Vue sous un certain angle, l'histoire d'Israël n'est guère que celle de l'arrachement de ce peuple aux idoles et de son attachement au Dieu invisible et unique. Un jour Dieu interpella Abraham qui jusqu'alors « servait d'autres dieux » (Josué, chap. 24, vers. 2 et Judith, chap. 6, vers. 8). Mais cette rupture radicale, marquée par le changement de vie et de lieu de séjour, n'était pas pour autant acquise une fois pour toutes. Les descendants du grand patriarche devront sans cesse lutter contre la tentation de céder à l'attrait du visible; et leur penchant à imiter les cultes des peuples voisins. L' « époque des Rois » qui suit le schisme d'Israël est sans doute celle où la conjugaison de cette tentation permanente et de ce penchant atavique, réveillé par les mauvaises fréquentations et les dangereuses alliances,s'avère le plus efficace. Mais elle n'est pas la seule où la vanité des idoles, sembla pour un temps, l'emporter au sein même du « peuple choisi » sur la réalité vivante du vrai Dieu.
Evoquant la grand épreuve de la foi à laquelle est soumis le peuple d'Israël, le prophète (Jérémie, chap. 2, vers. 5) constatera que les infidèles, à suivre la vanité, sont eux-mêmes devenus vanité. C'est que le dévot s'assimile au dieu qu'il adore. Or ces idoles son néant : rien qu'un peu de bois ou de pierre, auquel on donne parfois une apparence humaine. Dans un sens elles sont donc inférieures même à l'homme qui, lui, a du moins la vie. Incapables de se protéger du danger, elles sont véritablement vides de toute réalité, elles sont vaines. Elie se moque de Baal qui ne peut consumer l'holocauste qu'on lui offre, en dépit des cris et des objurgations de ses prêtres : « Criez plus fort, dit-il à ceux-ci, il est Peut-être en conversation, ou dans une auberge, ou en chemin; à moins qu'il ne dorme » (j e r Rois, chap. 18, vers. 27).
Les idoles sont des mensonges qui séduisent les hommes (Amos, chap. 2, vers. 4), des « non-dieux » (Jérémie, chap. 2, vers, 1 1 ; chap. 5, vers. 7). Tel est le sens de ce terme de « vanité » qui leur est si fréquemment appliqué dans la Bible.
L'idolâtre se rend « vain » lui-même
En s'adonnant au culte de ce qui n'est que l'oeuvre de ses mains, l'homme se rend donc bien vain lui aussi en mettant son coeur et son esprit au niveau de la matière, priant ce qui ne peut l'entendre, et suppliant ce qui ne peut le sauver. La prédication des prophètes et le livre de la Sagesse nous donnent le meilleur commentaire possible de ce terme de « vanité » décerné aux idoles : un reste qui n'est plus bon à rien, un bois tordu et plein de noeuds, qu'on prend, qu'on sculpte avec soin... Puis à cet objet mort on va demander la vie; à cette masse amorphe on demande la santé et le secours; à cet objet immobile, l'homme confie ses voyages.
Cette folie incompréhensible qui définit la « vanité » des idolâtres s'en ira sculpter l'effigie d'un dieu protecteur jusque sur la proue des navires pour que le voyageur bénéficie d'un temps favorable, alors que c'est seulement la providence divine qui guide l'homme et lui ouvre sa route, fût-ce en pleine mer (Sagesse, chap. 14,vers.1-8).
Il arrive que, de plus, ces cultes idolâtriques comportent des rites immoraux, voire obscènes, qui ravalent l'homme à l'animalité et altèrent profondément cette ressemblance divine dont il fut doté lors de sa création. « Ils sont foncièrement vains, dira le livre de la Sagesse, (chap. 13, vers. 1), tous les hommes qui ont ignoré Dieu et qui, par les biens visibles, n'ont pas été capables de reconnaître Celui-qui-est, et n'ont pas reconnu l'Artisan en considérant ses oeuvres. »
Pour l'auteur du livre de la Sagesse, les idoles sont nées de l'effet de la « vanité » humaine; entendons de cette propension à accorder plus de réalité au visible qu'à l'invisible, au sensible qu'à l'insensible. Leur disparition est prévue : elle est « prochaine » (Sagesse, chap. 14, vers. 13, 14), mais de cette proximité qu'il convient d'apprécier en regard de l'éternité. Un jour viendra pourtant où Dieu sera « Un » sur toute la terre (Zacharie, chap. 14, vers. 9).
D'ici-là, l'idolâtrie pourra avoir bien des visages. Si au temps de l'Exode elle est concrétisée par le veau d'or, elle s'exprimera ailleurs dans le culte des astres, « des armées des cieux » contre lesquelles vitupéreront les prophètes. Au temps des Maccabées, 150 ans avant le Christ, servir des idoles ce sera adhérer à un humanisme païen incompatible avec la foi que Yahvé attend des siens. Il faudra alors choisir entre les idoles et le martyre (1er Macchabées, chap. 1, vers. 43; 2e Maccabées, chap. 6 et 7; Daniel, chap. 3).
Parmi les "vanités" l'argent n'est pas la moindre
Le judaïsme tardif dont saint Paul se fait l'écho (ère aux Corinthiens, chap. 10, vers. 20 et suivants) identifiait les dieux païens aux démons. Ça sera dans ce dernier sens que le Nouveau Testament parlera des idoles. Les baptisés ont été arrachés aux idoles pour se tourner vers le vrai Dieu (1ère aux Thessaloniciens, chap. 1, vers, 9). Comme jadis Israël, les croyants sont sans cesse tentés de retomber dans le paganisme qui imprègne la vie courante (1ère aux Corinthiens, chap. 10, vers. 25-30); il leur faut donc fuir l'idolâtrie pour entrer dans le royaume. Mais cette idolâtrie ne sera pas tellement l'adoration de statues de pierre ou de bois, que l'assimilation à des moeurs perverses et débauchées (j r,, aux Corinthiens, chap. 10; 20 aux Corinthiens, chap. 6).
Les idoles de l'homme pourront être aussi l'argent (Matthieu, chap. 6, vers. 24), le plaisir (aux Romains, chap. 6, vers, 19 et à Tite, chap. 3, vers. 3), la volonté de puissance (aux Colossiens, chap. 3, vers. 5; aux Ephésiens, chap. 5, vers. 5), car l'homme est habile à multiplier ses idoles, dans son « amour de la vanité » et sa « recherche du mensonge ».
L'arrachement aux idoles est-il uniquement un problème du passé?
par Dom Jacques GOLDSTAIN
En ce temps-là, la BibleNo 28 pages I-II.