C'est un spectacle unique dans l'histoire que donne ce roi d'Israël lorsque, dans la rue et au milieu de son peuple, il imagine de danser devant l'arche où, invisiblement, trône le Seigneur. Sans doute d'autres rois, chez les peuples païens, ont-ils jadis, au cours de cérémonies ou de sacrifices, exécuté sur une musique sacrée des marches solennelles et même des danses. Mais ils ne faisaient que se soumettre à une obligation rituelle pour appeler sur le peuple la protection d'une puissance inconnue. La danse de David est gratuite.
De telles évolutions étaient minutieusement réglées : elles étaient censées reproduire les mouvements des corps célestes, les astres, la croissance de la végétation ou les fabuleuses aventures de personnages divins. David, lui, n'obéit qu'à son propre enthousiasme.
La danse du roi de Juda et d'Israël ne comporte pas de figures. Elle n'imite rien. Le souci même de l'esthétique paraît être étranger au danseur : il tourne, pour s'alléger du poids des choses, et bondit en cadence pour obéir à une joie mystérieuse. Il traduit spontanément par l'élan de son corps cette jubilation intérieure dont nous entendons l'écho dans les psaumes.
Cette scène nous paraît d'autant plus extraordinaire que David jouit alors du neuf prestige de sa royauté : d'ordinaire, les rois, surtout de cette époque, ont un farouche souci de dignité formelle.
Comme se dénuderait un homme de rien
Devant l'incompréhension de Mikol sa femme, qui se moque de lui, David doit faire un bref commentaire de son geste : il a voulu s'humilier, dépenser en hommage cette vie qu'il sent bouillonner en lui, en s'épuisant à danser de toutes ses forces. Et, pour mieux ce faire, il a quitté son vêtement d'apparat, « il s'est dénudé devant ses servantes et ses serviteurs, comme se dénuderait l'un des hommes de rien ». C'est précisément pour cette humiliation volontaire que Mikol « méprise son époux dans son coeur » (21, Samuel, c. 6, v. 16) : David s'est abandonné à sa joie sans façon et sans retenue, comme un homme du commun.
Mikol n'a pas compris que David n'a pas dansé devant le peuple, mais devant Dieu : « Je m'ébattrai en présence de Yahvé » (28 Samuel, c. 6, v. 21). C'est en présence du Dieu vivant qu'il s'est abaissé, qu'il s'est - selon le double sens du mot hébreu qagal - rendu à la fois plus léger et plus insignifiant.
C'est pour lui la chose la plus naturelle du monde. Oui, il a mis sa plus grande joie à se séparer de tout ce qu'il a : de son manteau royal pour un simple pagne de lin, et de sa « majesté » pour la spontanéité d'un « homme de rien ». Il se dépouille ainsi de tous les prestiges qui lui ont ouvert, parmi les hommes, le chemin du trône. Le vaillant guerrier à la démarche imposante saute éperdument; celui dont l'Écriture vante la beauté s'agite dans des bonds et des virevoltes; devant son Dieu, l'auteur des psaumes se met au rang d'un baladin.
David n'a dansé que pour Dieu. Il n'est pas un Néron qui sollicite en histrion l'admiration populaire.
Il n'a pas voulu se donner en spectacle, comme Mikol semble l'avoir cru. Mais, le peuple est là, qui le regarde. Le témoignage si saisissant qu'il donne de sa foi en la présence divine frappe l'imagination des assistants. Après avoir mené bien souvent ses hommes sous les flèches de l'ennemi, il les mène aujourd'hui - comme roi d'Israël - à la rencontre du Dieu vivant. Certes il y a des mouvements de surprise et sans doute quelques rires des snobs, ce qui mortifie Mikol. David n'y prend même pas garde. Il est roi; il s'abaisse devant le maître de tout sous les yeux de tous, et par cet abaissement même il entraîne tout son peuple vers son Dieu.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 23 page IV.