pavement du tribunal où Pilate livra le Christ à la mort
Pilate s'assit à son tribunal, à l'endroit appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha... » Cette précision de Jean (chap. 19, vers. 13), l'évangéliste des notations complémentaires, est longtemps demeurée un mystère. Jusqu'au jour où, il y a une quarantaine d'années, les archéologues au travail dans les cryptes des bâtiments conventuels érigés autour de la basilique des Dames de Sion dégageaient un remarquable dallage dont la superficie totale couvre 2 600 ml environ.
Les dimensions exceptionnelles des pavés, l'ampleur de l'ensemble, pouvaient justifier le terme grec composé de lithos, « la pierre », et strôtos, « étendu » : c'est « le dallage par excellence » le mot « gabbatha », non pas hébreu mais araméen, signifie « hauteur » ou « front chauve » : ce qui désignerait bien la position de la terrasse, ou son aspect. Or, l'actuelle basilique de Notre-Dame de Sion occupe la contrescarpe de l'Antonia, colossale forteresse qu'avait édifiée Hérode pour surveiller l'esplanade du Temple, et probablement occupée, depuis la destitution d'Archélaüs son fils (6 ap. J.-C.), par le préfet romain. C'est que, malgré le prestige des légions, les autorités romaines en Palestine avaient grand-peine à faire régner le calme dans cette nation qui continuait à se dire indépendante.
Les parvis du Temple de Jérusalem, où les Juifs se rassemblaient en grand nombre à l'occasion des fêtes traditionnelles, devenaient facilement un foyer de désordres. A l'époque de Salomon déjà, le Temple était gardé au nord-ouest par un puissant ouvrage appelé « Birah », que Néhémie rebaptisa « tour Hananéel » (chap. 3, vers. 1 ), et les rois asmonéens, « Baris ».
C'est un peu plus au nord qu'Hérode, après avoir rasé la forteresse de Baris, en éleva une nouvelle, qui prit le nom d'Antonia en l'honneur de Marc-Antoine; il choisit pour fondations un tombeau juif de l'époque asmonéenne : deux pièces creusées dans le roc.
« Une ville » autant qu'un palais
Ce roi sanguinaire qui craignait tant, pour sa vie et pour son trône, les éventuels vengeurs de ses victimes, s'y sentait en sécurité, et en fit pendant douze ans sa résidence : « L'Antonia était bien distribuée... en portiques, bains, vastes cours pour la garnison, au point de ressembler autant à une ville par ses ressources, qu'à une résidence royale par sa magnificence », écrit à son propos Flavius Josèphe.
C'est dans cette citadelle que la tradition, depuis le Moyen Age, situe le prétoire de Pilate et donc le procès de Jésus. Du couvent des Dames de Sion, qui recouvre une partie des lieux, part la Via dolorosa, la « voie douloureuse », proposée depuis le XVIe siècle aux pèlerins désireux de mettre leurs pas dans ceux du Christ, du prétoire au Golgotha.
La construction d'Hérode ne mesurait pas moins de 160 mètres sur 135, masse énorme de plus de deux hectares de superficie. Construite sur un rocher escarpé, elle était défendue par quatre tours dont l'une, celle du sud-est, plus élevée, dominait immédiatement le « parvis des gentils ». On pénétrait dans la place par une porte fortifiée, un double couloir voûté, long de seize mètres, large de deux fois huit mètres, auquel la paroi rocheuse taillée à même la colline de Bézatha servait de mur latéral. Au-dessous de la porte, on avait percé deux ouvertures dans l'ancien tombeau asmonéen pour faire de celui-ci un poste de surveillance, où se tenait le corps de garde. Toute cette partie est aujourd'hui dégagée par les archéologues.
Lorsqu'on avait franchi l'entrée monumentale, on se trouvait dans une immense cour à ciel ouvert, où Pilate avait bien pu en effet établir son tribunal et dont Josèphe mentionne précisément le dallage remarquable.
Un tiers environ de la surface totale du dallage original est désormais visible. Patinés par des siècles, taillés dans le calcaire du pays, de teinte rose ou rouge, ces pavés, intacts pour la plupart, sont parfois creusés d'une rigole qui collectait l'eau de pluie, parfois striés en surface, pour donner plus d'assurance aux sabots des chevaux. Près d'une marche, quelques dalles sont gravées de mystérieux dessins, quadrillages, cercles, symboles figurés, sorte de « marelles » sur lesquelles les gardes jetaient des osselets.
Sur l'une d'elles, on a reconnu un « jeu-du-roi », dont le gagnant était nommé « souverain » : celle, peut-être, où se tint Celui dont les soldats firent un roi de dérision, avec sa cruelle couronne d'épines.
Depuis peu, cependant, certains estiment que Pilate ne résidait pas dans l'Antonia, mais dans l'ancien palais d'Hérode, appelé aujourd'hui « la citadelle » : dans la muraille occidentale de la ville, près de la porte de Jaffa. Cette nouvelle localisation du prétoire obligerait bien sûr à modifier du tout au tout le tracé de la « voie douloureuse ». Selon les partisans de cette hypothèse, le lithostrotos de « l'Antonia » aurait été en fait construit seulement en 135 après Jésus-Christ, par les Romains, lorsque Jérusalem devint l'Aelia Capitolina de l'empereur Hadrien. C'est ainsi que la vieille citerne hérodienne, retrouvée sous le pavement, aurait été alors couverte. Il s'agit d'un immense réservoir dont la double voûte ménage deux tunnels jumelés de 2 mètres de long sur 14 de large, parfaitement préservée; le mur de soutènement, massif, est percé d'arcades. L'eau de pluie était amenée là par des caniveaux et des gouttières, et ce dispositif, encore en usage, fournit une eau fraîche et limpide.
Si l'authenticité du Lithostrotos est ainsi discutée, celle de l'arc dit de l' « Ecce Homo », qui enjambe la Via dolorosa juste à cet endroit, ne l'est plus par personne; cet ouvrage, lui, date bien de l'an 136 de notre ère. Il appartenait à la porte monumentale à trois baies d'Aelia Capitolina et se trouvait flanqué de deux autres arches de moindres dimensions dont l'une est insérée dans le choeur de la basilique des Dames de Sion. La tradition qui situait en ce lieu la scène évangélique de l'Ecce Homo (JEAN, chap. 19, vers. 4-5), date de l'an 1500 environ.
Jésus fut-il jugé à l'Antonia ou dans le palais d'Hérode, où les bouleversements de deux millénaires ont pu effacer les traces de tout « lithostrotos » ou « gabbatha »? La foi, ni même la dévotion des chrétiens ne tiennent au transfert d'un lieu de pèlerinage sur 6 ou 700 mètres.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 83