrier farouche qui est aussi un « prêtre », cet homme d'action qui est aussi un poète, ce grand pécheur, modèle des repentis, reste pour tous un fascinant exemple, un de ceux que le temps ne saurait vieillir.
Du jour au lendemain, par sa victoire sur Goliath, le petit pâtre de Judée devint le héros de son peuple.
Aujourd'hui général de l'armée royale, acclamé par les foules, le protégé, l'ami du souverain, il est demain le hors-la-loi qu'on traque, bon à tuer à vue. Puis le chef de bande affamé des déserts et des montagnes devient le roi de tout Israël, et construit un empire.
Il pratique l'amour des ennemis à un degré rarement égalé, et pourtant, tous les lecteurs des livres de Samuel le savent, il est aussi l'exemple de la précarité de toute vertu humaine : la mesure de sa faute n'est dépassée que par celle de sa propre pénitence.
Dans son âge mûr et sa vieillesse, sa vie est une suite de drames familiaux : il voit l'un de ses fils en assassiner un autre; il est expulsé de son palais par ce fils rebelle, il erre sur les routes du désert de Judée. Il ne retrouve son trône qu'au prix de la vie de son enfant. Même sur son lit de mort il doit encore mater la rébellion.
Du sang sur les mains, la charité au coeur
Face à ces situations si tragiques et si diverses, il conserve une sorte d'aisance. Ce sont les sorts qui lui sont faits, souvent contradictoires, qui modèlent peu à peu sa personnalité : il est celui qui sait jouer de la harpe et manier la fronde; celui qui épouse une princesse ou devient un proscrit; celui qui contrefait le fou chez un prince ennemi ou se lamente sur la mort de son propre roi. Il compose des poèmes ou fait la guerre, réalise l'union des tribus turbulentes et leur donne une capitale. rêve de bâtir un Temple à l'Éternel, rend la justice,... et convoite une femme dans l'ombre; celui qui danse devant l'Arche, et celui qui pleure, en fuite, sur une colline. C'est un homme qui a du sang sur les mains et cependant la charité plein le coeur.
Il a poussé à l'extrême toutes ces expériences et leur a communiqué à toutes une qualité spirituelle qui n'appartient qu'à lui. C'est ce qui compte. Plus, finalement, que l'histoire qu'on peut faire de son règne : car très vite il ne restera pour ainsi dire rien de ses conquêtes militaires, et le royaume de Juda lui-même disparaîtra, fût-ce après quatre siècles. Mais l'élan qui a surgi du moindre de ses actes nous emporte aujourd'hui encore à la lecture de sa vie ou à l'écoute de ses chants, entendus à travers les psaumes.
Cet aspect, d'emblée positif, est le seul qu'ait retenu l'auteur des Chroniques. Mais l'Écriture est un tout et ne prive pas ses lecteurs de tous les temps de la part d'ombre de cette vie multiple, intensément vécue : le moment du péché, l'adultère qui entraîne le meurtre (2e Samuel, chap. 11)
Riche d'enseignement jusque dans sa faute
Par quel mystère ce juste, comblé de bénédictions divines, destiné à être l'ancêtre du Messie, a-t-il pu succomber à un tel égarement? Plus qu'elle ne s'intègre dans l'histoire de David, on dirait que cette faiblesse s'y superpose, comme pour servir une leçon que Dieu voudrait en outre donner : elle démontre que la vigilance est sans cesse nécessaire, même à un juste, et surtout à un roi, c'est-à-dire à qui détient le facile pouvoir de satisfaire ses passions.
Elle souligne aussi qu'un péché, eût-il les pires conséquences, peut être racheté par un repentir sincère : car cet écart d'un instant n'a pas plus dépossédé David de la bénédiction divine que le péché du veau d'or n'avait, dans le désert, frustré Israël des privilèges de son élection.
Par Dom Jacques Goldstain
En ce temps-là, la Bible No 20 page I. I