Pendant les sept premières années de son règne à Hébron, David a lutté pour l'unité, profitant des querelles entre les personnages les plus influents.
Enfin les tribus d'Israël se sont données à lui et les notables l'ont acclamé : « Nous sommes de tes os et de ta chair », c'est-à-dire : tu es notre frère en même temps que notre roi. Régnant désormais sur tout Israël, il va pour jamais imposer sa marque à l'histoire en donnant au peuple de Dieu sa ville sainte.
Sur la grand-route antique qui va de Galilée en Égypte, Jérusalem est une ville cananéenne indépendante. Selon certains, c'est l'ancienne Jébus, capitale des Jébuséens - les Jébousim -, tribu cananéenne. En fait cette appellation paraît une invention tardive de l'auteur des Chroniques. Jérusalem, c'est la « fondation (uru ou jéru) de Salem (une divinité) ». Pour l'heure, cette ville marque la séparation entre les tribus du sud et celles du nord. La conquérir, ce sera en faire au contraire un trait d'union entre les deux zones. La génie politique aussi est au service du dessein de Dieu. David convoque des contingents de toutes les régions : il tient à ce que la victoire soit celle du peuple d'Israël tout entier : ainsi Jérusalem pourra-t-elle devenir vraiment une capitale. Le commandement des troupes est confié à Joab, cousin de David, qui donnera aussi de sa personne. Et l'un met le siège devant la ville.
La vieille cité cananéenne est construite sur la colline orientale de Sion : elle est considérée comme imprenable. Mais sa faiblesse, c'est le ravitaillement en eau. Le Cédron est le plus souvent à sec. Les Cananéens n'ont pas d'eau dans la ville. Ils vont la chercher à la fontaine de Gihon, à l'extérieur de la muraille, aujourd'hui la source de la Vierge, et dont le nom signifie : source jaillissante.
Dès l'époque d'Abraham cependant, on a creusé, partent de l'intérieur des murs, un profond puits d'accès, relié à la source par un tunnel dont la sortie est soigneusement camouflée : en cas de siège on allait par là puiser de nuit les rations indispensables.
La ruse de Joab
C'est le cas tandis que les troupes de David cernent la cité. David pense que les assiégés se rendront plutôt que de mourir de soif : c'est la saison sèche. Et pourtant cela dure des semaines.
Joab organise des patrouilles nocturnes et, un soir, se trouvant sur les flancs du Cédron, il entend des bruits de cruches : y a-t-il donc là une sortie secrète pour venir au ravitaillement? Cette sortie, il la découvre, comme les archéologues l'ont découverte en 1867, et explorée en 1909. Le texte, lui, se contente de parler d'un mystérieux « canal », tsinnôr (21, Samuel, chap. 5, vers. 8). Avec quelques audacieux, Joab s'avance dans le tunnel; les autres vont prévenir David, qui réveille ses troupes.
Au bout de 200 mètres, le tunnel fait un léger coude. On peut s'y tenir debout. Mais là, il y a un courant d'air terrible. Peu après on se cogne le nez : le courant d'air vient d'en haut. C'est un puits, et les Jébuséens tout à fait tranquilles y ont peut-être même laissé pendre des échelles de corde. Il n'y a plus qu'à monter, les uns derrière les autres : on est dans la place.
On se précipite aux portes, en criant très fort, pour surprendre et affoler les sentinelles. On ouvre, et les troupes de David pénètrent dans la ville sans coup férir.
« On parle d'elle à Éphrata »
David achèvera son oeuvre dans son style propre en laissant la vie sauve à tous les Jébuséens. Aucun n'est maltraité, chacun garde son bien. C'est avec les vaincus qu'on fera l'unité. Par la suite, David observera toujours cette tactique. Ainsi lorsqu'il voudra acquérir un terrain pour le Temple, il le fera en bonne et due forme, en payant le prix à son propriétaire. C'est d'ailleurs ce qu'il fait sans tarder : il achète à un Jébuséen un emplacement pour l'arche d'alliance.
Voilà donc Jérusalem, l'imprenable, tombée aux mains d'Israël. Aux yeux de tous, c'est une victoire de Yahvé sur les dieux de Canaan. Jusqu'alors c'était Salem le « grand dieu », le « dieu très haut ». Ainsi donc, Yahvé, ce dieu du désert, ce dieu du Sinaï, serait plus fort que Salem, et Jérusalem lui appartient. L'événement est une date importante dans la prise de conscience de la puissance du vrai Dieu. David désormais, prêtre du Très-Haut - à la manière de Melkisédek autrefois -, décide d'introduire solennellement Yahvé dans sa capitale.
Longtemps à l'avance la cérémonie sera préparée. « On parle d'elle à Éphrata (Bethléem) », chantera le psalmiste (Psaume 132, vers. 6). Il faut convoquer tout le peuple, car toutes les tribus doivent être représentées. Il faut composer des chants : c'est ici le début de l'activité psalmiste, qui sera confiée « aux fils d'Asaph et aux fils de Coré » : les théologiens et les poètes. Il faut aussi des citharistes, des flûtistes, des cymbalistes. Il n'est jusqu'au son rauque du shofar, la corne de bélier, qui n'accompagne cette harmonie. Il faut encore trouver des animaux pour célébrer des sacrifices tout le long du chemin. Enfin vient le jour tant attendu. On se rend par petit groupes à Qyriath-Yearim, et on charge l'arche sur le chariot. En route on campera, on fera les sacrifices rituels du soir et du matin. La marche n'est pas rapide : on joue de la musique, on danse. David, revêtu de l'éphod sacerdotal, mène la danse sacrée. On repart à l'aube, pour atteindre Jérusalem dans la liesse populaire, à laquelle se mêlent les Jébuséens. Sur les remparts attendent les soldats, mais aussi les choeurs, les musiciens, les badauds.
C'est ici qu'il faut placer le passage du psaume 24 qui est un fragment du dialogue échangé au pied de la muraille, pendant plusieurs heures, ce qui donne aux retardataires le temps de rejoindre le gros de la troupe :
« Élevez, ô portes, vos linteaux, pour qu'il entre le roi de Gloire!
- Qui est ce roi de Gloire?
- C'est lui, le Dieu des armées, lui, le roi de Gloire. »
Enfin les portes s'ouvrent, et l'énorme procession s'engouffre dans les ruelles étroites de la vieille ville cananéenne, qu'elle va traverser du sud au nord, contournant au passage l'ancien palais des rois, où David a établi sa propre résidence.
L'arche est déposée dans la tente dressée comme au désert : David offre les holocaustes et les sacrifices pacifiques, il bénit le peuple. Désormais Jérusalem, Sion, en même temps que la « cité de David », sera la cité de Dieu.
Robert Tamisier
En ce temps-là, la Bible No 23 pages I-II.