Comme la traduction grecque des Septante, la Vulgate place l'Ecclésiaste parmi les livres poétiques et sapientiaux, entre le livre des Proverbes et le Cantique des Cantiques: là où nos lecteurs retrouveront dans les pages qui suivent. Très officiellement admise par l'Église en ses conciles, l'authenticité de son inspiration divine fut jadis discutée par les rabbis de la tradition juive. Elle ne l'est plus. La Mishna, partie du Talmud où se trouve codifié l'enseignement des maîtres, précise que ce livre « souille les mains», c'est-à-dire qu'il convient de se laver les mains après l'avoir touché, comme il est prescrit de la faire après tout contact avec un objet sacré c'est donc bien que l'Ecclésiaste est considéré comme tel.
Personne ne pense plus aujourd'hui que cet ouvrage ait été véritablement écrit par Salomon, ainsi qu'a pu le laisser croire pendant des siècles l'interprétation littérale du texte, qui fait parler « le fils de David ». Les experts modernes discernent dans la composition au moins trois mains différentes de celle d'un auteur principal qui écrivit vraisemblablement au Ille siècle avant notre ère. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un véritable petit chef-d'oeuvre où la philosophie du bon sens se pigmente de satire ou d'ironie et sert parfois de grands élans de piété sincère et de foi.
Sans doute l'auteur principal apparaît-il pessimiste : il a fait le tour de toutes les expériences humaines et en revient déçu, désabusé. Les quelques réflexions teintées d'un certain optimisme qu'on rencontre cependant çà et là dans le recueil sont-elles de lui? Sont-elles d'un de ses disciples qui aurait voulu tempérer l'acidité de l'ensemble? La question reste ouverte. Mais est-il si important d'y répondre? Ce qui compte est, bien sûr, le texte que nous avons aujourd'hui sous les yeux.
Ni sceptique, ni agnostique, et encore moins athée
D'une façon générale il proclame l'insatisfaction de l'homme en face de la vie : plaisir, richesse, travail, recherche de la sagesse, rien ne garantit à l'homme le bonheur. Le même sort atteint le sage et l'insensé on peut même dire qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Ainsi se trouve-t-on amené à mettre en cause la vieille solution donnée au problème de la rétribution, à savoir le bonheur terrestre du juste. Ce bonheur n'existant pas, on comprend que l'auteur se heurte à un mur.
C'est alors que la foi lui donne une raison de vivre : dans l'application que doit mettre le sage à craindre Dieu et à faire sa volonté. Voilà qui est loin du scepticisme, de l'agnosticisme, voire de l'athéisme qu'on a souvent, mais indûment, reproché à l'Ecclésiaste. On perçoit au contraire la conscience qu'il a de l'omniprésence divine jusque dans la solution humainement raisonnable qu'il propose ; il faut prendre la vie comme Dieu l'a faite et s'en remettre à lui. On découvrira ainsi une formule d'existence relativement heureuse avant que ne survienne la déchéance inéluctable de la vieillesse : dans un travail modéré et des repas aussi succulents que possible, dans l'acceptation des bons et des mauvais jours, en jouissant de la douceur de la lumière, en compagnie d'une femme aimée.
Hors du contexte où elle est exprimée, une telle invite à saisir le plaisir qui passe semble annoncer la philosophie païenne des « épicuriens », sinon d'Épicure. Un rappel de la situation historique permettra, même sur ce point, un jugement plus équitable. L'auteur écrit vers 250 av. J.-C. Les Juifs sont sous la domination des Lagides, successeurs d'Alexandre en Égypte, et les influences hellénistiques parviennent jusqu'en Palestine : peut-être la civilisation grecque apporterait-elle un bonheur que ne saurait procurer la seule observation de la Loi? L'Ecclésiaste a sans doute, en fait, l'intention de s'opposer à pareille séduction et il insiste sur la nécessité d'observer les divins commandements : sans Dieu, aucun bonheur humain ne saurait satisfaire l'homme.
Il faudra encore un siècle avant que la vraie réponse ne soit donnée : celle du bonheur auprès de Dieu dans l'autre vie.
J. DHEILLY
Professeur à l'institut catholique de Paris
En ce temps-là, la Bible No 50 page IV.