ont connu les déboires DES «SIONISTES» ISRAELIENS
Bien sûr le texte biblique, transmis à l'humanité tout entière comme l'expression de la parole de Dieu, ne doit ni ne peut être sollicité au profit de quiconque; fût-ce des héritiers traditionnels de ceux qui durant des millénaires ont reçu mission de le recueillir et de le préserver à travers les vicissitudes de l'histoire. Que la « Terre promise » soit désignée dans l'Écriture comme celle qui fut donnée aux douze tribus d'Israël ne tend nullement à justifier telle ou telle action militaire au proche Orient en 1970. Pas plus que ce qui est écrit du renvoi d'Agar et d'Ismaël dans l'Ancien Testament, ou des contempteurs du Christ dans le Nouveau, ne justifie jamais la moindre persécution des descendants, bien incertains d'ailleurs, de Sara ou de Caïphe. L'Écriture est à tous les enfants de Dieu, c'est-à-dire à tous les hommes. Totalement engagée aujourd'hui comme hier lorsqu'il s'agit de l'histoire du salut; mais politiquement neutre. Il demeure que la riche expérience qu'elle reflète, étendue sur des siècles et des siècles de la vie de peuples dont à des titres divers notre civilisation porte la marque, présente souvent des analogies avec des situations rencontrées aux époques récentes ou actuelles. Les découvrir permet seulement de mieux comprendre l'aspect humain des événements rapportés dans ces livres qui parlent d'un « retour », commencé au VI ème avant notre ère.
Toute expérience humaine trouve dans ces textes millénaires un précédent adopté à la situation du moment présent :
Les conditions que connurent les « revenants » de l'Exil du temps d'Esdras et Néhémie, et dès le premier convoi du retour sous la conduite de Sheshbassar (le plus souvent identifié à Zorobabel), au lendemain de l'édit de Cyrus, ne sont pas très différentes de celles que rencontrèrent les « Sionistes » contemporains. Après une absence d'une durée très inégale il est vrai, les uns et les autres ralliaient « la terre de leurs ancêtres » en vertu d'un édit promulgué à la faveur d'un grand bouleversement mondial : effondrement de l'empire assyrien et édit de Cyrus; effondrement de l'empire hitlérien et décision des Nations-Unies de créer un État d'Israël.
Les uns et les autres trouvent alors deux espèces d'opposants : les populations non-juives implantées dans le pays depuis leur départ, et qui redoutent le pire, mais aussi les « frères » restés sur place - car il y eut toujours des Juifs en Palestine - et qui regrettent une certaine quiétude dans leur manière de vivre : Ils s'étaient plus ou moins accommodés d'un sort précaire; les projets de restauration des arrivants issus de Babylone ou de la diaspora les exaspèrent volontiers.
Des « oppositions » inspirées par des motifs de même nature
On sait qu'il existe encore à Jérusalem, dans le célèbre quartier de Méa-Shéarim, une minorité de Juifs très observants qui se dérobent aux lois de l'État d'Israël.
Pour eux la restauration de l'autonomie nationale aurait dû être le fait du Messie attendu ; prévenir les temps dont Dieu a disposé dans sa sagesse a quelque chose d'impie. Cette infime minorité fait penser aux Juifs palestiniens faisant grise mine aux rapatriés de Mésopotamie qui réclamaient non seulement une réforme de la religion et des moeurs, mais aussi les biens et les terres dont ils ne pouvaient se passer pour subsister. Certes, le problème de la légitimité d'une restauration d'Israël ne se posait pas alors, mais dans les deux cas la communion en un même idéal s'avère difficile.
Plus farouche est naturellement l'hostilité des populations d'origine étrangère qui se sont multipliées dans le pays; elle se manifestera par un harcèlement continuel sur le terrain : l'image du pionnier tenant un fusil d'une main et une pioche de l'autre caractérise tout autant les reconstructions de Néhémie et d'Esdras que les soldats paysans du « Nahal » israélien. Avec près de 2500 ans d'écart, le jeune État naissant ou renaissant est dénoncé pour des raisons voisines auprès de l'instance mondiale qui en a autorisé la reconstruction : le « Grand Roi » de Perse au temps d'Esdras, l'O.N.U. de nos jours.
Enfin, dernier parallélisme bien apparent, la restauration de l'État juif, du temps de Néhémie comme du temps de Ben Gourion, n'est rendue possible qu'avec l'aide morale et matérielle de la diaspora. C'est la riche diaspora babylonienne qui soutint de ses deniers la reconstruction de l'État et du Temple; c'est tout spécialement la riche communauté juive des États-Unis qui soutint et soutient le jeune État d'Israël.
Sur le plan strictement religieux, la période qui va de l'édit de Cyrus à la révolte des Maccabées, inclusivement, est en outre de toute première importance pour comprendre le judaïsme actuel. On discerne, à l'origine du moins, les réactions psychologiques de « rescapés » : hantise de l'assimilation et hantise de la pureté du sang, parce qu'on se sent plus esseulé dans un monde païen et hostile, sans plus avoir de frontières bien nettes pour se garder contre l'absorption. Le mur que Néhémie va rebâtir pour assurer simultanément la sécurité stratégique et la sécurité spirituelle du peuple, la violence avec laquelle il brisera les mariages avec des étrangères, sont autant de signes d'une volonté farouche de survie qu'il faut savoir comprendre et apprécier à sa juste valeur.
Comme ce n 'est qu'un petit nombre qui constitue la nouvelle communauté nationale, comme ce n'est qu'un petit nombre qui pourra à l'avenir observer toutes les prescriptions cultuelles gravitant autour du Temple (sacrifices, prémices ou purifications devant l'autel), certains rites qui n'exigent pas forcément une présence à Jérusalem vont devenir primordiaux : l'observance du sabbat, la circoncision, la prière, l'étude de la Tora et de la tradition feront l'essentiel du judaïsme de la diaspora de la dispersion. Ainsi, où qu'il se trouve, le juif affirmera-t-il son engagement dans l'alliance du Sinaï et son appartenance à la postérité spirituelle d'Abraham.
Ces conditions nouvelles du judaïsme d'après l'Exil seront celles qui lui Permettront de survivre après la deuxième catastrophe : celle de l'an 70 de notre ère. Entre ces deux ruines et ces deux exils, Israël passera par des fortunes inégales qui dans l'ensemble seront plus précaires que fastes.
Jamais plus « Israël » ne retrouvera son unité naturelle, en ce sens que désormais les Juifs résidant hors de la Terre promise seront plus nombreux que ceux qui y résideront. Jamais non plus les autorités de Jérusalem n'auront un rôle prépondérant dans la vie du judaïsme mondial. A Partir de cette époque, d'autres centres importants prendront le relais; le centre babylonien et le centre alexandrin. Tous deux se sont constitués à l'occasion des exils successifs des Juifs de Palestine. Celui d'Alexandrie doit peut-être son noyau aux Israélites qui cherchèrent refuge en Égypte du temps de l'oppression assyro-babylonienne, sûrement à ceux, beaucoup plus nombreux, qui furent attirés par Alexandre le Grand dans la ville neuve qu'il venait de fonder. Celui de Babylone groupait des exilés qui n'étaient pas revenus en terre d'Israël quand la, permission leur en fut donnée; c'est dans cet exil, volontairement perpétué, que la pensée juive connaîtra sa plus notable efflorescence. Son apport au « Talmud » est probablement plus important et plus riche que celui de Jérusalem. Et c'est déjà de Babylonie qu'avec Esdras et Néhémie est venu l'élan régénérateur de la restauration entreprise à la suite de l'édit de Cyrus.
P. CRISOLIT
En ce temps-là, la BibleNo 33 pages I-II.