Deux lettres sévères de Paul écrites la même année

et probablement de la même région

 

Ces deux épîtres, dictées en 56 et alors que l'Apôtre se trouve en Macédoine n'ont guère de commun qu'une certaine sévérité, inégale d'ailleurs, envers les Corinthiens repentants et envers les Galates qui n'ont pas encore pris conscience de leurs égarements. cependant l'une et l'autre témoignent de la lutte constante que Paul dût mener non seulement pour conquérir, mais pour garder au Christ ses conquêtes.

A la suite de l'émeute des orfèvres et d'autres difficultés que ne précisent pas les Actes (chap. 20, vers. 1), Paul vient de quitter brusquement Ephèse, où fut écrite la 1re aux Corinthiens. Il est pour la troisième fois sur le chemin de « la Grèce » lorsqu'il adresse à ces mêmes correspondants le second texte que nous connaissons. Pour comprendre cette lettre, il importe de connaître la nature des relations quelque peu mouvementées qu'il a eues avec la communauté, depuis l'année précédente. La 2e épître canonique serait en fait la 4e aux Corinthiens On se souvient que la 1re aux Corinthiens, qui mentionne elle-même une lettre antérieure, avait été rédigée en mars 155. L'Apôtre avait peu après fait une visite rapide à Corinthe : sa « 20 » épître (chap. 12, vers. 14 et chap. 13, vers. 1) le laisse clairement entendre : « C'est la troisième fois que je vais venir chez vous. » Il pensait alors, en 55 , demeurer plus longuement dans la capitale d'Achaïe, mais un incident où son autorité fut ouvertement mise en question le décida à rédiger une lettre de remontrances particulièrement vigoureuse : « C'est, dit-il (20 aux CORINTHIENS, chap. 2, vers. 4), en grande tribulation et angoisse de coeur que je vous ai écrit. »

Certains auteurs pensent d'ailleurs que les chapitres 10 à 13 de cette deuxième épître canonique aux Corinthiens qui est en fait la quatrième de celles dont il est question, appartenaient à la semonce disparue. A la réception de celle-ci, la communauté avait décidé de sévir contre l'excité qui était le principal coupable de l'offense faite à Paul (cf. 20, chap. 2, vers. 6). Tite, envoyé par l'Apôtre à Corinthe, constate les faits et revient en Macédoine apporter à son maître la bonne nouvelle, qui est l'occasion de l'épître qu'on va lire et où les chapitres 10-13 se sont trouvés ultérieurement insérés.

Deux questions principales sont traitées dans ce texte : le ministère apostolique dans l'économie chrétienne et l'apologie personnelle de Paul.

L'Apôtre, collaborateur de Dieu, doit se montrer fidèle à sa vocation, et cela par toute sa vie, par ses souffrances comme par sa loyauté, par son désintéressement comme par son autorité. Bien que Paul pense à lui-même en écrivant ces lignes, c'est en même temps le portrait idéal de tout ministre authentique du Christ qu'il trace.

En outre, obligé par ses adversaires à se justifier, il n'hésite pas à faire « son propre éloge », c'est-à-dire à fournir la preuve de ce qu'il affirmait dans la salutation initiale : « Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu. » Aussi, après avoir, en face des judaïsants, affirmé la qualité de son ascendance et de son éducation juives, énumère-t-il les titres qui lui donnent le droit d'être reconnu au même rang que les Douze; il exposera donc les dangers courus au long de ses travaux apostoliques, et surtout les grâces spirituelles qui lui ont ouvert une extraordinaire intimité avec le Christ, sans du reste le dispenser de ses faiblesses humaines.

Très différente de la précédente, cette épître est singulièrement révélatrice de la personnalité de Paul.

C'est leur foi que risquent les Galates la fin de cette même année 56, toujours de Macédoine, l'Apôtre s'en prend avec raison aux Galates.

Si les Corinthiens se posaient des questions sur le plan moral et disciplinaire, et avaient mis en jeu l'autorité de Paul, les Galates, eux, sont menacés dans leur foi au Christ : ils ont abandonné une partie de l'enseignement reçu de Paul. Celui-ci, en l'affaire, n'a nul souci de ménager son amour-propre, mais il réagit violemment, car c'est le Christ qui est atteint. Voici les faits :

Des judaïsants étaient venus de Jérusalem en Galatie pour mener campagne contre « l'Apôtre des gentils » : aux nouveaux convertis, ils avaient affirmé, comme ils l'avaient déjà dit à ceux d'Antioche (ACTES, chap. 15, vers. 1 ), qu'ils ne pouvaient acquérir le salut par le seul baptême, mais qu'ils devaient en outre se faire circoncire et observer les prescriptions de la Loi de Moïse... Paul était loin, et ces gens venaient de la communauté-mère de Jérusalem; alors les pauvres Galates avaient cédé.

On imagine la tristesse et la fureur de leur père en Dieu lorsqu'il apprend cette défaillance. Il prend aussitôt la plume et, tantôt affectueux, tantôt véhément, il tente de reprendre la situation en main : « Je m'étonne, leur dit-il, que si vite vous vous détourniez de Celui qui vous a appelés dans la grâce du Christ » (chap. 1, vers. 6). Un peu plus loin : « 0 Galates insensés (anoètoi signifie à proprement parler : imbéciles, privés d'intelligence) qui a pu vous fasciner? » (chap. 3, vers. 1). Et il ira jusqu'à affirmer : « Vous êtes séparés du Christ... vous êtes déchus de la grâce... » (chap. 5, vers. 4).

A travers toute la lettre, le problème de la foi au Christ face à la Loi de Moïse est traité. Ici, ce sera le rappel d'un incident de parcours : Paul s'opposant lui-même à Pierre qui, dans la communauté d'Antioche, se laissait entraîner à ne plus manger en compagnie des païens convertis; là, une argumentation scripturaire qui manifeste le rôle secondaire de la Loi; ailleurs, une tentative pour revigorer le souvenir de l'ancienne affection des convertis pour celui qui les a ouverts à la foi : au temps où ils étaient prêts à s'arracher les yeux pour les lui donner (chap. 4, vers. 15) 1

Au cours de l'exposé fracassant, on rencontre des phrases que le chrétien ne saurait oublier, telle : « Dieu a envoyé en vos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie Abba, Père » (chap. 4, vers. 6) le rappel de la grande fraternité dans le Christ : « Il n'y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme... » (chap. 3, vers. 28) ; ou encore la bouleversante confession chrétienne : « ... C'est le Christ qui vit en moi » (chap. 2, vers. 20).

Au demeurant, tout s'apaisera. Et, quelques mois plus tard, dans l'épître aux Romains, Paul envisagera le même problème, mais dans le calme et la paix : la contestation passionnée deviendra l'exposé d'une thèse théologique.

J. DHEILLY Professeur à l'institut catholique de Paris

En ce temps-là, la Bible No 89

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