On ne trouve aucune allusion aux moines juifs de la mer Morte dans l'Évangile, ni dans les autres livres du Nouveau Testament. Il vaut d'en faire remarque si l'on songe aux nombreuses convergences qu on peut relever entre la spiritualité évangélique et celle que révèlent les textes de Qumrân.
Ceux-ci, comme les évangiles et plus spécialement celui de Jean, soulignent l'affrontement dans le monde entre les ténèbres et la lumière, entre le bien et les forces du mal, entre l'action de Dieu et celle de Satan. dénommé Bélial dans les manuscrits de la mer Morte. Le vocabulaire du prologue du quatrième évangile se retrouve très largement dans la règle de la communauté et les hymnes récemment découvertes. L'une de celles-ci, notamment, reflète d'étonnante manière la vision de la « Femme revêtue du soleil et en travail d'enfantement » du chapitre 12 de l'Apocalypse.
La communauté de Qumrân accorde une grande importance aux purifications dans le Jourdain et aux repas rituels pris en commun qui remplacent plus ou moins les sacrifices offerts selon la liturgie du Lévitique, impossibles hors du Temple de Jérusalem. Ces rites semblent bien apparentés, de par une commune origine biblique, au baptême et à l'Eucharistie.
La vie conventuelle elle-même de ces cénobites du judaïsme implique : le partage des biens dans des conditions presque identiques à celles qu'établira la pratique de la toute primitive Église de Jérusalem (ACTES, chap. 4, vers. 32) ; un dépouillement effectif dans les déplacements apostoliques, presque en tous points conforme aux instructions données par Jésus aux Douze (MATTHIEU, chap. 10, vers. 9-11 ) ; la découverte d'une valeur spirituelle du célibat et de la chasteté, telle que le Christ dans Matthieu (chap. 19, vers. 12) et l'auteur de l'Apocalypse (chap. 14. vers. 4) la proclameront : le rejet de tout serment et la correction fraternelle, qui sont l'un et l'autre recommandés en Matthieu (chap. 5, vers. 33-37 et chap. 18, vers. 13-17).
Toutefois, à côté de telles convergences indiscutables, les divergences ne manquent pas. Relevons dans les mêmes textes : la rigidité avec laquelle est comprise l'observance du sabbat: une sorte d'obsession de la pureté légale et des interdits alimentaires ; un certain nationalisme théocratique qui n'imagine l'avènement du Règne de Dieu que par une guerre eschatologique où la victoire n'hésite jamais, jusqu'à la défaite de tous les ennemis de la secte. Or. l'Apocalypse (chap. 11, vers. 7-12), développant un thème bien proche, montre par exemple les « témoins de l'Agneau » d'abord tués et vaincus par « la Bête », avant que le souffle de vie ne les ranime et que la voix de Dieu ne les appelle au ciel.
Les manuscrits de Qumrân font aussi état d'une « Alliance nouvelle » (l'expression vient d'ailleurs de Jérémie, chap. 31, vers. 31 ). Mais elle n'est que la restauration de l'Alliance conclue entre Dieu et son peuple par l'entremise de Moïse, alors que l'Alliance scellée par le Christ est réellement neuve et convenue avec tous les hommes (ÉPITRE AUX HÉBREUX, chap. 8, vers. 6-13).
Le mystérieux « Maître de justice »
Enfin, héros du drame dont traite l'ouvrage appelé Commentaire d'Habacuc, est sans doute la révélation la plus surprenante qu'aient réservée les « Rouleaux » de la mer Morte. Ce personnage vénéré, dont les fidèles s'interdisent, par respect, d'écrire le nom, a été jugé, soumis à d'odieux traitements et, semble-t-il même, crucifié. De qui s'agit-il ?.. Diverses identifications ont été proposées, aucune ne s'impose. On sait seulement qu'il était prêtre, réformateur zélé et mystique ardent, adversaire résolu du sacerdoce officiel auquel il reprochait son mépris de la Loi et son impiété, il rompit avec le judaïsme administratif et le service du Temple, qu'il considérait comme souillé. Nombre de prêtres et de laïcs le suivirent. Entouré de ses fidèles, il s'installa à Qumrân et organisa cette communauté de « l'Alliance nouvelle » qu'il opposait à la « congrégation des hommes pervers ».
Il apparaît que la secte dont il était le chef subit à maintes reprises des persécutions sanglantes ; c'est au cours de l'une d'elles qu'il fut probablement mis à mort.
Le rapprochement avec Jésus a tenté certains commentateurs.
Mais, même si l'on n'aborde pas les subtilités d'interprétation de la doctrine, les différences apparaissent notables. Le Maître de justice était prêtre de la tribu de Lévi, Jésus appartenait à la tribu royale mais « laïque » de Juda. Le Maître de justice n'exerça guère son ministère qu'en Judée, alors que la majeure partie de celui du Christ se déroule en Galilée. Le Maître de justice semble avoir été surtout un docteur retranché dans sa science; Jésus était un Maître familier que chacun pouvait aborder. Le Maître de justice imposa une règle monacale à ses adeptes, et se montra dur pour les « impies » Jésus, lui, vécut en prédicateur populaire, parmi les pécheurs.
On ne peut donc retenir l'hypothèse d'une identité entre l'un et l'autre, pas plus qu'une dépendance directe entre la communauté de Qumrân et le christianisme primitif, malgré les parentés qui soulignent leur appartenance à une même époque, travaillée par un courant spirituel nouveau.
par Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 81