PROCES DE REHABILITATION (1)
Et si nous parlions un peu de Jacob, fils d'Isaac ? "Ah oui ! dites-vous, Jacob le trompeur ! " - non ! vous vous trompez. Il y a de nos tromperies dont Jacob aurait rougi...
Tenez : c'est un fait que la Bible n'énonce jamais le moindre reproche au sujet de Jacob. Pourtant, il en est peu qui soient autant malmenés que lui, et cela dans la plupart des commentaires, où il est régulièrement traité de trompeur, de maniganceur, de fin rusé, et que sais-je. Par contre son frère, que la Bible traite de méprisant, de débauché et de profanateur, c'est le gars sympathique, le bon type qui va à la chasse et apporte à son père du gibier qu'il prépare en venaison succulente, alors que son frère est le faiblard fourré dans les jupes de sa mère.
J'ai mis du temps à découvrir la valeur que DIEU attribue à ces deux frères, et je suis arrivé à des conclusions souvent étonnantes. Non, ce n'est pas Esaü qui est estimable, voir louable, mais Jacob; et ce dernier n'est pas déplaisant et méprisable, mais son frère. C'est là le jugement de la Bible. Vous connaissez cette parole choquante : J'ai aimé Jacob et j'ai eu de la haine pour Esaü, paroles de Malachie que Paul rappelle aux Romains.
Voyons comment la parole de Dieu évalue Jacob et Esaü. J'imagine que vous connaissez les faits saillants de leur histoire, aussi me bornerai-je à des citations révélatrices ici et là. Cela n'empêche pas que vous relisiez Genèse 25.19-28.22, lecture qui vous demandera un quart d'heure.
Gen 25.21-23 montre que Dieu révéla à Rébecca que le plus grand des deux enfants dans son sein, Esaü, serait le serviteur du plus petit, Jacob. Rébecca n'aura pas manqué d'en informer Isaac. Dieu avait donc choisi Jacob dès avant sa naissance.
Gen 25.27-28 décrit Esaü et Jacob. Esaü était un habile chasseur, épithète qui a la connotation de rusé. Esaü chassait pour le sport, car les nombreux troupeaux fournissaient toute la viande nécessaire. Esaü suivait les traces de Nimrod, vaillant chasseur contre l'Eternel (trad. litt.).
Jacob, lui, est qualifié de tranquille, litt. intègre, même mot employé pour Job: un homme intègre et droit (Job 1.1).
Jacob savait qu'il hériterait des promesses. Esaü aussi, de même qu'Isaac. Dieu avait exprimé sa volonté. Pourtant Isaac préférait Esaü pour une raison de gourmandise : parce qu'il avait du goût pour le gibier (qu'Esaü lui apprêtait). Isaac avait probablement déjà annoncé qu'il donnerait la bénédiction du premier-né à Esaü, qui ne s'y intéressait que par le côté matériel, alors que Jacob désirait avant tout les privilèges spirituels qui s'y attachaient.
Esaü a montré le peu de valeur qu'il attachait au droit d'aînesse en l'échangeant contre une soupe aux pois ! Jacob, connaissant la cupidité d'Esaü, lui fit faire un serment. Esaü n'était aucunement obligé de jurer. Vu que Jacob était près des tentes, il y avait assez de possibilités pour Esaü d'apaiser sa faim en faisant quelques pas de plus. - La Bible ne condamne jamais Jacob pour cette action, alors qu'elle condamne Esaü : C'est ainsi qu'Esaü méprisa le droit d'aînesse (Gen 25.34); ce reproche est répété dans Héb 12.16.
Quelles furent les raisons qui poussèrent Jacob à acquérir le droit d'aînesse, tout à fait légitimement d'ailleurs ? D'une part, il savait par Rébecca que Dieu l'y avait prédestiné d'autre part, il manquait de foi, tout comme Abraham, qui crut devoir aider l'accomplissement de la promesse par Agar.
Jacob devait encore apprendre l'efficacité de la prière de la foi. Ne sommes-nous pas tous logés à la même enseigne ?
Le moment vient où Isaac se sent vieux (il a cent ans... mais il ne mourra qu'à 180 ans), et il veut bénir Esaü. Il ne dit rien à Rébecca, qui sait quel choix Dieu a opéré.
Alors Rébecca s'affole : "Ca y est, il va bénir le faux !" Que faire ? Prier, bien sûr; faire confiance à Dieu, qui saura bien accomplir son plan. Mais voilà - combien de fois n'avons-nous pas agi ainsi, alors qu'il fallait prier et croire ?...
Rébecca a toujours agi rapidement. Elle fait valoir son autorité maternelle et dit à Jacob: Fais ce que je te commande (27.8). Elle persuade Jacob de se faire passer pour Esaü. Jacob est réticent: il ne veut pas passer aux yeux de son père pour un trompeur (27.12), litt. un moqueur. Jacob ne veut pas que son père pense qu'il se moque de sa cécité, car il l'aime et le respecte.
Rébecca pensait-elle vraiment qu'Isaac se laisserait induire en erreur si facilement ? Ou voulait-elle provoquer un choc en faisant réaliser à Isaac, qu'elle aimait, qu'elle mettait même son amour en jeu pour que s'accomplisse le plan de Dieu à l'égard de Jacob ?
Encore une fois, je constate que Dieu n'a jamais adressé de reproche à Rébecca ou à Jacob pour leur action. Au contraire, la suite montre que Dieu y mit sa bénédiction.
1 Sam 16.7 dit: L'homme regarde à ce qui frappe les yeux (ici l'expédient trompeur né du désespoir), mais l'Eternel regarde au coeur (ici l'intention de faire réussir le plan de Dieu). C'est pourquoi Jésus avertit de ne pas juger les autres, car Dieu seul connaît le mobile de leurs actions. Telle "belle action" peut être pourrie, alors que telle autre action paraissant répréhensible peut découler d'intentions louables.
Non, il n'est pas question de minimiser l'acte de tromperie exécuté par Rébecca et Jacob. Jacob sera trompé à son tour et ne manquera pas de faire la relation entre son acte et les conséquences. Ce qu'un homme sème, il le moissonnera.
Je vous rappelle cependant un incident dans l'Exode. Les sages-femmes, qui avaient reçu l'ordre de tuer tous les bébés israélites mâles à leur naissance, n'en firent rien. Quand Pharaon les interrogea, elles racontèrent un mensonge flagrant (Ex 1.19); et le v. 20 dit: Et Dieu fit du bien aux sages-femmes (= il les bénit). Il faut en conclure que leur action avait donc eu l'approbation de Dieu. Oui, Dieu a une mesure souveraine, la sienne. De même Rahab, la prostituée de Jéricho, avait menti concernant les espions juifs - et elle est mentionnée parmi les héros de la foi dans Héb 11 ! Le fait de sauver les espions de la mort pesait plus lourd que le mensonge qui leur sauva la vie.
Quand Isaac se rendit compte qu'il avait béni Jacob, le texte dit: il tressaillit d'un grand tremblement, très fort (trad. Chouraqui). Car il se rendit tout à coup compte que Dieu l'avait empêché de bénir Esaü, son préféré, contrairement à la volonté de Dieu. Il avait évité de justesse une très grande désobéissance envers Dieu. Quant à Jacob, qui dut quitter son pays pour fuir la colère d'Esaü, qui voulait le tuer, il était loin de penser qu'il resterait pendant vingt ans à l'étranger ! Mais tel fut le résultat du manque de foi de Rébecca et Jacob.
Gardons-nous, à notre tour, de "faire arriver" ce que le Seigneur lui-même accomplira à son heure. Combien de fois le Seigneur n'a-t-il pas tourné en bien ce que nous avions mal fait ? Ce n'est pourtant pas une raison pour dire que la fin justifie les moyens. Mais retenons: Dieu regarde au coeur, aux mobiles; il les voit, lui - pas nous. C'est pourquoi: grande prudence dans nos jugements !
Isaac comprit que le porteur de la promesse devait épouser une croyante. Esaü avait pris deux femmes hittites, donc païennes, ce qui provoqua de la friction dans la famille. Isaac invoqua maintenant la bénédiction d'Abraham sur Jacob : une descendance nombreuse et la possession du pays promis.
Jacob est donc en fuite pour Harân, à 800 km de Beer-Chéba et de sa famille. Après une centaine de kilomètres à dos d'âne ou de chameau, il arrive à Béthel (= maison de Dieu) où Abraham avait bâti un autel. Peut-être qu'une des pierres de cet autel lui a-t-elle servi d'oreiller. C'est là que Dieu lui apparaît pour la première fois et lui parle dans un rêve extraordinaire. (N'allons pourtant pas croire que nos rêves ont normalement une signification profonde !)
Arrêtons-nous à ce rêve de Jacob. L'échelle qu'il voit est hors du commun. Ce mot hébreu n'est jamais utilisé ailleurs dans la Bible; Chouraqui le traduit par escalier. Il représente la communication intense qui existe entre le ciel et la terre. Des myriades d'anges viennent sur la terre pour y exercer les ordres de Dieu et remontent au ciel faire leur rapport. Ne sont-ils pas tous des esprits de Dieu, envoyés pour exercer un ministère en faveur de ceux qui doivent hériter du salut ? (Héb 1.14). Dans Apocalypse 19.10 & 22.9, l'ange révèle à Jean qu'il est son compagnon de service, et celui de ses frères les prophètes, et de ceux qui gardent les paroles de ce livre, à savoir la Bible.
Le rêve de Jacob symbolise donc une merveilleuse réalité ! Jésus s'y réfère en parlant avec Nathanaël : Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le fils de l'homme (Jean 1.51). Ici Jésus s'identifie avec l'échelle, le moyen par lequel il est possible de monter au ciel : il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes, étant entré, lui Dieu, dans la sphère terrestre en tant qu'homme pour racheter le monde par son sang.
Dans son rêve, l'Eternel renouvelle à Jacob la promesse faite à Abraham, puis à Isaac (Gen 28.13-14). Et Dieu ajoute une quadruple promesse personnelle à Jacob, étonnante en vue de ce qui a été la raison de sa fuite (v. 15) :
- sa présence continuelle;
- sa protection partout;
- son retour dans son pays;
- de ne jamais l'abandonner.
N'y a-t-il pas là une résonance toute messianique, qui nous rappelle la promesse du Christ à ses disciples : Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à l'achèvement de l'âge ? Dieu est et a toujours été un Dieu d'amour qui fait grâce à ses élus.
Que fit ce Jacob béni de l'Eternel, à son réveil ? Il offrit un sacrifice d'huile sur sa pierre-oreiller, n'ayant pas de brebis sous la main. Puis il fit un voeu à l'Eternel. Il ne s'agit pas là d'un "marché" comme on l'a dit, mais d'un voeu de fidélité envers Dieu. L'usage de l'hébreu offre une traduction alternative: Puisque Dieu est avec moi, puisqu'il me donne nourriture et vêtement, puisque je retournerai en paix à la maison de mon père, alors l'Eternel sera mon Dieu; puis il promit la dîme de tout ce que Dieu lui donnera (28.20-22). On le voit : Jacob prit les promesses de Dieu à la lettre ! Sa promesse était volontaire, la loi concernant la dîme n'ayant pas encore été donnée. Il aura peut-être pensé à la dîme qu'Abraham avait donnée à Melchisédek.
On discerne trois éléments dans cette prière exemplaire de Jacob
1. foi absolue en la promesse de Dieu;
2. voeu de fidélité envers Dieu;
3. don volontaire selon les biens reçus.
Cet homme de foi nous interpelle :
1. Jusqu'où va ma foi en la parole de Dieu ? Est-elle entière et sans réserve ?
2. Suis-je fidèle au Seigneur aussi quand cela déplaît à mon entourage ? Mon obéissance est la pierre de touche de ma foi.
3. Comment est-ce que j'exprime ma reconnaissance envers Dieu ? Par le don de mes biens ? de mon temps ? de mes capacités, physiques ou autres ? par le don de MA PERSONNE ?
Je reprends le fil de l'histoire dès Gen 29.
Jacob avait 77 ans, selon la chronologie exacte de la Genèse, lorsqu'il fuit en Mésopotamie, et près de 100 ans quand il retourna à Beér-Chéba. On oublie souvent l'extrême vigueur des patriarches !
Après 800 km de voyage, Jacob tomba pile sur le puits où il rencontra Rachel, membre de sa famille précisément. Dieu l'avait manifestement conduit là. Jacob, à la vue de cette fille d'une grande beauté, éclata en sanglots, tellement il était émotionné de ce concours de circonstances incroyables. On comprend l'étonnement de Rachel...
La réception de Laban fut des plus cordiales. Jacob dut relater ce qui s'était passé depuis le départ de Rébecca, soeur de Laban, 100 ans auparavant. Etrange pour nous dont la vie est tellement plus courte !
Laban comprit vite que Jacob était travailleur. Sept ans de travail pour sa fille était tout à l'avantage de Laban. Nous ne savons pas quand il conçut l'idée de tromper Jacob en lui donnant Léa au lieu de Rachel. Mais les deux filles avaient passé l'âge normal du mariage, et Laban comptait sur l'amour de Jacob pour Rachel : encore sept ans de travail non rémunéré ! Léa, qui aimait Jacob, se prêta à la supercherie de son père. Jacob, qui en voulait certainement à Laban et à Léa, se sera souvenu de la duperie qu'il avait pratiquée sur son père. Il n'a jamais rien reproché à Léa, qui se révéla douce et tendre. A remarquer que Laban obligea Jacob de devenir bigame, puisqu'il lui donna Rachel une semaine plus tard.
Gen 29.31-30.24 nous montre les difficultés de la bigamie. Les noms que Léa donna à ces quatre fils indiquent qu'elle était une femme de prière (Siméon veut dire exaucement, Juda louange). Rachel, elle, accuse Jacob de sa stérilité, qui s'exclame : Suis-je à la place de Dieu ? Elle a recours à la vieille méthode de Sara: avoir un enfant par sa servante. Jacob ne semble pas avoir été contrarié d'aller d'une femme à l'autre, étant d'une grande virilité. Même que la monogamie était la pensée de Dieu à la création, Dieu ne blâme pas Jacob; au contraire, ses douze fils sont la souche qui donnera naissance au peuple de Dieu, objet de son amour et de son alliance de promesses. Dieu est souverain et ses voies nous dépassent.
Nous arrivons à Gen 30.25-43. Jacob a servi Laban pendant quatorze ans, ce qui représente le prix pour Léa et Rachel (une dot à l'envers telle qu'elle est toujours pratiquée en Afrique). Il n'a rien qui lui appartienne en propre. Pour se faire un troupeau à lui, il propose à Laban, dont il a fort accru le bétail par son savoir-faire, six ans de travail supplémentaire. Etant un païen mystique, Laban croit que Jacob a usé de sortilèges pour accroître son bétail (v.27: nachach = appris par enchantement); il mélange ses connaissances occultes avec ce qu'il sait de l'Eternel par Jacob et pense en profiter.
La proposition de Jacob lui permet d'acquérir des troupeaux sans rien devoir à Laban, qu'il sait intéressé et trompeur. Le salaire de Jacob se constituera des animaux les moins désirables parce que tachetés. La plupart des moutons sont blancs et des boucs noirs, tandis que les bovins sont bruns. Jacob n'utilisant pour les accouplements que des bêtes de couleur unie et similaire, Laban y voit son avantage.
Or, parmi les enfants de parents aux yeux bruns, il y en aura souvent aussi aux yeux bleus. En génétique, on parle de caractères dominants (les yeux bruns des parents) et de caractères récessifs (les yeux bleus en témoignent). Il y aura moins d'enfants aux yeux bleus qu'aux yeux bruns, donc, dans le cas des bêtes de Laban moins de naissances de bêtes tachetées que de bêtes unies: tout à l'avantage de Laban ! La critique usuelle à l'égard de Jacob est donc déplacée. Si, contre toute attente, il y a beaucoup plus d'animaux tachetés qu'unis, il faut croire que Dieu lui-même est intervenu pour bénir Jacob.
Détail curieux: bien que la vue de branches pelées ne semble pas pouvoir influencer le pelage des bêtes, elles entrent en chaleur à la vue de ces branches ou parce que leur suc donne à l'eau une vertu aphrodisiaque, et le troupeau de Jacob prend de l'ampleur. Que Jacob ne choisisse que des bêtes vigoureuses pour l'accouplement peut être compris comme une compensation de toutes les années pendant lesquelles Jacob a travaillé uniquement pour l'enrichissement de Laban. Jacob ne sait rendu compte que plus tard que c'était l'Eternel qui l'avait fait prospérer.
Les événements suivants se trouvent dans Gen 31.1-32.24.
Dieu lui-même ordonne à Jacob de partir, qui, connaissant Laban et la jalousie de ses fils à son égard, sait qu'on ne le laisserait pas partir avec tout le bétail qu'il a acquis honnêtement. Jacob profite donc de partir pendant que Laban et ses fils sont occupés à la tonte des brebis. On pourrait raisonner que Jacob aurait pu faire confiance à Dieu... Mais Dieu ne nous interdit pas d'utiliser notre intelligence. La suite prouve d'ailleurs le bien-fondé des craintes de Jacob.
Il n'y a pas de raison de douter de la véracité du rêve que Jacob relate à ses deux femmes (Gen 31.10-13). Dieu dit : J'ai vu tout ce que Laban t'a fait
Car Laban, voyant le troupeau de Jacob prospérer, changea souvent les dispositions pour contrecarrer ce développement. Alors Dieu fit échouer ses manigances et dit à Jacob comment il devait procéder. Le comportement de Jacob est honnête; Dieu ne bénit pas le malhonnête, que je sache.
Léa et Rachel ont remarqué le contraste entre l'honnêteté de Jacob et la perfidie de Laban, qui non seulement a demandé un prix exorbitant pour elles, mais ne leur a rien donné en propre ! Elles sont du côté de Jacob, considérant ses richesses en troupeaux acquis par son travail comme une juste récompense.
L'incident des théraphim que Rachel a volés à son père et qui donne à Laban l'excuse de traiter Jacob de voleur, montre l'attachement de Rachel au paganisme paternel.
Laban l'Araméen est furieux quand il apprend que les troupeaux de Jacob, pourtant acquis légitimement, se trouvent à 150 km, au delà de l'Euphrate, et vont lui échapper. On peut s'imaginer ses plans meurtriers, vu que Dieu lui interdit de toucher à Jacob. Devant la mauvaise foi flagrante de Laban, Jacob se fâche : tout ce qu'il a dû encaisser pendant ces vingt ans sort maintenant de son coeur. Laban ayant tout fait pour empêcher Jacob de s'enrichir, Jacob attribue sa réussite à Dieu. Laban change de sujet - manière facile de s'en tirer. Il a l'effronterie d'insinuer qu'il doit se protéger contre Jacob par un pacte de non-agression ! Jacob est d'accord pour se protéger, lui. Après avoir offert un sacrifice à l'Eternel, il invite tout le monde à un repas fraternel. Grâce à ce geste conciliant, on se sépare en paix. Laban n'est plus mentionné dès lors dans le récit biblique. - Poursuivons dans Gen 32.
Quant à Jacob, des anges l'accompagnent; invisibles aux autres, lui les voit. Il y a maintenant deux camps (sens du mot Mahanaïm) : le camp de Jacob et celui des anges. Quel encouragement de savoir que Dieu le protège ! Mais cela ne le dispense ni de prendre des mesures de sécurité, au cas où Esaü aurait encore de l'animosité, ni de demander la délivrance à Dieu. Sa prière est exemplaire, basée qu'elle est sur les promesses (la Parole) de Dieu; je n'en cite que cette phrase: Je suis trop petit pour toute ta bienveillance; ce sont les paroles d'un homme humble. Après avoir pris toutes les précautions qu'il juge nécessaires, Jacob retourne de l'autre côté du gué de Yabboq pour être seul avec Dieu. En ce point, il y aurait de quoi imiter Jacob...
Jacob resta seul. Alors un homme se battit avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Ce texte (Gen 32.25-33) est un des plus difficiles à comprendre. Certains pensent que Jacob s'est battu avec un homme, d'autres avec un ange, ou encore que c'est une allégorie de la bataille spirituelle de Jacob. Il me semble pourtant clair que ce texte veut être compris littéralement. Sinon, quel sens donner au nerf sciatique touché par l'ange et qui incapacitera Jacob dès ce moment ?
Cette lutte de Jacob est le point culminant de sa vie, tout comme le sacrifice d'Isaac dans la vie d'Abraham et d'Isaac lui-même. En réduisant Jacob, dont la force physique est exceptionnelle, à l'impuissance, Dieu veut l'obliger à ne compter plus que sur sa puissance.
Le prophète Osée dit de Jacob : Il lutta avec Dieu dans son âge mûr (Jacob avait alors 90 ans); Il lutta avec un ange et fût vainqueur (12.5). Jacob savait lui-même que Dieu l'avait rencontré là : J'ai vu Dieu face à face, dit-il. Or personne ne peut voir Dieu et vivre, nous dit la Bible. Il s'agit donc d'une christophanie, d'une apparition de Christ sous forme humaine avant son incarnation. Vous secouez la tête ? Je vous rappelle que Dieu - Père, Fils et Saint-Esprit - existe en dehors du temps qui est le nôtre, mais qu'il intervient dans le temps. Osée précise encore que Jacob pleura et demanda grâce. Alors Dieu lui accorda la bénédiction que Jacob avait toujours tant recherchée.
Nous pouvons en tirer un enseignement: Dieu désire que nous persistions dans la prière, comme le fit remarquer Jésus (Luc 18.7) : Dieu ne ferait-il point justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit ?
Jacob veut dire celui qui supplante; dès lors, son nom sera Israël (= il lutte - Dieu). On comprend son nom aussi d'après les deux mots dont il est dérivé: Sara-el (lutter comme un prince-Dieu) qu'on peut rendre par un prince avec Dieu.
L'expérience de Jacob est si extraordinaire qu'il demande à savoir le nom de cet ange, qui lui répond: Pourquoi demandes-tu mon nom ? car Jacob le sait déjà l'homme ne lui a-t-il pas dit: Tu as lutté avec Dieu... et tu as été vainqueur! Les douleurs sciatiques qui lui rappelleront toujours que Dieu lui avait seulement permis de vaincre.
Dieu le créateur qui prend la peine de rencontrer un homme et de lutter avec lui: cela montre l'importance que Dieu attache à chaque individu sur le chemin de la sanctification, à tel point qu'il s'en occupe personnellement.
Le peuple juif porte le nom d'Israël depuis 37 siècles; il témoigne du caractère et de la puissance de Jacob. Comment se fait-il qu'on ait tellement dénigré cet homme ? J'avoue humblement que, suite à l'enseignement reçu, c'était un homme ravili dans ma propre pensée. Il a fallu une étude approfondie des textes bibliques pour que je puisse découvrir la valeur exceptionnelle de Jacob qui, après tout, figure parmi les héros de la foi énumérés dans Héb 11 : C'est par la foi que Jacob, au moment de mourir, bénit chacun des fils de Joseph, et qu'il se prosterna au chevet de son lit.
Jean-Pierre SCHNEIDER
Promesses 1988 - No 83 - 84