Le prophète de l'Exil parmi les exilés
Trois déportations successives vers la Babylonie ont saigné à blanc le pays de Juda: l'une en 597 av. J.-C., à la suite des menées du parti pro-égyptien de Jérusalem (2 e ROIS, chap. 24, vers. 10- 17) ; l'autre, la principale, en 586, après la prise, le pillage et l'incendie de la ville, conséquences d'une révolte ouverte contre Nabukodonosor (2e ROIS, chap. 25, vers. 12); la troisième en 581, qui suivit de peu l'assassinat du gouverneur Godolias (JÉRÉMIE, chap, 52, vers. 30). Elles ne laissent dans l'ancien royaume du sud qu'une population infime, composée de gens modestes, et qui, du point de vue religieux, ne peuvent être à l'origine d'un renouveau.
Au contraire, les exilés représentent l'élite politique et religieuse du royaume. C'est pratiquement Juda transporté en terre babylonienne avec ses chefs : notables, prophètes, prêtres. Parmi ces derniers, Ézéchiel, fils de Buzi, qui vraisemblablement fit partie de la première caravane avec le roi Joakin, « sa mère, ses serviteurs, ses chefs et ses eunuques ». Disciple de Jérémie, il reprendra à Babylone l'enseignement de son maître, poussant la réflexion prophétique un pou plus loin encore. D'un tempérament différent, peut-être moins vulnérable, il souffrira néanmoins comme lui de l'indifférence des uns et de l'endurcissement des autres. mais surmontant lui aussi l'adversité, il saura adapter son enseignement aux circonstances. Ses vues d'avenir seront spécialement marquées par l'amour du Temple, du sacerdoce et de la liturgie; c'est qu'il appartenait lui-même à une famille sacerdotale.
Les infidèles désespérés appelés à la sainteté
Trois thèmes principaux s'imposent à Ézéchiel : le destin de son peuple, la vocation d'Israël et son infidélité.
Sous les derniers rois de Juda, l'invasion du paganisme avait accompagné et même devancé celle des armées païennes. Le Dieu d'Israël n'eut plus cette place unique qu'il avait réclamée pour que l'Alliance fût valable. Et transportés « sur les rives du fleuve », les exilés se demandent si Yahvé s'intéresse encore à eux : s'il est demeuré dans son Temple de Jérusalem, peut-il être aussi à Babylone? La vision inaugurale de la mission du prophète répond à cette question. Les quatre roues du char, dont chacune va vers l'un des quatre points cardinaux et dont les jantes sont couvertes d'yeux, indiquent l'omniprésence divine. Mais dans le même temps encore que son maître Jérémie, demeuré en Palestine, le prophète de l'Exil considère que le châtiment est inéluctable. Les déportés de 597 pensaient que la victoire de Nabukodonosor ne serait que temporaire et qu'eux-mêmes retourneraient bien vite dans la ville sainte. Ézéchiel va donc s'acharner lui aussi contre cette illusion. En présence d'une paganisation qui atteint le Temple lui-même, Dieu va quitter le sanctuaire, dont la souillure est en opposition radicale avec la sainteté de Celui qui l'habite (chap. 8 et 11). Aussi la ville sera-t-elle prise et la « Demeure » détruite.
De fait en 586 c'en est fini; dans le tumulte des armes et le fracas des écroulements, l'histoire tourne la page. Et les nouveaux exilés n'apportent à ceux qui déjà se morfondaient à Babylone qu'un motif de désespérance, confirmant les oracles des prophètes et notamment ceux d'Ézéchiel. Ils avaient trop raison. Si Dieu avait ainsi traité « les siens », n'est-ce pas qu'il les abandonnait définitivement? Le retour dans la terre des ancêtres ne devenait-il pas impossible à jamais? Bientôt les déportés diront en effet : « Notre espérance est morte, nous sommes perdus. » C'est alors que le prophète se met à prêcher la confiance, en même temps que les cercles sacerdotaux s'emploient à faire réfléchir les malheureux sur la nature de l'Alliance et sur les obligations qui attendent les futurs rapatriés.
La fameuse vision des « ossements desséchés » (chap. 37) montrera que Yahvé est capable de rendre vie à son peuple. Mais que celui-ci ne s'y trompe pas : si Dieu en décide ainsi, c'est pour « sanctifier son nom », alors qu'il a été profané par ceux-là mêmes qui étaient engagés à le préserver et à l'honorer entre tous. Il s'agit donc, l'Alliance ayant été trahie, d'un acte purement gratuit, d'une grâce nouvelle. Et quand Israël sera retourné en Terre promise, il devra se souvenir sans la moindre défaillance des exigences divines. Le Temple et le pays, les prêtres et le prince, jusqu'au moindre des participants à la communauté nouvelle, tout devra refléter la présence du Dieu de sainteté qui a dit : « Soyez saints parce que je suis saint » (LÉVITIQUE, chap. 1 1 , vers. 44).
Sans doute est-ce à partir de cette époque que la prononciation même du saint nom de « Yahvé » fut strictement réservée, afin qu'il fût préservé de toute souillure.
J. DHEILLY
Professeur à l'institut catholique de Paris
En ce temps-là, la Bible No 65 page IV