A-t-on assez dit que les auteurs des livres sapientiaux et notamment celui de l'Ecclésiastique étalent misogynes? Le terme lui-même n'a pas grand sens lorsqu'Il s'agit de l'Ecriture : aucun texte biblique ne peut exprimer réellement haine ou aversion pour celle qui f ut créée « semblable » à Adam et, selon la volonté divine, ne fait qu'un avec lui, car « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ». (GENESE, chap. 2, vers. 18-24.) Il en est de la femme comme Il en va de l'homme : elle est digne de louanges ou de blâmes, dangereuse ou bienfaisante, selon ses oeuvres. Il demeure que chaque écrivain sacré, parce qu'Il est homme, et appartient à tel milieu et à tel siècle, en parle à sa manière.
Jésus ben Sira envisage surtout la femme sous les traits de l'épouse, et d'un point de vue bien particulier : celui du mari et du père. Il n'a pas grand souci du choix que l'épouse elle-même a pu faire, et donne pour principe de base :
« La femme épousera n'importe quel homme, mais telle fille est meilleure qu'une autre » (chap. 36, vers. 23).
« Bienheureux le mari de la bonne épouse ! » (chap. 26, vers. 1 ). Est-ce un idéal ? La sienne était-elle parfaite? En tout cas il insiste beaucoup : « Le mari qui la possède montre en tout temps la joie sur son visage » (chap. 28, vers. 4), tandis qu'une femme méchante « amène la tristesse du coeur qui est la plus grande plaie » (chap. 26, vers. 17). « La femme vaillante donne la joie à son mari » (chap. 26, vers. 2) ; « Elle est une part de choix pour le riche comme pour le pauvre » (chap. 26, vers. 4).
Mais alors, à quels critères se référer ?
La beauté est à considérer, car elle réjouit le regard (chap.36, vers. 24). L'auteur compare le charme d'une jolie femme au soleil levant (chap. 28, vers, 21 ) ou encore à la lumière du chandelier à sept branches (chap. 26, vers. 22).
Et comme les Sémites aiment préciser, il ajoute : « Des colonnes d'or sur des bases d'argent, telles sont ses jambes fermes et solides sur ses pieds » (chap. 26, vers. 23).
Mais il est d'autres qualités. Peut-être l'auteur connaissait-il des femmes bavardes qui agaçaient leur mari par un verbiage constant; aussi lisons-nous : « Une femme sensée et silencieuse, voilà qui ne trompe pas sur sa bonne éducation » (chap. 26, vers. 18) ; par contre : « Une montée sablonneuse sous les pas d'un vieillard, telle est la femme bavarde pour un mari paisible ! »
Un manuscrit grec ajoute même « La femme criarde et bavarde est une trompette qui sonne la charge; tout homme, dans ces conditions, passe sa vie dans le fracas de la guerre. »
Surtout qu'il évite la femme méchante !
« Toute méchanceté, mais pas la méchanceté de la femme ! » (chap. 25, vers. 1 9). « Mieux vaut demeurer avec un lion ou un dragon que d'habiter avec une femme méchante! » (chap. 26, vers. 33).
Et il insiste sur ce point aussi : « Un joug de boeufs secoué, telle est la femme mauvaise: qui s'y attache ressemble à qui tient un scorpion. » (chap. 26, vers. 10).
L'auteur ne peut s'empêcher de rappeler le récit de la Genèse où l'on voit Eve entraîner Adam dans la chute; et d'affirmer, d'une façon un peu simpliste : « C'est depuis la femme qu'a commencé le péché c'est par elle que nous mourons tous. » (chap. 26, vers. 33; cf. GENESE, chap. 3, vers. 1-5).
Aussi va-t-il donner un double conseil : garder la femme parfaite, renvoyer l'épouse méchante : « As-tu une femme selon ton âme ? Ne la renvoie pas » (chap. 7, vers. 28)... « Si elle ne marche pas à ta main, ... retranche-la de ta chair » (chap. 25, vers. 35-36).
« Bois l'eau de ta propre citerne ! »
Évidemment il ne saurait être question de choisir une femme jalouse, à plus forte raison une femme qui boit. Le jugement se fait particulièrement sévère pour la femme infidèle, celle « qui aura laissé son mari, et lui aura donné pour héritier l'enfant d'une alliance adultère » (chap. 23, vers. 32). Elle est coupable à un triple point de vue : envers Dieu, envers son mari, envers elle-même. Elle sera donc traduite devant l'assemblée qui la jugera, et « son déshonneur ne s'effacera pas » (chap. 23, vers. 36).
Mais l'homme heureux dans son foyer doit prendre garde à celles qu'il rencontre ailleurs : « Détourne ton visage de la femme élégante » (chap. 9, vers. 8). « Beaucoup se sont perdus pour la beauté d'une femme, car le désir s'y enflamme comme un feu » (chap. 9, vers. 9). La femme mariée elle-même est dangereuse, et l'auteur ne peut retenir un coup de griffe : « ... car des vêtements sort la teigne » et « de la femme sort le péché de l'homme » (chap. 42, vers. 1 3). Le grec dit : « De la femme, une malice de femme ! »
A plus forte raison faut-il éviter toutes celles qui sont occasion de tentation et de chute : la chanteuse, car elle est pleine d'artifices (chap. 9, vers. 4) ; la prostituée surtout. Ce n'est pas le souci d'une rigoureuse fidélité conjugale qui est invoqué, mais celui d'un danger bien concret : « de peur que tu ne perdes et toi-même et ton bien ! » (chap. 9, vers. 6).
Le sage du IIe s. reprendrait volontiers ce que disait l'auteur des Proverbes (chap. 5, vers. 15), quelque trois siècles auparavant :«Bois l'eau de ta (propre) citerne, et l'eau qui sort de ton puits ! »
L'estime où est tenue la femme s'exprime cependant en termes fort précis dès lors qu'il est fait allusion à la maternité. Respect et obéissance de la part des enfants sont vigoureusement encouragés : « Il amasse un trésor, celui qui honore sa mère » (chap. 3, vers. 6) ; « Qui obéit au Seigneur sera la consolation de sa mère » (chap. 3, vers. 7) ; « Il est maudit de Dieu celui qui irrite sa mère » (chap. 3, vers. 1 8).
S'ajoute à ces propos une nuance d'émotion, à laquelle ce coeur apparemment bien sec n'a guère habitué : « De tout ton coeur honore ton père et n'oublie pas les douleurs de ta mère » (chap. 7, vers, 29),
Quant aux filles, il vaut la peine de jeter un coup d'oeil d'ensemble sur ce qui fait entrevoir l'éducation du moment : « As-tu des enfants? Instruis-les, et fais-les plier dès leur plus jeune âge. As-tu des filles? Veille sur leur corps, et ne te montre pas jovial avec elles. Marie ta fille : tu auras fait là une grande chose » (chap. 7, vers. 25-27).
Ben Sira regarde ses filles d'un air qui se veut sans illusion : « Un fils qui se conduit mal est la honte de son père ; s'il s'agit d'une fille, c'est une déchéance » (chap. 22, vers. 3).
Et de conclure : « Le fouet et l'instruction sont sagesse en toute circonstance » (chap. 22, vers. 6).
Le souci de soi-même se retrouve en cette tirade, où se livre si bien l'auteur : « Une fille pour son père est un souci secret, l'inquiétude qu'elle lui donne lui ôte le sommeil. » Jeune, c'est la crainte qu'elle ne tarde à se marier, ou « se retrouve enceinte à la maison paternelle » mariée, qu'elle ne soit odieuse à son mari, infidèle ou stérile... Une fille trop hardie nécessite une garde vigilante « de peur qu'elle ne t'expose aux outrages de tes ennemis, au dénigrement dans ta ville, au mépris des gens » ce serait la honte « devant tout le monde » ! (chap. 42, vers. 10-11 ). Il y a certes beaucoup de bon sens dans ces recommandations éparses à travers l'ouvrage, et l'on a noté au passage l'émotion fugitive qui s'empare du « sage » lorsqu'il recommande aux enfants de se souvenir des souffrances de leur mère. Mais il faut bien souligner qu'en général, au-delà d'une mentalité d'époque, apparaît un certain égoïsme petit-bourgeois, où l'homme arrivé pense d'abord à lui-même et craint pour sa tranquillité non moins que pour sa réputation.
Pour divine qu'elle soit, l'inspiration ne transfigure pas forcément ni totalement les hommes qu'elle visite.
J. DHEILLY
Professeur à l'Institut catholique de Paris
En ce temps-là, la BibleNo 55 page IV.