dont cent générations ont fait la prière universelle
Quand le croyant veut s'instruire, il ouvre les autres livres de la Bible. Mais quand il veut simplement épancher son coeur devant Dieu, c'est aux psaumes qu'il demande ses formules.
Miroir de la foi
Comme ils l'avaient fait au cours des siècles précédents pour les croyants d'Israël, les psaumes ont animé et exprimé d'emblée la vie spirituelle des chrétiens : « Chantez à Dieu votre reconnaissance dans vos coeurs, par des psaumes » (Colossiens, chap. 3, vers. 16). « Soyez remplis de l'Esprit-Saint, récitez entre vous les psaumes, chantez et célébrez le Seigneur de tout votre Coeur » (Éphésiens, chap. 5, vers. 19). Telles sont les invitations qui reviennent sans cesse sous la plume de saint Paul. Ce qui nous permet de penser que ce furent des psaumes, que Paul et Silas chantèrent dans leur prison, après avoir été passés par les verges et enchaînés (Actes des Apôtres, chap. 16, vers. 25). Durant tout le temps des persécutions, les cachots et les arènes retentirent de ces chants qui soutenaient et fortifiaient les témoins du Christ au milieu de leurs supplices.
Lorsque la persécution cessa, et que les déserts commencèrent à se remplir de ces nouveaux témoins du Dieu vivant que furent les moines, les solitudes entendirent à leur tour les mêmes psalmodies. La prière continuelle, à laquelle les solitaires de Judée ou d'Égypte ambitionnaient de parvenir, n'était autre que celle des psaumes.
Dans l'antiquité chrétienne et durant tout le haut Moyen Age, la connaissance approfondie du psautier fut considérée comme l'indice d'une maturité spirituelle, indispensable aux responsabilités de l'Église. Aussi exigeait-on souvent des futurs prêtres ou des nouveaux évêques la connaissance parfaite de tout le psautier. De nos jours encore les moines éthiopiens, fidèles en cela à la plus antique tradition monastique, l'apprennent entièrement par coeur, assure un moine français qui les a récemment visités.
Depuis que l'homme sait exprimer ses sentiments et sa Pensée par le chant et la poésie, il n'est certainement Pas d'oeuvre qui ait connu pareille destinée. A travers le temps et l'espace, les psaumes ont su parler dans toutes les langues, à tous les hommes, chaque jour, dans toutes les circonstances de leur vie. Le psautier s'est insinué partout, à tous les baptêmes, à tous les mariages, à tous les enterrements, dans toutes les assemblées que.tiennent les « hommes du Livre ». Il est de toutes les fêtes religieuses et de tous les deuils, de presque toutes les nations. Et après des millénaires, il continue à être lu, d'un pôle à l'autre, à toute heure du jour et de la nuit par des hommes de toute couleur, de toute race et, Pourrait-on dire, de toute religion, au moins de celles qui sont issues de la Révélation : judaïsme, protestantisme, catholicisme, orthodoxie.
Voilà qui donne aux psaumes une singulière actualité, à l'heure OU tous recherchent l'unité des croyants. En dépit des divisions et des séparations qui subsistent, le Psautier assure entre tous une prière commune. Là où l'unité est encore impossible dans le sens horizontal, il la permet en « vertical ».
Miroir de la Bible
Ces Poèmes reflètent presque tout le reste de l'Ecriture. Derrière chacun d'eux se dessine un livre précis de l'Ancien Testament, dont le psalmiste reprend les données essentielles, et les transforme en prière vécue.
A travers les psaumes, qu'on pourrait appeler « cosmiques » : 1, 1 8, 92, 94 à 98, 103, 148(1), ce sont les données du récit de la Création, au livre de la Genèse, qui sont utilisées, développées, amplifiées, sur le mode lyrique. Ils invitent l'homme à s'unir au concert des créatures pour louer le Créateur, en donnant une voix consciente au cosmos.
Les psaumes « historiques » 67, 73, 77, 78, 79, 104, 105, 106, 113, 131, 134, 135, 147, font revivre les grands moments de la « geste » de Dieu, et tirent de tous les livres historiques de la Bible, de l'Exode aux Maccabées, des thèmes à louanges, action de grâces, rappels, exhortations, reviviscence.
Avec les psaumes « moraux », ce sont les livres sapientiaux : Sagesse, Ecclésiaste, Ecclésiastique, Proverbes et surtout le livre de Job, qu'il est bon d'avoir au moins confusément en mémoire. Ils agitent le grave et terrible problème, ou plus exactement mystère, de la Providence et de la rétribution. On y entend les lamentations du pauvre, de l'orphelin, de la veuve, du malade, du prisonnier, tous victimes innocentes, d'un sort injuste, et qui en appellent au Dieu Juste. Ce sont ceux aussi à travers lesquels les chrétiens voient se dessiner la Passion du Christ, qui est finalement le cas typique de cette injustice, de cette méchanceté déchaînée qui oppressent les psalmistes.
Le « rosaire de la Loi »
Deux bons exemples illustrent le dernier groupe de psaumes que l'on peut appeler « légalistes », inspirés de l'esprit du Lévitique et du Deutéronome : 18 et 118; ce dernier, extrêmement long, a été appelé le « rosaire » de la Loi. L'importance donnée à cette Loi déroute presque autant que les malédictions qui parsèment les psaumes du groupe précédent. Voilà qui semble si loin de la « liberté » de l'Évangile tant proclamée par saint Paul. Et cependant c'est à ces psaumes, par un curieux paradoxe, qu'il faut demander le secret de la religion d'Israël, dans ce qu'elle a de moins formelle. L'auteur du Ps. 118 en particulier exprime des sentiments qui constituent d'authentiques actes de charité parfaite.
Ces textes étonnants offrent la preuve péremptoire de l'inexactitude de l'opinion si largement répandue, selon laquelle la religion d'Israël eut consisté en un système de rites et de cérémonies extérieures. Les psaumes esquissaient déjà « le culte en esprit et en vérité » qui serait un jour solennellement instauré.
A l'instar de ce que prévoyait la liturgie davidique au Temple de Jérusalem, le « sacrifice de louanges » prolonge toujours chez les chrétiens le « sacrifice de l'autel ». Tous ne participent pas à la « laus perennis », la « louange incessante » qu'assurent dans l'office divin, prêtres, moines, religieux ou religieuses. Mais la fréquentation de psautier donne à chaque croyant la possibilité de se mettre à l'unisson de la prière universelle. Et ceux qui ne croient pas découvriront avec étonnement ce trésor poétique somptueux et toujours neuf qui depuis près de 3000 ans, enrichit, console, émerveille.
Don J. GOLDSTAIN
1. la numérotation utilisée ici est celle de la Vulgate adoptée pour la traduction de saint Jérôme faite d'après l'hébreu.
En ce temps-là, la BibleNo 44 pages I-II.