A consulter: Marie et Rome....
C'est sous le pontificat de Sixte III (432-440), 43e successeur de Pierre, que furent composées les admirables mosaïques de l'arc triomphal élevé dans l'église Sainte-Marie-Majeure à Rome. Le monument devait commémorer la victoire de l'orthodoxie sur la doctrine de Nestorius, patriarche de Constantinople, qui faisait une distinction maladroite entre l'homme et Dieu dans la personne du Christ, répugnant à attribuer à la nature divine du Verbe incarné ce qui est propre à la nature humaine. En conséquence, les nestoriens déniaient à la Vierge Marie le titre de « mère de Dieu », en grec Théotakos, pour ne reconnaître en elle que la mère de Jésus, né sous Auguste, en qui le Fils éternel avait « accidentellement » et « moralement » habité. En 431, le concile d'Ephèse condamnait cette hérésie. L'arc qui célébrait le « Fils de la promesse ». le Christ à la fois vrai Dieu et vrai homme, reçut le nom « d'arc éphésien ».
L'interprétation de certaines scènes que les mosaïstes du Ve siècle ont composées sur « l'arc éphésien » fut et demeure l'objet de controverses passionnantes et passionnées. Si tous admettent que l'intention des artistes et du pape, chargé de la liquidation des séquelles du concile d'Ephèse, qui ordonna les travaux, était d'affirmer la divinité pré-éternelle et intégrale de Jésus Christ, donc aussi la qualité de Marie Théotokos, les opinions divergent sur quelques-uns des arguments qu'ils ont voulu mettre en valeur. Les modifications apportées à l'édifice et la restauration imprudente du monument lui-même n'arrangent rien. Primitivement, l'arc que nous connaissons était l'arc absidial de la basilique, et sa décoration devait servir aux foules de prélude, facilement intelligible, à la conclusion qu'illustraient les mosaïques de l'abside. Or, celles-ci ont totalement disparu pour faire place à celles de Jacopo Torriti, terminées en 1295, dans la conque de la nouvelle abside désormais séparée de l'arc par un transept, et qui ne renseignent donc plus avec assurance sur l'iconographie d'origine. D'autre part, un « trou » important de la mosaïque ancienne de l'arc triomphal fut « bouché » par un sujet arbitrairement choisi, il y a une bonne vingtaine d'années.
L'ensemble de la décoration comporte quatre étages, ou registres. Les deux registres supérieurs sont reproduits dans ces pages; il conviendra de les garder sous les yeux ou en mémoire pour suivre utilement les explications proposées. Eux seuls posent un véritable problème.
La femme aux voiles sombres - Les sujets des registres inférieurs
Jérusalem, Bethléem, le massacre des saints Innocents, ne sont guère discutés; non plus que la partie centrale du registre supérieur où l'on voit le trône de la Majesté divine, avec la Croix et le rouleau aux sept sceaux de l'Apocalypse, entouré des symboles des quatre évangélistes, entre lesquels se dressent Pierre et Paul tenant en main les Livres de la vérité reçue d'En-Haut, qui s'opposent à tous les messages hérétiques inventés par les hommes.
Autour du thème principal du Christ-Emmanuel s'ordonne le « dict » tellement débattu, réparti dans les quatre scènes que l'on voit ci-dessus. Longtemps, I'exégèse officielle des mosaïques crut découvrir dans la femme assise, parée en princesse orientale (registre supérieur gauche), une Vierge de l'Annonciation. Et, dans le registre supérieur droit, la présentation au Temple; puis, à l'extrême droite, l'annonce faite à Joseph (MATTHIEU, chap. 1, vers. 20). On remarquera que la « princesse » qui serait la Vierge dans la première scène se retrouve dans les trois autres : en haut à droite, portant l'Enfant vers qui s'oriente le groupe des apôtres conduit par Pierre; en bas à gauche, assise à la droite de l'Emmanuel, alors qu'il trône sous la garde des anges et que deux rois mages lui apportent leurs présents; en bas à droite, dans le groupe qui fait face au groupe impérial mené par Jean-Baptiste désignant le Messie... Mais qui est alors la femme aux voiles sombres qu'un ange sépare de Joseph dans le registre supérieur droit, et assise à la gauche de l'Enfant dans le registre moyen gauche? On a songé à Anne la prophétesse, ou même à une Sibylle! Il y a cinq ans, N. A. Brodsky, spécialiste de l'imagerie orientale, proposait une réponse à la fois séduisante et savante, sous le titre « Iconographie oubliée de l'arc éphésien de Sainte-Marie-Majeure » ( - Éd. de Byzantion, Bruxelles. )
Elle emporte la conviction.
« Faisons confiance aux inspirateurs et exécutants des mosaïques, dont la représentation iconographique ne saurait que suivre la tradition iconographique et exprimer la pensée de l'époque » déclare Mlle Brodsky. Or, la pensée qui domine ce siècle, c'est celle de saint Augustin; en particulier à travers « La Cité de Dieu ». Dans cet ouvrage, inspiré par le sac de Rome par les Wisigoths en 410, et terminé quelques années avant le concile d'Ephèse où l'évêque d'Hippone allait se rendre lorsqu'il mourut, se trouve vigoureusement soulignée l'importance de « la promesse d'un fils », que Dieu fit à Abraham; promesse qui sera pleinement et définitivement accomplie avec la venue du Christ, né de Marie, dans la lignée du patriarche.
Dès lors, tout s'éclaire : la femme aux voiles sombres n'est autre que la Vierge; quant à la « princesse orientale », il faut voir en elle Sara, l'épouse d'Abraham, qui, selon les termes mêmes de saint Augustin, « représente la Jérusalem céleste, c'est-à-dire la Cité de Dieu ». L'une et l'autre sont « la mère du Messie ». Les artistes de l'arc éphésien ont donc rapproché leurs images, comme l'ont fait les commentateurs du passage de l'Apocalypse sur « la femme couronnée d'étoiles » et qui allait enfanter.
La lecture des images contestées devient ainsi lumineuse :
Au registre supérieur gauche : sur le seuil de sa demeure magnifiée, Abraham (à droite) accueille les trois messagers de la promesse (GENÈSE, chap. 18) dont l'un désigne Sara, ancêtre traditionnelle de tout « le peuple de Dieu », et vénérée comme telle par les mêmes anges dont l'un s'élève dans les cieux à la rencontre de la colombe, symbole de l'Esprit divin. Au registre supérieur droit : la récente et malheureuse restauration a placé Joseph à l'extrême droite, écoutant l'appel de l'ange; c'est la Vierge qui devait se trouver là, devant Gabriel, au jour de l'Annonciation (LUC, chap. 1, vers. 26 et suivants); et c'est à gauche qu'il faut chercher la levée du doute de Joseph, fiancé à Marie; l'un des trois anges éclaire « l'époux » de la Vierge, les deux autres désignent Sara qui présente le Messie attendu. Entre les deux groupes apparaissent les apôtres, qui iront au Christ, et le temple (de Rome) qui devient celui de la Nouvelle Loi, c'est-à-dire l'Église « où ne manquèrent pas les hommes spirituels dont la consécration est figurée parla tourterelle et la Colombe» (cf. livre 16 de la Cité de Dieu) placées à l'entrée.
Au registre moyen gauche : de part et d'autre du trône de l'Emmanuel, Sara, aïeule du peuple de Dieu, sa « mère » selon la tradition scripturaire, et Marie, sa mère au sens historique du terme, que désigne d'un doigt ferme l'ange placé derrière elle.
Au registre moyen droit: c'est encore Sara (à droite) qui apparaît aux côtés d'Abraham, entourée des trois anges, et témoignant de la divinité de l'Enfant, comme le fait le précurseur; derrière lui : l'empereur et le peuple de la nouvelle Alliance. C'est « l'alpha et l'oméga de la promesse divine rappelée par Matthieu et accomplie dans le Christ-Emmanuel », remarque N. A. Brodsky. Et il ne semble pas qu'il existe d'autre exemple de la Création artistique chrétienne où soient liés en un même espace pictural les thèmes majeurs de l'Ancien et du Nouveau Testament; où la filiation de l'un à l'autre soit exprimée comme ici dans l'essentiel.
L'arc de Sainte-Marie-Majeure illustre ainsi la parole de Paul aux chrétiens de toute origine, fils adoptifs partageant l'héritage du Fils unique : « Si vous êtes au Christ, vous êtes donc de la descendance d'Abraham, héritiers selon la promesse » (GALATES, chap. 3, vers. 29).
Henri MENJAUD
En ce temps-là, la Bible No 95
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