Il est évident que bien des circonstances auxquelles se réfère la prière des psaumes, par exemple son intérêt constant pour Jérusalem, ou pour le roi israélite, ou encore pour le rituel du Temple, et plus clairement encore certains des sentiments Ou s'y expriment, comme le dis, d'une vengeance définitive sur les oppresseurs du peuple de Dieu, ou d'un salut qui ne soit pas seulement spirituel, mais comme incorporé à la vie présente, pourraient tendre à nous faire considérer la prière des psaumes comme une prière simplement dépassée pour les chrétiens. Cette dernière conclusion ne s'imposerait que si on s'enfermait, bien à tort, dans une interprétation étroitement littéraliste, à laquelle l'Église s'est toujours fermement opposée. Elle suit d'ailleurs en cela la tradition constante de la synagogue, et, avant elle, l'usage fait, dans l'Ancien Testament lui-même, des expressions les plus anciennes pour désigner les réalités les plus neuves.
Deux points sont en effet capitaux pour garder des Saintes Écritures l'interprétation qui est celle de l'Église, et fut, en tout temps, celle de ce peuple de Dieu à qui sa Parole s'est toujours adressée comme une parole vivante.
La parole du même Dieu
Le premier point est que c'est le même Dieu qui nous parle, pour nous annoncer le même dessein, de la première à la dernière page de la Bible. Le second est que cette révélation est progressive, en ce sens que toute la profondeur du dessein divin, aussi bien que les détails concrets de sa réalisation, ne se révèlent que progressivement.
Ce progrès, comme celui d'une sage pédagogie, est à la fois un progrès dans la révélation et un progrès dans l'esprit même de ceux auxquels elle se destine. Par suite, la continuité dans l'usage des prières inspirées s'explique par la continuité d'un même dessein fondamental et la nécessité de ne jamais le perdre de vue; faute de quoi les progrès de détails réalisés ou l'approfondissement corrélatif resteraient comme en l'air et deviendraient incompréhensibles.
Il faudra, cependant, reconnaître, en retour, la nécessité de transposer, en fonction des révélations les plus récentes, nombre de détails concrets et comme datés de la première expression. C'est ainsi que, pour les chrétiens, Jérusalem apparaîtra comme la figure de l'Église, le roi comme celle du Messie, les sacrifices du Temple comme l'image du sacrifice de la Croix.
Mais également la lutte contre les forces du mal, pour la victoire finale et définitive de la puissance de Dieu, entraînant le salut total des siens inspirera la transposition des expressions qui ne saisissaient d'abord cette lutte que sous l'aspect d'un conflit terrestre, mais dont on percevait déjà pourtant l'arrière-fond supra-terrestre.
De la sorte, l'attente de la béatitude finale ne verra plus que des images imparfaites et provisoires dans certaines des premières expressions du salut espéré. On céderait à un faux spiritualisme en voulant rejeter ces traces, conservées de façon bien significative dans les psaumes notamment, des stades dépassés de la révélation.
Des vérités aussi fondamentales que le caractère inexpiable du conflit entre le royaume de Satan et le règne de Dieu, ou que l'incarnation de la béatitude finale des élus dans un cosmos tout entier régénéré, seraient simplement volatilisées par cet effacement des liens continus qui rattachent l'épanouissement d'une révélation foncièrement historique à ses premières racines.
Garder ces liens, au contraire, échappe à tout artifice dès qu'on a compris que la révélation évangélique n'a pas simplement succédé à la révélation préparatoire, mais qu'elle en est sortie : c'est à partir du patriotisme jérusalémite que la notion de ]'Église a pu naître, des spéculations sur la royauté ou le Temple que toute la christologie et toute la théologie de la rédemption ont pu se formuler, et des guerres de Juda que s'est dégagée la vérité essentielle du combat spirituel.
L. B.
En ce temps-là, la BibleNo 45 page I.