Et depuis bientôt deux millénaires les couvents et les ghettos se rencontrent mystérieusement en cette garde d'amour, pour psalmodier, ici en latin, là en hébreu, les hymnes de pâtres d'Israël.
Quelle saveur, quel pur diamant en l'âme de ceux qui ne renoncèrent jamais aux paroles reprises des lèvres mêmes de David, pour qu'ils aient ainsi traversé toutes les nuits, toutes les guerres, mus par le fol espoir de voir un jour, au bout des ténèbres, sur les saintes collines, un enfant se lever et chanter devant l'Arche. Ils avaient emporté ce livre dans leurs exils : ils vécurent dans leur chair, dans leur sang, chacun de ses versets. C'était écrit : ils le vivaient comme ils le lisaient, et c était aussi nécessaire de le vivre que de le lire. Il était leur drame et leur espérance, il les assumait. en même temps qu'il les crucifiait, car il détenait la clé de leur mystère : ils lui étaient attachés comme l'ombre à la lumière, comme la voix au chant; il chantait la promesse qu'ils allaient accomplir. Pour ce petit nombre, le Psautier vivait dans sa vraie langue. Une langue pleine de pouvoirs. Elle dit toujours davantage qu'elle ne dit; elle atteint et dépasse les limites de l'expression; elle aspire sans cesse à l'inexprimable. Nous sommes livrés ici à l'impératif de la pensée sémitique : elle nous assaille par des faits, provoque dans notre conscience l'incendie du verbe et son triomphe. Où sont nos placides barrières 1 Le torrent emporte bientôt toute notre adhésion; une dialectique non discursive a raison de notre nuit qu'elle peuple d'une présence; le poème tend à libérer des choses qui passent : il embrasse la plénitude du concret et nous impose l'universalité du réel sans le support d'aucun ordre logique formel.
Une toute-puissante lucidité devant le fait érigé en symbole, une austère soumission à la vérité du verbe, un refus de l'ornement sollicitent inlassablement la fulguration de l'esprit : un livre dont chaque lettre vit et danse comme un feu de joie...
Ce livre, introduit dans les liturgies de l'Église comme dans celle de la Synagogue, est si riche, si dense, que l'esprit désespère d'en saisir la dimension réelle, de trouver la clé qui en ouvre toutes les portes.
Un rendez-vous d'éternité
L'exégèse hébraïque, la méditation des rabbis d'Israël, donne peut-être l'instrument d'une approche nouvelle des textes de la Bible.
Dans la lumière de cette méditation, le chatoiement des mille versets du Psautier, cette richesse trop lourde pour être portée, ces perspectives soudaines, ouvertes sur la misère de l'homme ou sur sa gloire, ou sur sa terreur ou sur son amour, cette poésie souveraine qui embrasse les cieux et la terre et l'enfer, qui parle au soleil, au serpent, à l'oiseau, à l'enfer et tutoie Dieu, ce déferlement de mots dont l'assaut nous surprend et nous bouleverse, les images sans nombre, tout s'harmonise en une construction d'une rigueur classique : la poésie se métamorphose en doctrine; le lyrisme se mue en architectures profondes des hiérarchies de la création, les mots perdent leur liberté désordonnée pour s'éclairer, s'appeler l'un l'autre comme les pierres d'un édifice.
Le psalmiste sait ce qu'il dit l'exprime avec une maîtrise et une économie de mots qui font de ce recueil un monument unique dans l'histoire de l'esprit, un rendez-vous d'éternité.
André Chouraqui
En ce temps-là, la BibleNo 47 pages I- II.