symbole de " l'agréable odeur" de la vertu ou de la prière du juste
Le peuple de la Bible, comme ses voisines du temps, avait pour les parfums un goût prononcé. Les auteurs sacrés n'expriment-ils pas la satisfaction du Dieu d'Israël lui-même, recevant de ses fidèles le culte qui lui est dû, par une expression très caractéristique : offrandes et sacrifices sont à Yahvé « en agréable odeur » (EXODE, chap. 29, vers. 18, 25, 41)? On n'ose assurément comparer la senteur des graisses et des chairs brûlées sur l'autel des holocaustes aux émanations de « l'huile odorante et des parfums qui réjouissent le coeur de l'homme » (PROVERBES, chap. 27, vers. 9); ces derniers étaient utilisés pour la toilette aux jours fastes et dans les cassolettes des demeures heureuses. Mais ces préparations, quoique très différentes de celles que la Loi réservait aux onctions sacrées ou au culte, et dont nul n'avait le droit d'user à des fins profanes (EXODE, chap. 30, vers. 32-33, 37-38), devaient cependant embaumer avec une vigueur qui surprendrait l'odorat de l'occidental d'aujourd'hui. Toutes étaient composées « selon l'art du parfumeur » (vers. 35), dont l'Orient d'ailleurs garde les secrets.
De nombreux passages de l'Écriture et les plus anciens commentaires qui en furent faits permettent d'apprécier l'importance de la fabrication, du commerce et de l'emploi des parfums dans la société biblique. Elle est constante à travers les siècles : la Genèse (chap. 37, vers. 25) montre par exemple la caravane des marchands ismaélites auxquels les fils de Jacob vendent leur frère Joseph, transportant de Galaad en Égypte « des parfums, de la résine et de la myrrhe »'-, lorsque, quatre, cinq ou six cents ans plus tard, la reine de Saba rend visite à Salomon, ce sont des aromates qu'elle lui apporte, présentés parmi les plus précieuses richesses (le, ROIS, chap. 10, vers. 2 et 10); après l'Exil, lors de la reconstruction des murailles de la cité sainte, la corporation des parfumeurs est représentée sur le chantier (NÉHÉMIE, chap. 3, vers. 8). Au temps du Christ enfin, le commerce et la consommation d'aromates restaient tels, à Jérusalem, qu'on disait, selon la Mishna : « Si l'on ajoutait un peu de miel dans les parfums à brûler, l'odeur en serait si forte que le monde entier ne pourrait le supportera » (YOMA IV, 5).
Une trentaine de parfums divers sont mentionnés dans l'ensemble de la Bible, mais c'est assurément dans le Cantique des cantiques qu'on relève la plus forte densité de citations ayant trait aux produits odoriférants. Dès le second verset, la fiancée dit de son bien-aimé : « L'arôme de tes parfums est exquis, ton nom est une huile répandue... » Puis, tout au long du poème, de telles images célébreront le charme de l'un ou l'autre des époux. A lui seul, l'éloge de la bien-aimée au chapitre 4 évoque, pense-t-on, les principaux « parfums bibliques », encore que la traduction des termes soit parfois bien conventionnelle.
Il serait dommage par exemple de se priver, au verset 13, du mot cypre, tellement plus poétique que henné. C'est pourtant bien de henné que probablement il s'agit. L'arbrisseau ainsi désigné, aux longues grappes de fleurs très odorantes, prospère dans la vallée d'Engaddi, fournissait parfum et fard. Le nard lui est allié du pivot de la racine de cette plante originaire de l'Inde, on extrayait une huile à riche senteur qui servait à la confection d'onguents.
Le baume (en hébreu « bosem ») n'est guère cité que dans le Cantique, mais c'est assez pour que son nom soit devenu synonyme d'aromate. Le baumier est par excellence « l'arbre à parfum ». De l'extrémité de ses branches coule, en gouttelettes transparentes, un liquide résineux très apprécié des femmes israélites comme produit de beauté. L'étude des termes employés dans l'hébreu permet de supposer que la reine de Saba en offrit à Salomon (1er ROIS, chap. 10, vers. 2 et 25), et qu'on en trouvait dans le trésor du roi Ézéchias (2e ROIS, chap. 20, vers. 13; ISAIE, chap. 39, vers. 2). On le récolte également à Engaddi, mais encore dans la vallée du Jourdain, près de Jéricho, et surtout en Arabie méridionale. D'où le trafic qu'on en faisait entre Tyr, Saba et Rama (ÉZÉCHIEL, chap. 27, vers. 22).
Employé pour l'ensevelissement des morts (2e CHRONIQUES, chap. 16, vers. 14; MATTHIEU, chap. 1 6, vers. 1 ), le baume entrait aussi dans la composition des parfums sacrés utilisés pour le culte (EXODE, chap. 25, vers. 6; chap. 20, vers. 34; chap. 35, vers. 8, 28; 11, CHRONIQUES, chap. 9, vers. 29-30).
D'autres résines, distillées naturellement comme celle du baumier, ou obtenues par incision, étaient utilisées pures ou mélangées. C'est le cas notamment de l'encens (en hébreu : « lebônâh ») et de la myrrhe (en hébreu « môr » ou « derôt ») ; l'un et l'autre sont des résines. Tous deux ont une place de choix dans le Cantique (chap. 4, vers. 6) : la bien-aimée est la « montagne de la myrrhe » et la « colline de l'encens ».
Parfums encore, « le safran, le roseau aromatique et le cinnamome » (CANTIQUE, chap. 4, vers. 14). C'est sans doute la cannelle (en hébreu : « qinnâmon ») qui est désignée par l'expression « roseau aromatique » : elle servait à préparer l'huile d'onction (EXODE, chap. 30, vers. 23). De l'aloès également on tirait une essence odoriférante (PSAUME 44, vers. 9, par exemple).
Un riche symbolisme
Manifestation de la joie divine et expression de l'intimité des êtres, le parfum, comme en témoigne le Cantique des cantiques, s'accompagne d'un riche symbolisme. « Il est, dit le R.P. Gilles Becquet, dans le Vocabulaire de théologie biblique, cette vibration silencieuse par laquelle un être exhale son essence et laisse percevoir le murmure de sa vie cachée. »
Le Nouveau Testament aussi connaîtra ce symbolisme. On sait que de la myrrhe et de l'encens furent offerts par les mages à l'Enfant de Bethléem (MATTHIEU, chap. 2, vers. 1 1 ), que Marie de Béthanie répandit sur les pieds de Jésus un parfum de grand prix (JEAN, chap. 12, vers. 3), au scandale de Judas qui pensait qu'on aurait pu économiser là trois cents deniers pour les donner aux pauvres. On sait encore que Jésus conseillait à ses disciples de se parfumer lorsqu'ils jeûnaient afin que leur pénitence soit connue non des hommes mais de Dieu seul (MATTHIEU, chap. 6, vers. 17-18). Saint Paul, lui, invitera le chrétien à répandre « la bonne odeur du Christ » (2e CORINTHIENS, chap. 2, vers. 14-17), et l'Église, dans les sacrements de baptême et de confirmation, marquera ses fidèles du « chrême du salut » dont la composition rappelle celle de l'huile d'onction de l'Exode(chap. 30).
Georges DAIX
En ce temps-là, la BibleNo 52 pages II-III.