"peuple de la mer" qui légua son nom à la terre de Canaan
Les Philistins, dont le héros le plus célèbre est bien sûr le vaniteux Goliath, et l'héroïne Dalila, la belle traîtresse, étaient redoutés et détestés dans l'Antiquité biblique. Aujourd'hui encore, ils semblent faire l'objet d'une réprobation générale. Qui n'a entendu dire d'un individu particulièrement vulgaire et inculte : « Quel philistin ! » Qu'a donc fait ce peuple pour mériter cette réputation universellement péjorative?
La Bible parle pour la première fois des Philistins dans la Genèse (chap. 26, vers. 1 à 15) : « Isaac se rendit à Gerar, chez Abimélek, roi des Philistins. » Mais il semble qu'il y ait là un anachronisme : il n'y avait pas encore de Philistins dans le sud de la Palestine au temps d'Isaac. Ils s'y trouvaient au temps de Josué (chap. 13, vers. 3). D'où étaient-ils venus ?
Le Deutéronome (chap. 2, vers. 23) les a appelés les « Caphtorim » : venus de Caphtor. Et on lit au chapitre 9, verset 7, du prophète Amos : « N'ai-je pas fait sortir Israël d'Égypte et les Philistins de Caphtor? » Mais les savants ne sont pas tous d'accord pour situer « Caphtor ». Certains cherchent encore cette contrée en Cappadoce. D'autres, plus nombreux désormais, estiment qu'il s'agit de la Crète ou en tout cas d'un ensemble égéen dont la Crète fait partie.
Quoi qu'il en soit, brusquement, au 14e siècle avant notre ère, un peuple inconnu déferle sur les côtes de l'Asie Mineure. Descendant du Nord, une horde armée jusqu'aux dents, accompagnée d'étranges chars à boeufs où s'entassent femmes et enfants, avançait implacablement. Après son passage, tout n'était que désert, dévastations fumantes. C'était l'invasion des « peuples de la mer ». Parmi ces peuplades guerrières, une tribu allait jouer un rôle capital : celle des Philistins.
Sous leurs coups, le puissant empire hittite tombe ; Chypre est occupée; sur l'Euphrate, Karkemish est prise ; les ports phéniciens d'Ugarit, Byblos, Sidon et Tyr se soumettent, au moins pour un temps.
Alors les vainqueurs marchent vers l'Égypte. Mais Ramsès III (1198-1166 av. J.-C.) est décidé à défendre son royaume à tout prix. Fiévreusement, il organise la résistance et décrète une mobilisation générale. Les bas-reliefs du temple d'Amon, à Médinet-Habou, nous montrent la bataille sans merci qui suivit : les groupes de chars égyptiens ont pénétré dans les colonnes ennemies où règne un affreux désordre ;pêle-mêle, soldats, femmes et enfants sont massacrés au milieu des chars à boeufs entravés. Les Égyptiens ont gagné sur terre. Sur mer, ils ne tarderont pas à repousser aussi les navires de ces terribles ennemis.
Les Philistins sont décimés. Mais ils parviennent à se regrouper, et quelques années plus tard, ils se massent sur le littoral cananéen de Jaffa au nord, à Gaza au sud. Ils s'établirent là dans cinq métropoles, leur « Pentapolis » : Eqron, Gath, Azoth, Askalon et Gaza. Seules les trois dernières villes, qui renaissent aujourd'hui à leur ancienne activité , ont été identifiées. Chaque cité et le territoire qui l'entourait étaient placés sous le gouvernement d'un seigneur libre et indépendant. Cependant, dans les domaines politique et militaire, les cinq gouverneurs agissaient en commun. Il n'est donc pas étonnant que ce front uni ait réussi, pendant de nombreuses années, à battre les tribus peu organisées d'Israël.
C'est à Azoth que l'on a entrepris les fouilles archéologiques les plus importantes. Elles ont mis à jour une véritable forteresse. Les maisons y sont construites en briques, et l'on vient de dégager un édifice singulier dont la destination n'a pas encore été précisée. Cet édifice présente un mur nettement incurvé : peut-être s'agirait-il des vestiges du célèbre temple de Dagon où reposa l'arche d'alliance : « Les Philistins emportèrent l'arche de Dieu, et ils la placèrent dans le temple, et l'installèrent à côté de Dagon » (le, Samuel, chap. 5, vers. 2).
La cité philistine, située à quelques kilomètres de la côte, disposait d'un port assez important : aujourd'hui Ashdod-Yam où l'on a également découvert d'imposantes fortifications du 9e s. av. J.-C. Les faces intérieures et extérieures de la muraille de la ville étaient recouvertes d'un glacis de terre épais de trois mètres qui assurait la construction en dur. Celle-ci, faite de briques d'argile séchées au soleil, reposait à même le roc. A l'extérieur, le glacis était large de 20 mètres à la base! Il devait empêcher l'ennemi d'approcher de la ville et d'utiliser des béliers.
Les tombes des guerriers philistins sont alors richement garnies : on y a retrouvé des armes, de larges épées, des outils, des bijoux... de fer !
Le fer était en effet, en cette période, un métal précieux, et les Philistins l'extrayaient eux-mêmes selon les procédés hittites. Les princes philistins, exploitant le secret des vaincus, s'assuraient un monopole de la métallurgie et réalisaient ainsi de magnifiques affaires. Durant les premiers temps de leur vie sédentaire dans les montagnes, les Israélites étaient beaucoup trop pauvres pour acheter des objets fabriqués avec ce matériau rare. Le manque d'instruments aratoires, d'armes de fer, et de clous pour la construction des maisons, leur était un lourd handicap. Lorsque les Philistins eurent étendu leur occupation à la région montagneuse, ils tentèrent d'interdire aux enfants d'Israël la fabrication d'armes ou d'outils selon la technique nouvelle (le, Samuel, chap. 13, vers. 19).
Israël faillit devenir « un peuple d'esclaves »
Au 11 e siècle avant J.-C. les Philistins sentirent se réveiller leur appétit de conquête et voulurent déloger les Israélites des collines où ils vivaient. Non seulement ils infligèrent à leurs adversaires une sévère défaite, mais on sait qu'ils capturèrent l'arche d'alliance ( 1er Samuel, chap. 4. vers. 11). Ils avaient atteint leur but : les collines furent occupées, Israël désarmé, des postes de surveillance installés. Les vestiges de ce temps troublé attestent que l'invasion philistine s'accompagna de destructions et d'horreurs. Silo et Débir notamment furent détruites de fond en comble.
Certes le premier livre de Samuel (chap. 7, vers. 1 3) nous dira alors : « La main de Yahvé fut contre les Philistins tous les jours de Samuel. » En réalité, le dernier grand Juge réussit seulement à les maintenir hors du territoire qu'il « jugeait » directement et qui ne s'étendait guère qu'à celui de Benjamin, bien que son autorité morale apparaisse reconnue par l'ensemble des tribus. Quand Samuel, devenu vieux, s'entendra demander un roi par les anciens, le peuple d'Israël ploie encore sous le joug, en passe de devenir un peuple d'esclaves. Saül, oint au nom de Dieu par Samuel, sera celui à qui il est dit : « Tu délivreras le peuple de Yahvé de la main des ennemis qui l'environnent » (1er Samuel, chap. 10, vers. 1).
Le nouveau roi d'Israël constitua une petite armée : trois mille hommes (1er Samuel, chap. 13, vers. 2) puis, par plusieurs victoires tactiques, il affaiblit les Philistins. Mais ce fut surtout David, l'adolescent aux mains nues, qui infligea à leur champion gigantesque et bardé de fer une première défaite humiliante (1er Samuel, chap. 17). Devenu roi, il vint à bout des ennemis irréductibles. Il les contint dans la plaine côtière où ils continuèrent à vivre indépendants, mais leur menace ne pèsera plus guère sur les rois d'Israël. Salomon aurait même recruté ses « suisses » parmi les Philistins : une garde personnelle. Et lorsque Ézéchias, roi de Juda, aura encore affaire à eux, il les battra « jusqu'à Gaza », dévastant tout leur territoire.
A la fin du 7e siècle, Azoth tombe aux mains des Égyptiens après un long siège. Puis, en 604, c'est Nabuchodonosor qui pille Askalon et emmène les prisonniers à Babylone.
La Bible, quant à elle, citera les Philistins une dernière fois lorsqu'ils aideront les Assyriens dans leur lutte contre les Maccabées (le, Maccabées, chap. 3, vers. 41 et chap. 5, vers. 68). Mais il s'agit alors d'une peuplade hellénisée. Que reste-t-il aujourd'hui de ce peuple de guerriers qui fit trembler les nations, qui fut assez fort pour abattre l'immense empire hittite et qui imposa sa terrible loi à tous les peuples d'alentour? Rien ou presque. Sauf un nom tiré du leur, le nom d'un pays que nous rappelle chaque jour la plus brûlante des actualités : LA PALESTINE, pays des « Pélistim » (Philistins).
M.C.HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 2 1 pages II- III.