(Actes 28-29)
Au cours du voyage vers Rome, une tempête jette le navire qui porte Paul et son escorte sur une île appelée, en grec, Mélitè. Ce nom, qui est celui d'une nymphe de la mer, fille de Nérée, se trouve habituellement traduit depuis quatre siècles au moins par Malte. Et non sans raison : l'autre île Mélitè, aujourd'hui Méléda, sur la côte dalmate, est très éloignée de l'itinéraire qui mène de Crète à la baie de Naples où l'Apôtre touchera l'Italie. Et si l'auteur des Actes (chap. 27, vers. 27) parle de « l'Adriatique », il n'emploie sûrement pas ce terme pour désigner, comme nos modernes géographes, le long golfe qui s'ouvre par le canal d'Otrante : pour lui, comme pour Strabon au I er siècle, et encore pour Ptolémée au II ème la mer Adriatique est en fait la Méditerranée centrale, limitée précisément à l'ouest par Malte.
Le vent souffle où il veut : c'est le hasard, ou l'Esprit, qui fait échouer Paul sur ce minuscule archipel brûlé de soleil et battu par le ressac, à soixante milles de la Sicile, à cent quatre-vingts de la Tunisie.
L'île est habitée depuis la préhistoire : dans ses périples, Paul a pu s'étonner des insolites monuments mégalithiques, qu'on y trouve encore, labyrinthes de salles, de cours, d'escaliers, de couloirs dont les innombrables niches sont alors peuplées d'idoles féminines de pierre ou d'argile. La brillante civilisation qui les avait édifiés sombra, vers l'an 1500 avant notre ère, devant des envahisseurs venus du sud de l'Italie.
Au Vllle Siècle av. J.-C., Malte émerge de l'oubli : sur le chemin de Tyr à Carthage qu'ils viennent de fonder, les navigateurs phéniciens font escale dans ses criques abritées et prennent goût à ses rivages.
Une langue « barbare »
Quand Paul l'abordera, il n'y aura guère que 250 ans que l'île n'est plus de la mouvance carthaginoise: rien d'étonnant à ce que la plupart n'y parle ni le grec, ni le latin, mais le punique, aux consonances « barbares » (chap. 28, vers. 1 ) - c'est-à-dire étrangères - qu'on entend encore dans le maltais d'aujourd'hui. C'est à Malle qu'on a pu éclaircir le mystère de la langue phénicienne et commencer à la déchiffrer : grâce à une inscription bilingue, en grec et en phénicien, dédiée au dieu Malquart, trouvée sur deux « cippes », petits piliers sans chapiteau qui servaient de stèle funéraire ou de borne routière, dont l'un est conservé au musée du Louvre.
Toutefois au VII siècle et au début du Ve siècle av. J.-C., des commerçants grecs ont tenté de supplanter les Phéniciens, et l'île conservera une statue d'Hercule, des monnaies, et une inscription qui révèle le régime démocratique dont elle jouit alors : comme les cités grecques, elle possédait alors sénat, assemblée du peuple et archontes. Mais Malte retomba sous la mainmise carthaginoise. Sur un haut lieu occupé dès la préhistoire, Tas-Silg, au sud, Carthage a dédié à Astarté-Tanit un sanctuaire qui a laissé des traces : des cours, quelques salles d'un dallage remarquable, et une rampe qui reliait cette acropole au port, en contrebas : base navale, dotée d'arsenaux .
Paul n'a pas connu ce monument phénicien. A sa place, les Romains ont élevé un superbe temple à Junon (depuis l'an 218 av. J.-C., ils sont en effet maîtres de ces îlots qui constituent une position stratégique remarquable au coeur de la Méditerranée). Mais on n'y voit plus les somptueuses oeuvres d'art qui le décoraient quelques années plus tôt : en l'an 73 ou 71 av. J.-C., Verrès, proprêteur de Sicile, les a pillées. Cicéron dans ses implacables « Verrines », souligne vigoureusement que ce temple consacré à la reine des dieux avait jusqu'alors été préservé de tous outrages, même de ceux des corsaires.
Sous la petite église champêtre édifiée au XVIIe siècle, à proximité de la baie du nord-est de l'île où la tradition fixe le débarquement de Paul, et qui marquerait « le site des miracles » (ACTES, chap. 28, vers. 7-9), les archéologues italiens de l'Université de Rome on fait en 1963 une intéressante découverte : les ruines d'une spacieuse villa romaine édifiée au début du le, siècle av. J.-C., incendiée sous Auguste et reconstruite avec ses cours, son atrium et ses dépendances où l'on fabriquait l'huile d'olives.
Ils ont aussi exhumé d'émouvants vestiges : deux briques, faisant partie d'un pavement du Vle siècle, l'une gravée d'une croix, l'autre d'un poisson; deux blocs de grès, du siècle suivant, marqués de symboles identiques; une inscription de la même époque au nom de Paulus, en lettres grecques; enfin un bloc de calcaire orné de maladroits graffitis où l'on distingue un bateau échoué sur un rocher et une figure humaine qui évoque les portraits traditionnels de l'Apôtre...
Disputée aux chrétiens par les Arabes, puis par les Turcs, auxquels s'opposèrent les fameux chevaliers de l'Ordre hospitalier et militaire de Saint-Jean de Jérusalem, souverains de l'île de 1518 à 1798 date à laquelle Bonaparte s'en empara, Malte eut l'Angleterre pour dernier maître, et subit sans faiblir l'assaut des bombardiers du Reich pendant la seconde guerre mondiale : 14000 tonnes de bombes ne suffirent pas à la réduire. Indépendante depuis 1964, « la fille de saint Paul » n'a désormais plus que l'Apôtre pour suzerain.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 86