condamnées par les oracles prophétiques
Hors les « grandes puissances » que furent l'Égypte et l'Assyrie avant l'hégémonie de Babylone, où même le royaume syrien de Damas (Aram) qui s'avéra longtemps solide et redoutable, Israël dut affronter tout au long des siècles les peuplades de Transjordanie que la grande histoire a quelque peu oubliées aujourd'hui. La Bible porte cependant témoignage de ces luttes, et les prophètes ont proféré d'abondants oracles contre Ammon, Moab et Édom, nations impies, ennemis du peuple de Yahvé, donc de Yahvé lui-même.
Les tribus araméennes qui occupaient les territoires situés au-delà du Jourdain et de la mer Morte ne s'étaient jamais résignées à l'intrusion des clans de Ruben, Gad et Manassé (JOSUÉ, chap. 13, vers. 8-32), et guère mieux au voisinage du vigoureux petit peuple installé en Canaan. Plus ou moins organisés selon les époques, les « états » qu'elles formèrent ajustaient au gré des circonstances leurs frontières mouvantes au long de l'axe constitué par la « grand route » (NOMBRES, chap. 20, vers. 17) menant de Damas à Aqaba sur la mer Rouge, se disputant les tranches du haut plateau raviné par les failles profondes des ouadi.
Édom, parfois plus riche que Juda
Dès le XIII, siècle av. J.-C., on trouve trace du plus méridional de ces « royaumes » : celui d'Édom, bordé par le désert à l'est et qui s'étendait sur quelque 150 km de profondeur au sud de la mer Morte.
Villes et villages y poussèrent drus, dressant des maisons solidement construites en pierre, et protégés par une ligne de forteresses édifiées sur des sommets, en général assez proches les unes des autres; ainsi pouvaient-ils communiquer le jour par des signaux de fumée, la nuit en jouant de la lueur des feux.
Du XIII, au VI, siècle av. J.-C., Édom paraît avoir joui d'une économie très satisfaisante grâce à une agriculture intensive, à l'élevage, au commerce et même à l'industrie. Les Édomites en effet connaissaient l'emplacement des mines de cuivre de l'Araba et durent vraisemblablement les exploiter eux-mêmes. Il est probable que l'hostilité très marquée des Israélites à leur égard n'est pas sans rapport avec la concurrence qui opposait les voisins pour la possession de ces gisements.
Aux environs de l'an 800 av. J.-C., la domination assyrienne sur toutes les nations, de l'Euphrate à la « Grande mer », ne ruina pas les Édomites qui payaient à Assur un tribut pourtant plus important que celui qui fut imposé aux habitants de Juda : lorsque dix mines d'argent étaient exigées de ceux-ci, ceux-là en devaient douze. Ammonites et Moabites étaient, dans le même temps, taxés les uns de deux mines d'or, les autres d'une seule. L'imposition du suzerain se voulait proportionnelle à la richesse de chaque pays soumis; or celle d'Édom était la plus lourde.
Les vestiges de céramique antérieurs au VI, siècle av. J.-C., découverts sur les sites de son habitat reflètent une civilisation fort honorable : on les peut comparer aux objets de la même époque retrouvés en Cisjordanie, portant seulement la marque d'une influence assyrienne ou syrienne plus nette.
Moab, patrie de Ruth, mais aussi du sauvage Mésa
Plus au nord, sur la rive orientale de la mer Morte, le pays de Moab, patrie de Ruth, eut pour limite septentrionale l'Amon tant que la tribu de Ruben et les rois d'Israël furent assez forts pour la faire respecter, ce qui ne dura pas. Ainsi, au milieu du IXe siècle av. J.-C., vit-on le roi moabite Mésa s'affranchir de la tutelle de Joram, le successeur d'Achab, et du lourd tribut auquel il aurait été soumis : la laine de cent mille béliers ! A cette occasion les rois d'Israël et de Juda, un temps réconciliés, envahirent le pays. Ils paraissaient tout près de la victoire lorsque, en un geste barbare, Mésa sacrifia son fils aîné sur les remparts de Qir-Hérès, sa capitale (2e ROIS, chap. 3). Sans que l'on connaisse la raison exacte de leur détermination, les Israélites battirent alors en retraite et, pour commémorer la libération de Moab, fut gravée la célèbre stèle retrouvée à Diban, et conservée au musée du Louvre. Les Moabites devaient eux aussi tomber sous le joug assyrien avant d'être absorbés par les Nabatéens, d'origine arabe.
L'irréductible Ammon
Le troisième des royaumes transjordaniens contre lesquels s'en prit notamment le prophète Ezéchiel (chap. 25) était celui d'Ammon, dont les principales possessions couvraient le cours supérieur du Jabboq. Sa terre, relativement riche et fertile, était solidement défendue par un important Système de fortifications dont les plus puissantes couvraient Rabba, la capitale (l'actuelle Amman, capitale de la Jordanie). Ses ingénieurs avaient édifié la série de tours circulaires de construction mégalithique, quasiment indestructibles, dont on a retrouvé les vestiges.
On sait que l'armée de David en vint pourtant à bout (2e SAMUEL, chap. 12, vers. 26-31), mais on doute que les Ammonites soient restés bien longtemps les vassaux d'Israël. Sans doute durent-ils, au hasard d'autres guerres, payer parfois tribut aux rois de Juda; mais même après avoir subi, comme tous, la domination d'Assur, de Babylone, des Perses puis des Séleucides, on les verra encore comme les Édomites (Iduméens) en lutte contre Judas Maccabée. Les archéologues ont fouillé de nombreuses tombes autour d'Amman et leurs trouvailles : poteries de qualité, pierres sculptées, sceaux inscrits, figurines de cavaliers, montrent que ce peuple intraitable, adorateur de Molok, affamé de victimes humaines, connut aussi un confort et un développement artistique à peu près égal à celui de Moab.
Au nord du Yarmouk enfin, sur la rive orientale du lac de Tibériade et du cours supérieur du Jourdain, s'étend le pays du Basan, celui du roi Og selon le Deutéronome (chap. 3). S'il échappe aux malédictions des prophètes, c'est que depuis la conquête qui l'aurait livré à la demi-tribu de Manassé (NOMBRES, chap. 32, vers. 33). il ne fut jamais « un royaume », mais passa de la souveraineté des rois israélites de Samarie à celle des rois araméens de Syrie, pour revenir à Israël, et finir également aux mains des Assyriens : dès le VIII, siècle av. J.-C., Téglat-Phalasar III l'avait définitivement incorporé à leur empire.
Comme Ammon, Moab, Édom, Basan devait être plus ou moins envahi au cours du V ème siècle av. J.-C., et malgré la suzeraineté du lointain maître mésopotaméen, par les nomades bédouins du désert syro-arabe, avant que les Nabatéens rendent à la Transjordanie quelque éclat, au cours des deux derniers siècles de l'ère ancienne.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 67