On sait que de 586 à 539 une grande partie de la population juive déportée de Jérusalem séjourne à Babylone et dans sa banlieue, où elle est soumise à Nabukodonosor et à ses successeurs. Mais, en 539, Cyrus, roi de Perse, s'empare de Babylone; l'année suivante, il autorise les Juifs à retourner en Palestine pour y reconstruire le temple de Yahvé, « Dieu du ciel et de la terre », qu'il semble assimiler à la divinité suprême des Perses, Ahura-Mazda. Sous l'autorité d'un prince royal de Juda, Sheshbassar ou Zorobabel, une première caravane quittera la Babylonie en 538; une seconde suivra en 532; ceux qui les composent assureront la base de la communauté d'après l'Exil.
Depuis 586, le territoire du petit royaume de Juda avait été annexé à la province de Samarie, constituée au temps de la conquête assyrienne et conservée par les Babyloniens, ce qui explique que toute activité se manifestant en Juda sans l'aveu des autorités samaritaines ait pu être dénoncée comme une coupable tentative de sécession. Ce n'est qu'en 445 que Néhémie obtiendra l'autonomie administrative de Jérusalem et de sa région; sans d'ailleurs que cette mesure décourage toute opposition à son oeuvre.
Les deux livres Esdras-Néhémie sont étroitement liés; comme pour ceux de Samuel et des Rois, leur division est tardive. La Vulgate les nomme 111, et 21 Esdras (ce dernier équivalent à Néhémie). Dans la liste traditionnelle des textes hébreux considérés comme livres saints, ils précèdent les Chroniques; sans doute parce qu'ils ont été les premiers admis. Ce qu'il importe de connaître de ces nouveaux recueils, avant d'en aborder la lecture, c'est qu'ils constituent la seconde partie de cette grande fresque historique qui a le Chroniste pour auteur.
Esdras avant, pendant, ou après Néhémie ?
Malheureusement la façon dont il a ici remanié et présenté ses sources pose de nombreux problèmes qui n'ont pas encore été entièrement résolus. En voici une vue très schématique. Comme les titres l'indiquent, l'ouvrage, en deux tomes, présente le portrait de deux personnages importants : Esdras et Néhémie. Tandis que celui-ci a réalisé deux missions successives, Esdras en a une seule à son actif. Or les anciens estimaient, sans qu'il y ait lieu d'on débattre, que les deux missions de Néhémie étaient postérieures à celles d'Esdras. Mais aujourd'hui, tel estime que Néhémie est venu à Jérusalem en 445 et en 425, et retarde Esdras jusqu'en 398; tel autre intercale la mission de ce dernier entre celles de Néhémie, fixant la date de la venue d'Esdras à Jérusalem en 427. On voit l'incertitude des commentateurs, encore qu'aucun des arguments fournis pour bousculer la chronologie précédemment admise n'emporte la conviction. Sur un plan tout différent : celui des textes et non des personnages, rien non plus n'est très simple : dans la version grecque des Septante, l'ensemble Esdras-Néhémie tel qu'il a été retenu forme un seul recueil appelé Esdras B, car certains manuscrits le font précéder d'un autre, désigné comme Esdras A. Celui-ci, nommé Esdras III par les traductions latines, et souvent publié en appendice, a joui d'une grande célébrité aux origines chrétiennes, avant d'être finalement écarté : on trouve l'essentiel de ce qu'il rapporte dans les Chroniques et les livres qu'on va lire d'Esdras et Néhémie.
Les Chroniques s'achevaient sur un cri d'espérance. Cette espérance va se réaliser sur un double plan : reconstruction du Temple et des murailles, établissement de la loi comme constitution politique et religieuse de la communauté.
Désormais le Royaume de Dieu est en marche vers une étape nouvelle. Prêtres et lévites président à la progression, veillant à l'éclairer de la lumière du Deutéronome et des ultimes prophéties; en même temps, ils établissent une barrière qui les sépare rigoureusement des païens et même des Samaritains. Mais, d'un loyalisme total envers la puissance occupante, ils mettent provisoirement en veilleuse l'idée messianique.
En somme, la communauté entière, animée par les derniers prophètes dont la Bible ait conservé les oracles (Aggée et Zacharie, 1 ère partie; Isaïe 3 ème partie, et Malachie), bâtit mieux encore que le Temple et les murailles : sa foi, dans le silence et la ferveur.
J. DHEILLY
Professeur à l'Institut catholique de Paris
En ce temps-là, la BibleNo 33 pages IV.