PATMOS « L'ILE DE L'APOCALYPSE »

 

Pour le pèlerin moderne parti à la recherche de saint Jean qui. semble-t-il, gouverna les Églises d'Asie Mineure des années 60 à 100 environ, Patmos est une étape inoubliable, C'est en effet sur cette petite île du groupe des Sporades, léchée par l'écume de la mer Égée, qu'aurait été composée l'Apocalypse.

Dès le Ve siècle avant notre ère, Patmos est mentionnée par l'historien grec Thucydide. Pline et Strabon en reparlent cinq siècles plus tard. Il semble que sa population ait d'abord été composée de Doriens, auxquels vinrent s'ajouter des colons ioniens. L'isolement de cette île, l'aridité de son sol et son exiguïté (12,5 kilomètres, sur 9, 5 au maximum) la firent choisir, à l'époque romaine, comme lieu de déportation.

Parmi les condamnés, au temps de Domitien plutôt que de Néron, se trouvait Jean, déjà âgé. Sur la route qui va du golfe de Scala à la capitale Chora, une grotte conserve tout spécialement son souvenir. Elle est maintenant recouverte par un pittoresque ensemble de bâtiments conventuels des XIe et XVIe siècles blanchis à la chaux; on y montre, protégé par une grille et revêtu d'argent, un petit renfoncement où le visionnaire aurait logé sa tête tandis qu'il recevait l'inspiration. Au Vlle siècle, sous la pression des invasions arabes, Patmos se vida totalement de ses habitants. Quatre cents ans plus tard, un moine grec du Mont Athos, nommé Christodule, trouva l'île déserte et en obtint la cession d'Alexis Comnène, empereur de Byzance. Sur l'emplacement d'un antique sanctuaire à Artémis, il fonda le majestueux monastère-forteresse qui domine encore l'île. L'intérieur est orné de fresques médiévales de différentes époques et, dans l'église, de belles icônes aux ors vieillis scintillent.

Pour travailler à sa fondation, Christodule fit venir, de la capitale de l'empire, ouvriers habiles et spécialistes; or, il avait décidé d'interdire l'île aux femmes. Mais maçons et autres compagnons à pied d'oeuvre refusèrent d'entreprendre les travaux si leurs épouses ne s'installaient pas avec eux. Et, pour la première fois de sa vie, le terrible moine dut s'incliner.

Au fil des années, Patmos fut menacée successivement par les Génois, les Croisés, les Turcs; mais ce furent les Vénitiens qui, en 1207, l'arrachèrent à la souveraineté des empereurs byzantins.

En 1453, des chrétiens chassés de Constantinople par les Turcs vinrent y chercher refuge. Ce sont eux qui, au pied du monastère, édifièrent Chora, la capitale de l'île, aujourd'hui pittoresque ensemble de maisonnettes blanches aux formes cubiques, percées de minuscules fenêtres. Une fois de plus, la volonté de Christodule se trouvait bafouée : afin de sauvegarder l'austérité de la vie des moines, le patriarche avait interdit la construction de demeures privées aux abords de la grande maison et du recueillement! En 1461, le pape Pie Il Piccolomini prit Patmos sous sa protection, et brandit l'excommunication contre les pirates qui viendraient à la piller. L'histoire ne dit pas si la menace effraya les Barbaresques, principaux écumeurs de la Méditerranée sous la bannière de Mahomet, mais elle n'empêcha pas les Vénitiens de Morosini de revenir un jour dans l'île qu'ils avaient jadis perdue; non en pirates il est vrai, mais en maîtres.

En 1669, une école ecclésiastique, « la Patmiade », fut fondée dans les bâtiments qui recouvrent la grotte de l'Apocalypse. Elle connut vite une grande célébrité : des moines de tous les pays du monde chrétien venaient s'y instruire, profitant de l'extraordinaire collection des 735 manuscrits et des quelque 4 500 imprimés de la bibliothèque du monastère préservée du pillage.

Les bouleversements du monde moderne ont peu affecté les chrétiens de Patmos : marins ou paysans, tous sont restés fidèles à leur saint patron, et la plupart fréquentent encore avec fierté les trois cent soixante-cinq « chapelles » érigées en l'honneur de saint Jean sur leur minuscule îlot.

M.-C. HALPERN

En ce temps-là, la Bible No 94

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