Dire que les psaumes constituent un remarquable monument de la poésie d'Israël est exact. Mais la « Poésie » est un monde, et l'art des poètes s'y exprime sur des sujets forts divers, avec des techniques variées et bien des nuances : « les Nuits » de Musset ne ressemblent guère au « Cid » de Corneille, et pas davantage aux poèmes de Prévert. Le recueil d'oeuvres poétiques qu'est le psautier n'est pas fait non plus d'éléments rigoureusement homogènes. On discerne parmi les 150 morceaux qui le composent des caractères littéraires relevant de plusieurs « genres », sur lesquels nos lecteurs trouveront dans ce numéro et le suivant les quelques indications utiles à la bonne intelligence des textes.
LES PSAUMES LITURGIQUES
déjà évoqués précédemment (en page 11) étaient, comme le mot l'indique, utilisés dans le service du Temple ou de la synagogue. Certains ont été composés directement pour cet usage; d'autres, improvisés par de pieux Israélites qui exprimaient dans ces chants leurs sentiments personnels, ont été ensuite adoptés par la communauté et adaptés à la liturgie. Aux psaumes plus spécialement marqués d'une « couleur » liturgique et que nous avons déjà signalés (psaumes des principales fêtes, Hallèl, et psaumes « des montées »), ajoutons deux bons exemples : le psaume 23 (24 de l'hébreu) qui rappelle le transfert de l'Arche à Jérusalem sous le roi David, et le psaume 86 (87 de l'hébreu),où la ville sainte est proclamée patrie religieuse de tous les hommes.
LES PSAUMES DE LOUANGE
sont les plus nombreux : environ 20 % du psautier. Leur objet est multiple. Tout d'abord Dieu est loué parce qu'il n'a cessé de mettre sa toute-puissance de salut à la disposition de son peuple, malgré les infidélités nombreuses de ce dernier : ce sont les psaumes dits historiques (par exemple : Ps. 77, 105, 113 ; c'est-à-dire 7 8, 106, 114 de l'hébreu).
Souvent le regard du poète sacré s'étend à la dimension du monde, et c'est la louange de Dieu pour la création (Ps. 8, 18, 28, 103; soit dans l'hébreu : 8 également, 19, 29 et 104). A d'autres moments, il se fixe sur Dieu même : c'est alors l'hymne à sa puissance (Ps. 32 ; 33 de l'hébreu), à sa connaissance infinie (Ps. 138 ; 139 de l'hébreu), ou à son amour des pauvres (Ps. 112 ; 113 de l'hébreu)
Ailleurs, le psalmiste fait encore appel à la nature (Ps. 1 48), ou à tous les instruments de musique (Ps. 150) afin que le Seigneur soit loué magnifiquement. Parfois enfin, il scrute le futur et, dans la vision qu'il en a, perce J'annonce prophétique de la souveraineté de Dieu s'exerçant sur l'humanité entière et la nature elle-même : on a alors les psaumes du règne de Dieu (Ps. 46, 92, 95-98; c'est-à-dire 47, 93, 96-99 de l'hébreu).
Dans tous ces chants le désintéressement de la prière est total : celui qui prie fixe son attention sur Dieu seul : ce qu'il est et ce qu'il fait célèbrent l'espérance qui n'a cessé de se préciser et de s'intensifier depuis la promesse faite à David par Nathan (2e Samuel, chap. 7). Il était bien sûr normal qu'elle s'exprimât à travers le psautier. Cependant elle apparaît moins souvent qu'on ne l'a pensé dans un passé proche, où l'on se plut à interpréter dans le sens messianique de trop nombreux passages. Il a donc semblé utile de signaler ici ceux qui témoignent vraiment sur ce point de la loi d'Israël, et de l'Église chrétienne.
Le psaume 2 proclame la relation particulière du Messie avec Dieu ; le Nouveau Testament y verra l'annonce de la filiation divine de Jésus-Christ. Le psaume 44 (45 de l'hébreu), expression du thème biblique de l'amour conjugal, célèbre les épousailles du Messie avec le peuple choisi... Le psaume 71 (72 de l'hébreu) marque la sagesse, la paix et l'universalisme du royaume messianique. Les psaumes 88 et 131 (89 et 132 de l'hébreu) commentent la prophétie de Nathan, et le psaume 109 (110 de l'hébreu) annonce les prérogatives sacerdotales du Messie. Il en est d'autres assurément, comme le psaume 21 (22 de l'hébreu), qui exigent d'être médités à la lumière de la révélation ultérieure. Nous y reviendrons dans un prochain article sur les psaumes et le Nouveau Testament.
Mais ces quelques remarques permettent de constater déjà que les chants messianiques constituent un groupe vraiment à part, en raison de l'enthousiasme qui s'y fait jour. A l'origine prières pour le roi du moment, pour sa puissance et ses victoires, ou pour la joie d'un mariage princier, ils sont ensuite devenus, à la période tardive du Judaïsme, des prières d'attente passionnée, toutes tendues vers l'avenir.
LES PSAUMES D'ESPÉRANCE
comptent assurément parmi ceux qui touchant le plus grand nombre. Le psalmiste a connu comme nous les éprouves de la vie; à certains moments malgré la prière qui lui était adressé:: « Dieu restait muet », il semblait « détourner son visage » (PSAUME 12). Et cependant s'exprime dans les chants du psautier une confiance inaltérable (PSAUMES 45 et 120). L'espérance n'est cependant pas toujours facile; on remarque par exemple dans les psaumes 41-42. Le découragement est Parfois plus fort; il faut une lutte sévère « Espère en Dieu » traduit le sursaut d'une volonté aux abois. Ailleurs encore, ce sont les terreurs de la nuit, la maladie ou la famine, voire la chaleur torride de midi (PSAUME 90) qui fournissent 198 images de tourments redoutés. Mais le psalmiste affirme aussitôt : « Aucun mal ne t'atteindra. » si l'on veut connaître la raison dernière d'une telle certitude, il faut lire les psaumes qui parlent de l'intimité du fidèle avec Dieu. On Peut certes les mentionner sous une rubrique distincte mais on ne saurait les négliger. Le lévite affirmait que le Seigneur était sa part d'héritage (PSAUME 15) : comment aurait-il pu connaître l'abandon? Tel autre psalmiste priait ainsi : « Mon âme a soif de toi... Ta miséricorde est meilleure que la vie » (PSAUME 62). Chacun connaît aussi le Psaume qui commence par ces mots : « Le Seigneur est mon berger » (PSAUME 22) et qui montre Dieu conduisant son fidèle dans les routes de la vie ou lui offrant une délicate hospitalité. Ne touche-t-on pas ici à la racine de l'espérance? Peut-être sera-t-on plus sensible encore à l'abandon con.fiant du juste comparé à celui du tout petit qui s'endort sur le soin de sa mère (PSAUME 130).
LES PSAUMES DE REMERCIEMENT
pourraient être répartis en diverses catégories, suivant la nature ou l'objet de l'action de grâces. Il arrive que l'autour utilise une expression triomphale pour signaler l'ampleur de l'éprouve à laquelle Dieu l'a fait échapper (PSAUME 17). D.e son côté celui du psaume 66 remercie pour la récolte qui vient de s'achever. Ailleurs le remerciement se confond avec la joie ressentie lors du pardon de la faute (PSAUME 31).
LES PSAUMES DE SOUFFRANCE
expriment parfois seulement la plainte angoissée du psalmiste en face de la maladie (PSAUMES 87 et 101) ou d'une éprouve morale présentée comme un abandon de Dieu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » (PSAUME 21). Lors d'une détresse nationale (défaite ou catastrophe naturelle), la lamentation revêt une expression collective (PSAUMES 59 et 73). Tout naturellement voisinent avec ces prières les psaumes de demande : le psautier renferme beaucoup d'appels au secours. Mais parfois aussi l'excès de la souffrance et le caractère outrancier de l'Oriental déterminant ce que nous appelons des « malédictions » (PSAUME 136 par exemple). Mentionnons encore parmi les chants des Amos en peine, le groupe que l'Église chrétienne appelle depuis saint Augustin, « les psaumes de pénitence ». On y découvre une conscience très vive du péché et d'ardents appels à la miséricorde divine. Les plus connus sont ceux qu'une habitude séculaire chez les chrétiens dénomme le « Miserere » (PSAUME 50) et le « De Profundis » (PSAUME 129).
LES PSAUMES D'ENSEIGNEMENT ET DE MÉDITATION
appartiennent au genre sapiential : le bonheur des méchants ou la brièveté de la vie sont des sujets de réflexion de caractère universel (PSAUMES 48 et 72). Mais le juif pieux médite aussi sur la Loi de Moïse : il la considère comme la sagesse suprême et ne se lasse pas de déclarer qu'elle est sa vie (PSAUME 118). Le psaume 14 est un petit code de morale, et le psautier commence avec un chant sur le thème des deux routes (celle des pécheurs et celle des justes). C'est à l'occasion de pareilles méditations que s'ouvrent des perspectives annonçant déjà le Nouveau Testament : « Un jour tu me recevras dans la gloire » (PSAUME 72, vers. 24).
Ainsi apparaît la prière d'Israël sous ses formes chatoyantes et multiples. Ce bref aperçu ne suffit naturellement pas à en exposer tous les aspects, mais peut aider le lecteur à discerner comment la personnalité des psalmistes se dégage de leurs oeuvres; il ne s'agit pas d'exercices d'école, mais de sentiments humains qui s'expriment devant Dieu : « nue ma prière soit comme un encens «devant Toi! » (PSAUME 140, vers. 2.)
En ce temps-là, la Bible No 45 page IV. No 46 page IV.