« potager» de l'État d'Israël
Fuyant la colère du roi Saül, David se réfugia « au désert d'Engaddi ». Étrange refuge que celui d'un désert! Aussi convient-il de préciser que si Engaddi peut être dite « au désert», elle est connue de tout temps comme une oasis de verdure, perdue, il est vrai, dans un paysage désolé, sur le rivage ouest de la mer Morte.
Jadis, Engaddi était une riche cité, célèbre pour ses vergers, ses jardins. Aujourd'hui, ce n'est plus que rocaille. Mais sur les coteaux avoisinants, une poignée de pionniers israéliens s'acharnent à défricher, mètre par mètre, une terre ingrate.
Seul point d'eau dans cette immensité, une source jaillit parmi les éboulis et tombe en cascade jusqu'à la côte, au milieu des roseaux et des tamaris, tandis que bouquetins et gazelles s'ébattent alentour. C'est cette source qui donna son nom à ce village perdu, puisque Engaddi signifie, pour les uns : « la source des eaux abondantes », ou, selon d'autres : « la source du chevreau ». La prospérité d'Engaddi, c'est elle aussi qui la fera, pendant plus de quatre mille ans, car Engaddi fut habitée depuis l'ère chalcolithique (4e millénaire av. J.-C.) jusqu'à l'époque byzantine.
Dès l'an 3300 avant notre ère, un sanctuaire y fut installé : une vaste cour entourée par deux bâtiments, et close d'une porte fortifiée; au milieu de la cour se dresse une petite structure ronde à laquelle les savants attribuent une signification religieuse, et dans l'un de ces bâtiments est creusé un foyer où s'accumulent cendres et ossements d'animaux.
C'est sans doute en ce sanctuaire que se réunissaient, lors des fêtes solennelles, bergers et villageois du désert de Judée et des oasis les plus proches.
C'est dans ces mêmes coteaux sauvages que, vingt-deux siècles plus tard, David cherchera un refuge pour échapper à la colère de Saül. Et ce sont les merveilles de ce lieu que chantera Salomon dans le CANTIQUE DES CANTIQUES (chap. 1, vers. 14) : il y poussait des camphriers, des bananiers,de sveltes dattiers. C'est de ces plantes qu'était extrait le henné dont les femmes usaient autrefois pour teindre leurs ongles et la paume de leurs mains.
Mais il semble qu'Engaddi dut sa renommée à la production non pas du henné mais d'un baume très recherché à l'époque : celui dont on oignait les rois. On fabriquait ce baume à partir d'une essence rare et précieuse extraite de l'opobalsamum, un arbrisseau de la famille du térébinthe qui ne poussait guère en Palestine qu'à Engaddi et sur les collines des environs.
Les découvertes archéologiques nous confirment qu'il s'agissait là d'un centre important de fabrication de parfums. On a retrouvé dans des cours d'habitations datant du règne du roi Josias (640-609 av. J.-C.) des poteries de toutes sortes : grands vases « pithoi » d'un mètre de haut, jarres, flacons à parfums, pots pour la distillation, bols, etc... Tous ces vestiges témoignent de l'activité à la fois agricole et industrielle de cette petite cité oubliée.
Quant aux vignobles dont Salomon chantera également l'excellence, un document de l'époque romaine rappellera aussi leur existence à Engaddi. Ces mêmes Romains, qui connaissaient la fécondité du sol de l'oasis, pourront y subsister, lors de l'insurrection juive, grâce aux récoltes locales.
Elle est aussi la « Cité des roses »
Aujourd'hui encore, l'abondance des eaux provenant de plusieurs sources dont la principale donne naissance à une importante chute de 300 m de haut permet la culture maraîchère; à telle enseigne que les légumes d'Engaddi sont réputés dans tout Israël. A ceux-ci s'ajoute la culture de dattiers, de bananiers et même de fleurs - principalement des roses. Un lieu si prospère et si riche ne pouvait laisser indifférents envahisseurs ou conquérants. Aussi, malgré son isolement, Engaddi ne fut pas épargné par la guerre. En 582 av. J.-C., Nabuchodonosor marche sur le royaume de Juda et Engaddi est envahi par l'occupant venu de Babylone.
Toutefois, les Perses, comprenant l'importance de cette petite cité exportatrice de produits précieux, entreprennent sa reconstruction. On a retrouvé une magnifique et solide demeure qui s'étend sur 500 ml. C'est un vaste complexe qui comprend des cours, des appartements, des ateliers et des magasins.
Au III, siècle avant notre ère, on édifie sur le site une puissante forteresse hellénistique autour de laquelle la cité se développe jusqu'à atteindre son apogée quelques décennies avant Jésus, sous le règne d'Alexandre Janneus.
Par la suite, les habitants préfèrent s'installer au pied des collines, non loin du rivage, où ils édifient un luxueux bain romain. Pavé de pierres sculptées et orné de chapiteaux doriques, cet établissement dénote un raffinement surprenant en ces contrées reculées.
Après l'époque byzantine, Engaddi sombrera peu à peu dans la nuit de l'oubli. Aujourd'hui, quelques hommes tentent de ramener la vie dans cette contrée du bout du monde. Y verra-t-on à nouveau couler le baume et croître la vigne sur les coteaux?
Préjugeant de la réponse, un projet de maison de repos est en voie de réalisation ; il tient compte du climat et de la présence de sources minérales d'eau chaude et sulfureuse. N'est-ce pas déjà à proximité d'Engaddi qu'Hérode agonisant se fit conduire dans l'espoir de guérir?
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 22 pages II-III.
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