(à travers le troisième psaume)
Le psaume 3 est le premier psaume s'attachant à décrire la destinée humaine. Le titre est déjà très évocateur :Psaume de David quand il fuyait devant son fils Absalom. On y trouve tout à la fois la plainte, l'angoisse : « Oh 1 comme ils sont nombreux tous mes oppresseurs » le désespoir : « Ils disent qu , i 1 n'y a plus d'espoir, que Dieu m'a abandonné » et la révolte : « Tu ne peux pas me laisser aux mains de mes ennemis, tu dois briser les dents de mes ennemis. » Ainsi les ennemis de David, les ennemis du Juste, de celui qui se plaint à Dieu, sont considérés comme des bêtes féroces. Car il est vrai que souvent l'homme est un loup pour l'homme. On y trouve aussi la confiance du Juste en ce salut qui ne peut pas manquer de venir.
Absalom s'est révolté contre son père. Considérant peut-être que David était devenu trop vieux pour diriger le char de l'État, il a essayé de le remplacer mais d'une manière violente. Il a fomenté une révolte, et David a été obligé de fuir, entouré d'une poignée de fidèles.
Un fils rebelle...
D'après ce psaume : « lis sont nombreux ceux qui sont postés contre moi », on comprend que David a en face de lui une très forte armée. En effet, Absalom est jeune, il est décrit dans la Bible comme un beau jeune homme ayant de très longs cheveux. C'est peut-être un des premiers hippies de l'histoire, dans la mesure où, outre sa chevelure, il est un fils révolté contre son père, comme les hippies. Absalom est donc très populaire tandis que David, le vieux roi, n'a plus qu'une poignée de fidèles. On sait que Joab, malgré les ordres contraires du roi, tuera Absalom.
Cette histoire est donc une de ces tragédies que David a vécues, un des moments où, parvenu au soir de son existence, il a tout vu remis en question. Ce qui est curieux, c'est la place de ce psaume, juste après l'introduction générale, alors que l'histoire d'Absalom se passe à la fin de la vie de David. D'autres psaumes pourtant concernent des événements qui se situent tout au début de l'existence de David, lorsqu'il était, lui aussi, comme Absalom, jeune et beau; lorsqu'il battait les Philistins, ou lorsqu'il était traqué par le roi Saül.
La tradition juive explique cet apparent manque de chronologie en disant que ce psaume est extrêmement important. Dans le psaume précédent on parlait des guerres messianiques, et le psalmiste disait aux nations : « Pourquoi vous révoltez-vous? » Il y a une révolte des nations contre Dieu. Peut-être vivons-nous aujourd'hui dans la même situation. Nous éprouvons le sentiment que les temps messianiques se préparent, alors précisément que le monde rejette la souveraineté de Dieu. En effet, notre siècle est un siècle où pour beaucoup Dieu est mort ou en tout cas contesté. Il y a alors un rapprochement à faire entre le problème général qui se pose à l'humanité, à savoir celui d'accepter le rapport de paternité de Dieu, et le problème qui s'est posé à David qui, lui aussi, a vu son autorité contestée. On comprend mieux la place de ce psaume.
...et l'humanité en révolte
L'expérience qu'a connue David dans sa vie personnelle et familiale, c'est une expérience cosmique. L'histoire d'un père contre lequel son fils se révolte, c'est l'histoire de l'humanité et de la révolte de l'humanité contre son père, contre Dieu. C'est pourquoi il était nécessaire de placer ce psaume en tête du recueil de psaumes. Le Talmud, en particulier, parle d'une discussion qui eut lieu un jour entre un hérétique et un rabbin. L'hérétique disait : « Vos psaumes sont en désordre puisqu'ils commencent par l'histoire d'Absalom; ils auraient dû commencer par celle de Saül. » Et ce rabbin lui a répondu « C'est volontairement que ce psaume a été placé là parce qu'on peut se demander s'il est possible que des élèves, que des serviteurs, se révoltent contre leur maître. » Arrivera-t-il un temps où le monde connaîtra une contestation de Dieu très violente ? Eh bien, oui, car on a vu un fils se révolter contre son père. Sachez donc que l'humanité se prépare des temps difficiles. « On voit que, il y a déjà 2 000 ans, on donnait à ce texte de la révolte d'Absalom un sens profondément symbolique. Il est d'ailleurs un autre symbole intéressant, dans le nom même d'Absalom, qui se dit en hébreu « Absalom », « père de la paix ». Ce nom est révélateur. Il indique que la reconnaissance de la paternité, humaine ou divine, est une source de paix. Normalement, le père est là précisément pour donner la paix. C'est en cela que le sens symbolique de ce psaume de la révolte d'Absalom contre David ouvre une perspective messianique.
Un père déchiré
On peut comprendre alors ce qui a toujours paru paradoxal aux rabbins qui ont eu à commenter par les mots : « Cantique de David », alors qu'on devrait dire : « Élégie de David ». Comment un homme peut-il chanter lorsque son fils se révolte contre lui ?
Des explications contradictoires ont été ici données par le Talmud, qui montre que c'est à la fois un bonheur et un malheur. Bonheur, parce que David savait qu'un jour il aurait à expier ses fautes. Selon la tradition juive, il a été rassuré de penser que celui qui se révoltait était son fils, car lui aurait de la compassion pour son père. Il y a des relations affectives entre un père et un fils, entre parents et enfants, qui sont les plus naturelles et qui doivent permettre d'estomper les conflits.
Mais, d'un autre côté, le Talmud dit : « Il n'y a rien de pire pour un père que de savoir que celui qui le chasse de son foyer c'est son fils. » Aussi David était-il partagé entre des sentiments de joie - au demeurant très relative - et de désespoir. Ce psaume est à la fois une élégie et un cri d'espoir.
par le Rabbin Josy EISENBERG
En ce temps-là, la BibleNo 24 pages I-II.