juive et chrétienne
On sait que Judas, le plus prestigieux des chefs qui conduisirent la lutte des Juifs fidèles pour la défense de la Loi, de la foi, et de la liberté, mérita le surnom de « Maccabée ». La signification du terme est probablement « marteau », parce que ce rude soldat frappait durement et à coups sûrs, comme le Charles « Martel » de notre histoire de France. Ce « titre » désignera ensuite toute la famille à laquelle appartenait « Judas Maccabée », mais aussi tous ceux qui se sont ralliés à la cause qu'il servit : celle de la Loi mosaïque d'abord, puis de l'indépendance nationale qui permettait sa stricte observance. On trouve donc parmi les « Maccabées » des martyrs et des héros. De ceux-ci la tradition juive est seule juge. De ceux-là la tradition chrétienne aussi s'est éprise.
La place tenue par le souvenir des Maccabées dans la tradition juive est quelque peu ambiguë.
Certes le recul inattendu du tyran païen devant ces héros de la foi fut toujours un encouragement, pour les hommes pieux, à mettre leur confiance d'avenir dans une action directe du Seigneur. Et plus tard, au temps de l'occupation romaine, on se représenta bien souvent le Messie futur comme une sorte de Judas Maccabée glorifié et venant bouter le Romain hors de la Palestine, comme jadis le fut la tyrannie des « Grecs ».
Cependant l'école pharisienne ne semble avoir nourri qu'une admiration limitée pour les « glorieux frères ». Cette immense compilation d'anecdotes, de légendes et de leçons basées sur l'histoire d'Israël qu'est le Talmud, se tait presque entièrement sur les Maccabées.
Pour tous : des héros.Pour certains : des rois « illégitimes »
La principale raison de cette méfiance des « rabbis » conservateurs pour les Asmonéens (famille et dynastie des Maccabées), c'est qu'ils considéraient comme une usurpation sacrilège de leur part de s'être attribué la royauté. Seul, à leur point de vue, un descendant de David pouvait légitimement monter sur le trône afin de régner sur le peuple de Dieu; et le cumul du sacerdoce et de la royauté (les Asmonéens étant de caste sacerdotale) devait nécessairement entraîner les plus grands maux pour la nation.
Progressivement, une aversion profonde et une opposition constante opposeront les Pharisiens (nom des membres de la secte de tendance « conservatrice ») à la cause des Asmonéens. Aristobule, Jean Hyrcan et Alexandre Jannée, grand-prêtres et princes de la dynastie asmonéenne, s'appuieront sur les Sadducéens (nom des membres d'un parti plus ouvert à l'évolution) et se livreront parfois à des persécutions sanglantes contre leurs adversaires. On peut dès lors comprendre que les écrits rabbiniques d'inspiration pharisienne n'aient guère été bienveillants pour les Maccabées. tout en reconnaissant probablement leur courage et la noblesse de leur cause. Dans son inspiration profonde le mouvement pharisien tendait à une intériorisation du sentiment religieux : de ce point de vue, le judaïsme pouvait fort bien se passer de l'autonomie nationale pour survivre et demeurer fidèle à sa vocation.
Avec les Maccabées le mouvement pharisien aura pourtant de commun l'héroïsme du martyre, lorsqu'il sera demandé de choisir entre la vie et la fidélité mais il n'aura jamais la même ardeur guerrière, ni l'ambition politique.
En notre temps, le sionisme fut forcément enclin à voir de lointains ancêtres dans ces héros de l'indépendance, farouches partisans de l'autonomie nationale. Dès 1 932 les premiers jeux olympiques juifs prenaient le nom de « Maccabiades », qu'ils ont gardé depuis. Et l'équipe nationale est celle des « Maccabi ».
Dans l'Israël moderne, la fête de la dédicace du nouvel autel du Temple purifié (1er Maccabées, chap. 4, vers. 54 et suivants, 20 Maccabées, chap. 2, vers. 20; chap. 10, vers. 6 et suivants): donne lieu, depuis 1948, à la course des porteurs de torches de la liberté, allumées à un grand feu de joie à Modin, village natal des Maccabées. Ces torches sont transportées dans tout Israël, puis à Jérusalem sur le mont Herzl, où repose le « prophète » fondateur de l'État juif actuel.
La tradition chrétienne, elle, a surtout retenu les martyrs : les « Maccabées », morts pour leur foi (2e Maccabées, chap. 7), devaient prendre place parmi cette nuée de témoins qu'évoque l'auteur de l'Épître aux Hébreux. Il semble que se soient confondus dans le même souvenir ceux qui triomphèrent des puissances du mal par leur propre supplice et ceux qui «devinrent de vaillants guerriers et bouleversèrent les bataillons de l'étranger» (Épître aux Hébreux, chap. 1 1 , vers. 34). Il se pourrait encore qu'il s'agisse d'eux lorsqu'il est question de ceux qui ont erré « dans les solitudes, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre » (chap. 11 , vers. 38) ; on sait que le combat des Maccabées s'est très largement localisé dans les monts du désert de Juda.
Un lien d'un Testament à l'autre
Mais les sept frères, dont le martyre est relaté au chapitre 7 du 21 livre des Maccabées, devaient occuper une position quelque peu inattendue : ils représentent le dernier chaînon entre l'Ancien et le Nouveau Testament, et leur témoignage tend à structurer le judaïsme dans cette rigueur et cet exclusivisme où nous le retrouverons au moment de la venue du Christ. Les Pères de l'Église les ont tenus en haute estime : au moment même où ils vitupéraient contre le judaïsme, ils célébraient les Maccabées comme des chrétiens par anticipation.
Sur cette lancée, saint Augustin lui-même, va très loin : « Si Moïse, dit-il. a parlé du Christ dans ses écrits, il s'ensuit qu'être mort réellement pour la Loi de Moïse. c'est avoir donné sa vie pour le Christ.. Que nul n'hésite à imiter les Maccabées et qu'on se garde de croire qu'en les imitant on n'imite pas des chrétiens » (Sermon 300). Parfaitement inconscient de l'énormité de ses propos, l'évêque d'Hippone va jusqu'à s'indigner du fait qu'un Juif puisse revendiquer les Maccabées pour sa propre foi !
Saint Grégoire de Nazianze, lui, procède par a fortiori : « Beaucoup ne les honorent pas parce qu'ils n'ont pas combattu après le Christ. Cependant ils sont dignes d'être vénérés de tous parce qu'ils ont donné leur vie pour la foi et les Lois de leurs pères. Ceux qui ont subi un martyre si courageux avant la Passion du Christ, que n'auraient-ils pas enduré après avoir eu l'exemple de la mort de notre Sauveur? »
Saint Jean Chrysostome réfute encore les critiques faites par certains chrétiens contre le culte rendu à des martyrs juifs sous prétexte qu'au lieu de verser leur sang pour le Christ ils ne l'ont versé que pour la Loi ancienne et les prescriptions de cette Loi, « égorgés qu'ils furent pour des viandes de porc ».
De tels sermons des Pères étaient prononcés à l'occasion des vigiles solennelles qui précédaient le 1er août, la fête des Maccabées, en même temps que de « saint Pierre aux liens ». En effet depuis la fin du IV, siècle le martyrologe officiel de l'Église romaine a fait une place à ces martyrs de l'Ancienne Alliance.
Voilà qui procédait sans doute d'un double souci.
L'Église chrétienne tenait d'abord à illustrer ainsi la continuité entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance. Au moment où les persécutions sévissent contre les chrétiens, c'est aux martyrs de l'histoire d'Israël qu'on a recours pour trouver des modèles à ceux qui subissaient à leur tour la persécution des païens : les Maccabées eux aussi sont morts pour leur foi.
... Des « saints »
Parallèlement, une démarche se développa sur les lieux mêmes où la tradition situe le supplice et où s'est développé le culte des sept frères : on y vénérait leurs reliques. Or, de ces reliques, des miracles s'opéraient; l'enthousiasme des foules se donna alors libre cours, et dès le temps où le sanctuaire était une synagogue. Il n'est donc pas impossible que ce soit également pour obvier au danger de syncrétisme et de judaïsation, que l'autorité chrétienne ait tenu à faire de ceux qui était l'objet d'une telle vénération des " saints » reconnus comme tels par l'Église.
On ne peut que regretter que les textes des Pères de l'Église qui nous sont parvenus ne poursuivent cas jusqu'au bout les implications 'théologiques de ce culte qu'ils promouvaient, au regard du judaïsme qu'ils côtoyaient de si près.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 39 pages I-II.