C'est au séculaire bon sens populaire et paysan qu'il faut demander le plus ancien fond du livre des Proverbes. Sagesse qui vient de la terre et y découvre des règles de vie : la manière de tracer un sillon, le triste épilogue de la fainéantise, les moeurs des animaux, l'importance des bornes qui délimitent le champ, rien de tout cela n'échappe à l'oeil perspicace de ces La Fontaine de l'Antiquité biblique. La sagesse du marchand n'a rien à envier à celle du meilleur observateur et du plus fin psychologue : elle connaît les tics du client, l'obséquiosité du collègue ou le trafic des poids opéré par le concurrent. Celle du père de famille, de « l'homme quelconque » l'amène, jour après jour, à s'interroger sur le travail, l'éducation de sa progéniture ou l'ambivalence de la femme, toujours aimée, mais souvent tentatrice. Au total, à la grande différence des autres livres de la Bible qui plus souvent trouvent leur inspiration dans la méditation de l'histoire passée et présente, les Proverbes partent de l'expérience du vécu quotidien; c'est pourquoi sans doute ses observations, même les vertus de son royaume et les conditions de la citoyenneté.
La théologie des « dicte du roy »
Il reste qu'à première vue la théologie, la foi et la religion ne semblent guère avoir affaire en tout ceci. Il est vrai que les Proverbes sont sans doute le premier produit de la sécularisation, l'entrée du « sacré » dans le siècle, phénomène que l'on croit neuf aujourd'hui. Les sages ne pensent pas que leur foi en un Dieu unique ne trouve à s'exprimer qu'au Temple ou dans les sacrifices à Yahvé. Le monde et l'existence sont tout entiers remplis de Dieu.
Au reste, le monde est pour eux la création; nos « choses » sont des créatures; et il n'y a pas d'« animal raisonnable » mais un couple créé par Dieu et promis à son amour. Dès lors, le marchand qui vérifie la justesse de sa balance, le laboureur qui trace droit son sillon ou le scribe qui copie avec agilité contribuent à rendre la création plus belle, plus conforme au dessein du Créateur, plus habitable pour les hommes qui la peuplent.
N'est-ce pas là une part importante du programme de Moïse, du yahvisme... et des chrétiens ?
Jean-Pierre Charlier o.p.
En ce temps-là, la BibleNo 49 page I.