David, à travers son histoire mouvementée, apparaît facilement comme un modèle de pénitence, ou comme un modèle de courage et de ténacité. Nous avons souligné plusieurs fois la profondeur de son sens religieux. Faut-il aller jusqu'à voir en lui un modèle de sainteté? A vrai dire, c'est comme tel que l'acceptent les traditions juives et chrétiennes. Peut-être, avant tout, à cause du caractère messianique que revêt son personnage dans l'une et l'autre tradition : c'est de sa lignée que doit naître le Messie, et les victoires de David annoncent celles du Messie sur les ennemis de Dieu. Mais l'élection singulière que traduit son destin présuppose à elle seule une amitié avec Dieu qui implique la sainteté.
Un premier aspect de la psychologie de David c'est sa bonté foncière qui lui fait aimer ses ennemis les plus proches et leur pardonner les agissements les plus perfides. Il se refuse à voir un criminel en son fils Absalom, alors que, sur le plan politique, sa passivité durant la révolte semble gravement répréhensible au regard des exigences du pouvoir. Et lorsqu'on lui apprendra la mort de ce fils rebelle, David regrettera de n'avoir pu mourir à sa place. Dans sa jeunesse déjà, il avait lutté avec l'énergie du désespoir pour maintenir avec Saül des liens d'amitié et quand il a l'occasion de se débarrasser de son persécuteur il se garde d'attenter à sa vie alors que tout son entourage estimait qu'il fallait en finir avec lui et le tuer. David, lui, ne songe qu'à gagner son coeur par sa propre magnanimité. Enfin, au moment où il apprendra la mort de Saül, il se lamentera au lieu de se réjouir, et fera même mettre à mort l'homme qui se vantera d'avoir sur la demande explicite de Saül, mis fin à ses jours (2e Samuel, chap. 1), tant cette nouvelle n'est pas pour lui une bonne nouvelle (2e Samuel, chap. 4, vers. 10).
David pleurera aussi la mort d'Abner qui avait pourtant soutenu l'action de Saül contre lui : il refuse alors de prendre toute nourriture jusqu'au coucher du soleil (2e Samuel, chap. 3, vers. 35). Les exécutions qu'il n'a pas voulues se poursuivent : David apprend la mort d'lshboseth, seul fils survivant de Saül; à nouveau il se lamente et même se montre singulièrement rigoureux envers ceux qui pensent avoir gagné ses grâces en le vengeant dans la descendance de son rival (2e Samuel, chap. 4 vers. 9-12). Non sans rai 'on, les Pères de l'Église ont exalté la bonté de David qui apparaît principalement dans cet amour des ennemis qui le caractérise, comme une anticipation étonnante de la perfection évangélique, en un temps où la vengeance était non seulement légitime mais souvent estimée.
Par ailleurs David accepte l'adversité avec patience et en silence. Il ne se révolte jamais, il accepte toutes les souffrances comme une expiation. Sa réaction, si elle existe, est tout intérieure. Son fatalisme apparent cache une lutte profonde au secret de son âme.
« Laissez le maudire si Yahvé le lui a commandé. »
Lorsque Shimeï maudit David en lui lançant des pierres et que l'un de ses gardes du corps veut abattre ce « chien crevé », le roi l'en empêche parce qu'il n'est pas sûr que Yahvé n'ait pas ordonné à Shimeï d'agir ainsi : « Laissez-le maudire, si Yahvé le lui a commandé. Peut-être Yahvé considérera-t-il ma misère!... » (2e Samuel, chap. 16, vers. 12). Le fait que déjà son fils se soit révolté semble avoir amené David à accepter toutes les avanies venant d'autres. Et lorsque, plus tard, le même Shimeï viendra demander grâce, et que l'entourage du roi voudra l'abattre, David à nouveau s'interposera afin que « quelqu'un ne meure pas ce jour-là en Israël » (2e Samuel, chap. 19, vers. 23).
Si quelqu'un veut se joindre à lui, durant sa vie errante, il l'en dissuade, ne voulant pas l'entraîner à affronter les périls qui le menacent (2e Samuel, chap. 15, vers. 20); il préfère l'intérêt des autres au sien propre. Plus tard, il ne veut pas boire l'eau d'un puits situé à l'entrée du Bethléem, que trois de ses « preux » sont allés puiser au péril de leur vie afin de désaltérer leur roi. Il en fait une libation à Yahvé, offrant avec elle à Dieu le sang ainsi risqué pour lui-même (2e Samuel, chap. 23, vers. 17).
Respectueux de la vie, il est généreux aussi. Lorsque les combattants refusent de partager le butin avec ceux qui, trop fatigués, sont restés au camp, David exige que tout soit partagé entre tous, et que « telle soit la part de celui qui combat, telle la part de celui qui reste près du camp ». C'est là une règle « qui est encore observée aujourd'hui », dit le 1er livre de Samuel (chap. 30, vers. 21-25).
Avant la lettre « pauvre en esprit »
A travers tous les aléas de son destin, David demeure conscient de sa fragilité il a le sentiment aigu de sa faiblesse (2e Samuel, chap. 4, vers. 39) et aussi du fait que seule l'action de Dieu peut le sauver;
comme au moment de son combat avec Goliath (1er Samuel, chap. 17, vers. 40 et suivants). Son refus de l'armure de Saül, sans doute trop lourde et trop embarrassante, est symbolique : il refuse de placer surtout sa confiance dans les moyens des hommes.
De nombreux psaumes et passages des prophètes mettront ce refus en valeur. Ce geste et la douleur sincère de son repentir après son péché caractérisent David. Son péché même lui fait prendre conscience, et de façon aiguë, de se fragilité morale, en sorte qu'il est réellement le type achevé de ce «pauvre» spirituel dont ses psaumes exprimeront si souvent la prière et les aspirations.
Ces aspects si variés et si riches de la personnalité du « saint roi » montrent que ce n'est pas à tort qu'on lui prête cette « sainteté ». Ses fautes ne sauraient la ternir, mais la rendent seulement plus humaine et plus accessible à l'imitation.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 24 pages V- VI.