PHILIPPES, la petite "Rome" macédonienne

 

Plus « romains » que les Romains

 


Première cité du continent européen à recevoir de Paul la Bonne Nouvelle, Philippes devait son nom au roi de Macédoine, père d'Alexandre le Grand. Aux temps apostoliques, elle est une colonie romaine et les Juifs y sont fort peu nombreux : ils n'y ont même pas de synagogue, et c'est en dehors des portes de la ville, « le long de la rivière, où il semblait y avoir un lieu de prières », que Paul, encore soucieux de s'adresser d'abord aux brebis perdues de la maison d'Israël, devra les chercher le jour du sabbat, ainsi que le rapporte l'auteur des Actes (chap. 16, vers. 13).

A l'est de la Macédoine, aux frontières du pays thrace, à 15 kilomètres de la mer Égée, Philippes dut sa fortune dans l'empire, à la via Egnatia, la grande voie qui relie l'Asie à l'Italie, de Thessalonique à Dyrrachium sur la côte illyrienne, et qui la traverse d'ouest en est : les archéologues de l'École française d'Athènes, à l'oeuvre sur le site de 1914 à 1938, en ont retrouvé les traces sous le rempart byzantin.

Les premiers habitants, venus de l'île de Thasos, avaient élevé là une ville qu'ils avaient appelée Krénidès (du grec krénè : la « source »). Elle était aux mains des Thraces lorsque Philippe de Macédoine s'en empara (en 358 av. J.-C.), la débaptisa, la rebâtit et la dota notamment d'une bonne enceinte et d'un théâtre construit au pied de l'acropole; le monument fut considérablement remanié par les Romains, et dès avant la visite de Paul, mais on voit encore, sous des vestiges plus récents, le mur percé de portes qui conduisaient aux gradins des spectateurs. La scène devait être ensuite nivelée pour permettre l'aménagement du théâtre en cirque, lequel sera desservi par un couloir souterrain pour l'acheminement des fauves et des gladiateurs.

Les mines d'or et d'argent du Pangaion voisin avaient été célèbres et jadis enrichissaient les Philippiens. Mais elles étaient épuisées depuis longtemps au premier siècle, où Philippes n'était plus qu'un marché actif, une place stratégique et un important centre de romanité.

Après la mort d'Alexandre, la puissance macédonienne s'était effritée dans les intrigues de palais. Le dernier roi de Macédoine, Persée (179-168 av. J.-C.), qui avait tenté de rendre à son royaume un peu de sève, était entré en conflit avec le roi de Pergame; le consul Paul Émile en avait profité pour envahir le pays et pour s'en emparer au nom de Rome.

Les Romains divisèrent la Macédoine en quatre districts privés de tout rapport entre eux et y établirent une administration draconienne pour prévenir toute tentative d'un retour à l'indépendance. Les mariages entre habitants de districts différents étaient prohibés; il était interdit aux Macédoniens d'être propriétaires hors du district où ils habitaient; enfin les opposants à la puissance d'occupation étaient traqués et durement châtiés. Dans le premier district, le rang de capitale échut à Amphipolis; Paul fait erreur quand il dit de Philippes, alors petite bourgade, qu'elle est « la principale ville de cette région » (ACTES, chap. 16, vers. 12).

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Plus « romains » que les Romains

En 42 avant notre ère, Brutus et Cassius, qui avaient assassiné César avec l'espoir de rétablir la République, affrontèrent à Philippes Antoine et Octave et y furent battus. La ville devint alors Colonia Victrix Philippensium, et fut peuplée des soldats de la garde personnelle d'Octave. Après la victoire d'Actium, en 31 avant notre ère, elle est appelée Colonia Julia Philippensium, en hommage à la mémoire de César; enfin, Colonia Augusta Philippensium en 27 av. J.-C., lorsqu' Octave reçoit le titre d'Auguste; un arc de triomphe, sur la voie Égnatienne, témoignera de l'événement.

Dès lors Philippes bénéficie du « droit italique » et ses bourgeois peuvent se dire « Romains ». On y est même parfois plus romains qu'à Rome : les cultes qui n'ont pas reçu d'autorisation officielle, et le judaïsme semble ici du nombre, ne peuvent se manifester qu'en dehors des murailles et à bonne distance, fixée par les autorités.

Beaucoup de dieux, pourtant, étaient honorés dans les nombreux temples qui entouraient le forum : le dieu thrace Liber Pater, la déesse Bendis, représentée sous les traits d'Artémis ou Diane chasseresse : court vêtue, tenant un arc, et flanquée d'une biche, brandissant en sus un rameau qui était censé préserver des puissances infernales; elle faisait l'objet d'un culte orgiaque et sanglant. Divers reliefs montrent près d'elle Cybèle, assise sur un trône, ayant pour attribut un lionceau, ou encore Isis; et, aux flancs de l'Acropole, un sanctuaire abritaient d'autres dieux égyptiens.

Le forum dégagé par les archéologues français, avec ce qu'on peut deviner de ses deux temples symétriques, de ses luxueux bains romains aux pavements de mosaïques, et de ses nombreux monuments, portiques ou fontaines, n'est pas celui que connut Paul : il date des 111, et Ille siècles. La petite cité devait décliner avec l'empire romain. Mais l'essor y avait été donné au christianisme, et dès le Ve siècle s'y élevait une première basilique; au Xe siècle, Philippes était encore une métropole religieuse de quelque importance dans le monde byzantin. Elle devait faire parler d'elle jusqu'en 1208 lorsque les Lombards y furent battus par les Croisés. Au XVIe siècle, le voyageur français Pierre Belon, qui décrit ses ruines, les voit sensiblement analogues à ce qu'elles sont aujourd'hui sur le site de Filibedjik, où Paul annonça Jésus-Christ à « ses Philippiens bien-aimés » (PHIL., chap. 1, vers. 8; chap. 4, vers. 1 ).

M.-C. HALPERN

En ce temps-là, la Bible No 90

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